Attendue comme le divin enfant, Winifred Bryson (dont le nom m’enchante) déçut quelque peu sa famille en ayant cinq jours d’avance. Elle vint au monde à Los Angeles, le 20 Décembre 1892. Son nom s’orthographie alors « Brison » Cette charmante personne n’a pas laissé de trace bien probante dans l’univers du film et il est donc très difficile de retracer son parcours. Et à fortiori le début de celui-ci. Nous devrons nous contenter d’apprendre qu’elle fit en 1914 de forts jolis débuts au théâtre, excellente comédienne paraît-il, dans le drame comme dans la comédie. Dès l’année suivante, elle signait un contrat avec un studio.
Il est évident pour tout cinéphile un tant sois peu perspicace que la qualité et surtout le prestige et la pérennité d’une carrière d’actrice sont directement tributaires de la qualité du studio qui les engage. En ce sens, Winifred n’eut guère de chance. Elle signa avec Mack Sennett qui ne tarderait pas à faire faillite après avoir filmé au kilomètre des pantalonnades moins érotiques que grotesques de jeunes écervelées à la plage dont Marie Prévost, Gloria Swanson et Mabel Normand. Winifred ne daigna pas manger de ce pain là, ne se sentant pas l’âme d’une « bathing beauty ». Après un seul film en 1915, elle retourna à son cher théâtre.
C’est là qu’un soir elle fera la conquête et inversément du bel acteur Warner Baxter. Ils ont dû beaucoup rire en constatant qu’ils avaient agi avec Hollywood et son cinéma tous les deux de la même manière! Warner Baxter avait signé un contrat en 1914, avait tourné un seul film et s’en était retourné lui aussi à son cher théâtre. Ils se marièrent le 29 Janvier 1918. Winifred était née à cinq jours de Noël, elle pouvait bien convoler deux jours avant le nouvel an!
Warner Baxter, qui en plus d’avoir un humour bien trempé avait maintenant charge d’âme tint à se conduire en gentleman (Ce n’est pas pour rien qu’il incarnera plus tard Gatsby le magnifique) Il revint donc vers le cinéma où l’on gagnait bien mieux sa vie que sur les planches! Il allait cette fois se passionner pour ce métier qui était alors en incessante évolution technique et artistique. Il allait devenir un des acteurs essentiels de la décennie suivante. Il recevrait le second Oscar de l’histoire du cinéma pour « In Old Arizona ».
Dans la foulée conjugale, Winifred revint elle aussi aux écrans et comme son mari finit par se passionner pour ce qui était encore à l’époque un nouveau mode d’expression. Le couple Baxter devint donc un « couple de cinéma » jusqu’à ce que l’invention de microphone bouleverse les choses. La carrière de Warner Baxter fit encore un bond prodigieux, grâce non seulement à une voix mâle et bien placée mais aussi à l’éviction de son principal rival John Gilbert.
Par contre, celle de Winifred se brisa net dans les gargouillis des micros.
Notre délicieuse vedette ne prit apparemment pas les choses trop mal, bien qu’il n’est jamais agréable de s’entendre dire que l’on a une voix de pot de chambre. Il n’était rien tant qu’elle aimât plus au monde que d’être madame Warner Baxter, alors après tout, si le cinéma ne voulait plus d’elle, tant pis! Warner allait rester un « standing man » des plus en vue de l’écran Américain pour encore toute une décennie, il finira par être l’acteur le mieux payé d’Hollywood en 1938.
Les années 40 seront cependant moins glorieuses, non seulement le succès s’émousse mais sa santé périclite. L’acteur souffre d’une arthrite particulièrement douloureuse qui assombrit ses jours et le prive de sommeil. Ses douleurs deviendront tellement intenses que les médecins de l’époque ne trouveront rien de mieux que de le lobotomiser afin qu’il ait moins conscience de souffrir. L’acteur complètement amoindri ne se remettra jamais de cette opération et décède quelques mois plus tard.
Le 7 Mai 1951 il laissait sa chère Winifred veuve d’un mari qui n’était plus que l’ombre de lui-même.
Winifred finira par se remarier avec un certain Ferdinand H. Manger et s’éteindra de sa belle mort à l’âge vénérable de 94 ans, le 20 Août 1987, longtemps après que l’oubli le plus absolu se soit fait sur son nom, ses films et même sa prestigieuse histoire d’amour.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1922: The Great Night: Avec William Russell et Eva Novak
1923: Suzanna: Avec Mabel Normand
1923: Pleasure Mad: Avec Norma Shearer, Huntley Gordon et Mary Alden.
1924: Don’t Doubt your Husband: Avec Viola Dana et Allan Forrest.
1925: The Hawful Truth: Avec Warner Baxter et Agnès Ayres
1928: Adoration: Avec Billie Dove et Clive Brooks