Tenter de mettre ses pas dans ceux de la gracieuse Yoko Tani pour retracer son parcours n’est guère chose facile, car non seulement la belle n’était jamais où on s’y attendait mais elle n’y faisait jamais ce que l’on croyait. Et si souvent le pire côtoie le meilleur, le grand côtoie l’obscur, le tout est saupoudré de malchance, de choix étranges, et pour tout couronner, de quelques mensonges et pieux mystères.
La belle vint au monde à Paris, le 2 Août 1928 et on spécule encore aujourd’hui sur la véritable origine de la demoiselle. Ses parents étaient-ils un couple de japonais en villégiature française? Un couple mixte franco-japonais, italo-japonais? Le doute, déjà, plane. Il semble que ses parents aient été un couple de japonais attachés à leur ambassade à Paris lorsque la belle enfant vint au monde.
Le couple rentra au Japon à la fin de son contrat, probablement en 1930 et leur histoire se perd dans leur culture et les affres de la guerre.
En 1950, la paix est revenue mais les japonais se risquant à l’étranger sont encore rares. La guerre, toute finie qu’elle soit reste bien présente aux mémoires, et les « jap’s » restent avec la croix gammée un des plus forts symboles de « l’ennemi ».
Yoko, gracile créature de 22 ans, débarque pourtant à Paris, pour semble-il y parfaire ses études. Sorte d’ »Erasmus » qui semble lui aussi fort improbable en 1950. Mais après tout peu importe. Yoko Tani est bel et bien là et ses velléités estudiantines ne dureront que peu de temps. La japonaise est rare à Paris, Yoko comprend très vite l’intérêt de la chose et devient une « curiosité » de cabaret. En quelques soirs sa réputation fait le tour de Paris et l’on se précipite pour la voir dans son numero de Geisha strip-teaseuse! C’est dans un de ces cabarets « selects » que la découvre un soir Marcel Carné, alors flanqué de son éternel compagnon Roland Lesaffre. Carné ne déteste pas les beautés de porcelaine dont il a parfois émaillé la distribution de ses films. C’est décidé, il fera de Yoko Tani une vedette de cinéma.
Elle débute dans « Le Port du Désir » dans l’ombre de Jean Gabin et aligne cinq films en 1954.
Dans la foulée, Yoko deviendra madame Roland Lesaffre, car dans le tout Paris des années 50, ce n’est plus comme dans celui des années 30. Maintenant, on jase! Après le mystère de ses origines, de sa jeunesse et de son arrivée en France, voici celui de son mariage.
La jeune madame Lesaffre fera donc son apparition sur grand écran où elle ne jouera, comme on s’en doute, que les utilités exotiques, le temps d’un numero folichon ou d’une tasse de thé! Deux fois dans sa carrière, les portes de la gloire et du prestige s’entrouvriront devant elle, car elle faillit tourner pour Hakiro Kurosawa et pour David Lean, mais les deux projets échouèrent.
A la fin des années 50, sa carrière s’internationalisera quelque peu puisqu’elle tournera en Angleterre, en Allemagne, en Italie et même à Hollywood et au Japon sans que la face du cinéma n’en soit changée. Ni la sienne, ais-je envie de dire. Car si d’aventure un producteur ou un réalisateur la voulait pour son prochain film, le meilleur moyen de la contacter était encore de la retrouver après son numéro dans sa loge au « Crazy Horse ». Etrange pour une actrice ayant donné la réplique à Anthony Quinn ou Yves Montand!
Le temps passa, Yoko Tani resta fort belle mais son exotisme s’émoussa. Des beautés asiatiques, maintenant, il y en avait d’autres. Le mariage avec Lesaffre se défit, il avait tenu de 1956 à 1962. A l’heure du divorce, Yoko est en plein tournage de « Marco Polo » et boit le calice jusqu’à la lie. Ayant refusé crânement de se faire doubler pour une scène où elle faisait une entrée impériale avec un rapace, celui-ci goûta fort peu ses charmes et lui sauta à la figure devant toute l’équipe épouvantée. Ensuite, ayant pour l’occasion porté une très lourde boucle d’oreille en jade sortie d’un musée tout exprès, elle se retrouva avec l’oreille tuméfiée et comme elle n’hésita pas à la dire « presque arrachée par le poids de cette boucle ». C’est donc le visage lacéré et l’oreille en chou-fleur qu’elle reçut une très officielle délégation japonaise qui tenait à lui faire savoir de vive voix que l’on appréciait fort peu qu’elle ait accepté d’incarner une chinoise à l’écran!
L’oubli se fit, Yoko Tani se produisit sur scène et à la télévision jusqu’à la fin des années 70. Au début de la même décennie, elle s’était rappelée au souvenir du public de bien étrange manière. Paris qui pourtant venait d’encaisser coup sur coup « Hair », « Ô Calcutta » et « Woodstock, le film » était tout en émoi car le sculpteur Jean Moulin exposait ses sculptures érotiques dont « le buste de Yoko Tani directement moulé sur l’actrice ». l’affaire fit grand bruit et finit par l’interdiction des oeuvres! En ces temps de liberté débridée, on croit rêver! Les oeuvres comme la réputation de l’artiste semblent avoir sombré dans une belle indifférence.
On apprenait la mort de Yoko à Paris le 19 Avril 1999. Elle a choisi de reposer à jamais dans le petit village breton de Binic.
Carné et Lesaffre reposent ensemble pour l’éternité à Paris dans le cimetière Saint Vincent à Montmartre.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1954: Le Port du Désir: Avec Jean Gabin, Gaby Basset et Andrée Debar
1954: Les Clandestines: Avec Nicole Courcel, Maria Mauban et Philippe Lemaire
1955: Ali Baba et les 40 Voleurs: Avec Fernandel et Samia Gamal
1955: Les Pépées font la Loi: Avec Louise Carletti, Tilda Thamar et Claudine Dupuis
1956: Paris Canaille: Avec Dany Robin, Tilda Thamar et Daniel Gélin
1956: Mannequins de Paris: Avec Madeleine Robinson et Jacqueline Pierreux
1957: Les oeufs de l’autruche: Avec Simone Renant et Pierre Fresnay
1960: Les Dents du Diable: Avec Anthony Quinn, Peter O’Toole et Anna May Wong
1960: Piccadilly third stop: Avec John Crawford et Mai Zetterling
1961: Maciste alla corte del Gran Khan: Avec Gordon Scott et Hélène Chanel
1962: Ma Geisha: Avec Shirley MacLaine et Yves Montand
1962: Qui a Dormi dans mon Lit?: Avec Elizabeth Montgomery, Dean Martin, Martin Balsan et Jill St John
1962: Marco Polo: Avec Rory Calhoum.
1964: F.B.I. operazione Baalbeck: Avec Rossana Podesta et Jacques Sernas
1965: OSS 117 Opération Fleur de Lotus: Avec Dominique Boschero, Gaïa Germani et Sandro Moretti