Ursula Thiess fut non seulement une actrice très respectable, une beauté incontournable mais aussi une aimable personne dont à Hollywood on louait toutes les qualités. C’est rare! Pourtant, au beau milieu des années 60, Hollywood allait faire volte face et lui flanquer par voie de presse une raclée mémorable à laquelle plus d’une célébrité n’aurait pas survécu. D’autant que cette violence s’adressait à quelqu’un qui n’avait rien fait pour la mériter et n’avait donc rien vu venir!
Pauvre Ursula.
Ursula Schmidt vient au monde le 15 mai 1924 à Hambourg où son père dirige une importante imprimerie. Sa maman Wilhemine est une de ces élégantes bourgeoises de l’époque aimant recevoir pour le thé et promener la petite au parc le dimanche. Une enfance heureuse et bien élevée qui ne sera perturbée que par la montée du national socialisme. Et par ses mauvais résultats scolaires! Ursula fait le désespoir des cornettes chargées de son instruction! Elle ne s’intéresse qu’à la gymnastique et au sport, le reste l’ennuie prodigieusement! Elle est indomptable se plaignent les ouailles du seigneur!
Le père d’Ursula exècre Hitler! sa fille lui emboîte le pas, ce qui lui vaudra en 1941 de se faire expédier au travail agricole obligatoire pour avoir refusé avec un souverain mépris de s’enrôler dans les jeunesses hitlériennes de son plein gré! Imaginer la future Ursula Thiess aux champs c’est un peu comme imaginer Grace Kelly à l’arrachage des betteraves!
Mais la guerre allait engloutir bien plus que sa jeunesse et lui faire perdre bien plus qu’une saison à la campagne. Son père va disparaître, leur maison aussi. Wilhemine et Ursula auront la chance de retrouver à se loger dans une petite maison ouvrière de la banlieue Hambourgeoise.
Depuis sa plus tendre enfance, Ursula rêvait de théâtre, de cinéma, ou plus exactement de richesses et de belles robes de vedettes! Le cinéma de papa Goebbels était prodigue en clinquant propre à émerveiller les âmes de midinettes. Le propos propagandiste lui passait au dessus de la jeune tête, elle ne voyait que les paillettes de Zarah Léander!
Après les travail à la ferme, l’ambition de la jeune Ursula s’exacerba plus que jamais! Elle n’allait pas attendre dans son coron un nouveau caprice dégradant de ce führer tant détesté! Elle frappa à toutes les portes, fit le siège de tous les studios sans grand succès mais elle fit néanmoins la rencontre d’un industriel de 11 ans son aîné, subjugué par sa grande beauté et qui comptait précisément investir ses gains dans le théâtre et le cinéma.
Elle fit littéralement le siège de ce monsieur Georg Thiess qui finit par l’épouser. Le couple aurait une fille, Manuela née en juillet 1943.
La belle villa de monsieur Thiess allait elle aussi disparaître sous les bombes et toute la petite famille Thiess allait se retrouver dans la petite maison de Wilhemine qui restait la seule vaguement debout de toute sa rue!
La paix revint sur les décombres et avec elle leur vint un fils, Michael, né en juin 1946.
Le couple Thiess n’avait jamais été un couple heureux, les raisons qui les avaient poussés l’un vers l’autre étaient tout sauf sentimentales, les horreurs de la guerre avaient fini de désunir ce qui l’était déjà si peu. Ils allaient divorcer en 1947, Ursula sans revenus et sans toit gardant quand même ses enfants avec elle. Quant à sa carrière d’actrice, Ursula qui n’avait que 20 ans n’y croyait déjà plus. la guerre avait tué toute une jeunesse et désabusé ses survivants.
Elle était pourtant d’une beauté fabuleuse et à force de poser pour des photographes, elle finit devant l’objectif des photographes de mode et elle connut enfin et d’emblée le succès. Ursula laissait ses enfants à Wilhemine qui les adorait et adorait s’en occuper. Alors, de l’aube à la nuit tombée Ursula parcourait les ruines à la recherche d’un rouge à lèvres, d’un bigoudi ou d’une paire de bas avant de s’en aller poser devant des cerisiers en fleurs. En fleurs et en carton bouilli.
Qui sait pourquoi et surtout comment, un magazine allemand atterrit sous le nez d’Howard Hugues? Personne.
Mais en attendant il l’ouvrit, il y vit Ursula et la convoqua immédiatement à Hollywood tous frais payés et avec à la clé un contrat de 7 ans à la RKO si son « test » donnait « satisfaction ». Il s’était exclamé en la voyant « Oh mon dieu! Elle ressemble à Lya de Putti! » Il semble que Lya ait bouleversé l’imagination juvénile d’Howard plus que de raison! Ursula reçut un télégramme de la RKO. Elle n’en crut pas un mot et le jeta, croyant à une plaisanterie. Hugues lui en envoya un second. Elle prit alors la peine de s’informer et fut sidérée de découvrir que ce n’était pas une blague! Ursula embrassa ses enfants et s’envola pour la lointaine Amérique. Elle était persuadée qu’elle pourrait faire venir ses enfants auprès d’elle dès qu’elle serait installée mais elle va découvrir qu’en réalité elle doit d’abord obtenir la nationalité américaine.
En 1951 elle est en ouverture de LIFE Magazine
En 1952 elle est élue actrice la plus prometteuse de l’année
En 1953 elle reçoit le golden globe.
Elle déclarera à propos de ses débuts: « Les choses allaient si vite que j’ai failli en devenir folle! Il fallait à tout prix que je ne me laisse pas étourdir et que je me dise à longueur de journée: calme toi c’est ton avenir et l’avenir de tes enfants! » Et pour s’en convaincre, elle envoyait tous ses gains à Hambourg pour ne pas se laisser distraire par le premier diamant Harry Winston venu!
Entretemps, le studio lui a demandé d’escorter Robert Taylor à quelques soirées mondaines ce qu’elle accepte volontiers. Robert Taylor est avec Cary Grant, Tyrone Power, Cary Cooper, Clark Gable et Charles Boyer le plus grand séducteur du cinéma!
Depuis que Robert Taylor est divorcé de Barbara Stanwyck, Hollywood se divise en trois clans.
Ceux qui rêvent d’un remariage entre Bob et Babe, ceux qui se demandent qui sera la prochaine madame Taylor et ceux qui se demande qui sera le prochain monsieur Taylor!
Ursula devint bientôt une des plus sérieuses aspirantes au titre de « future madame Taylor » mais elle était serrée de près par Yvonne de Carlo et par Ludmilla Tcherina! Ce que la presse ignore, c’est qu’Ursula vit une romance avec John Derek. Derek qui pour ses beaux yeux a quitté son épouse en la laissant dans le dénuement le plus complet avec deux enfants à charge. Chose qu’Ursula ne lui avait pas demandée ni même suggérée.
Le 4 Mai 1954, C’est Ursula qui emporte la palme! Le couple se marie à bord d’un bateau sur un lac du Wyoming, on ne peut plus romantique!
Pour être exacte, je me dois de souligner qu’en fait le beau Robert avait finalement élu Ludmilla mais celle-ci l’avait envoyé paître, lassée.
John Derek de son côté va croiser la route d’une autre Ursula. Ursula Andress. Il va divorcer officiellement de son épouse Patti. Ce sera donc la pauvre Ursula Andress qui sera accusée d’être l’infâme briseuse de ménages alors que le couple Derek était séparé avant même qu’elle ne pose un pied à Hollywood.
Devenue madame Taylor seconde du nom, Ursula renonça très vite à sa carrière, donnant parfois la réplique à son mari, petit clin d’œil à leurs fans. En 1956, elle aurait affaire à Barbara Stanwyck qui livre un petit baroud d’honneur en entrant ivre morte chez Romanoff alors que le couple Taylor y dîne avec le couple Mitchum pour se mettre à hurler: « Alors? Il paraît que Robert Taylor est ici avec sa grosse pouffe Allemande? Faites-moi voir ça! »
Ursula se dépêcha de faire venir ses enfants à Hollywood et elle allait elle-même avoir deux autres enfants de Robert Taylor: Terrence, né en 1955 et Thérèse dite « Tessa » née en 1959. La petite tribu s’était installée dans un gigantesque ranch de la San Fernando Valley et on mène grand train. Ursula devient la maîtresse de maison la plus réputée de Californie! On vante sa fine cuisine son goût exquis pour la décoration et elle-même déclare en baissant ses superbes yeux vert-dorés: « J’ai choisi la plus belle carrière du monde, celle d’épouse et de mère ». Leurs amis sont aussi nombreux que prestigieux! Clark Gable (qui lui apprend à tirer) Claudette Colbert, les Mitchum, les Niven et Robert Stack le meilleur ami d’Ursula depuis son arrivée à Hollywood. Ursula n’a qu’une ennemie à part Barbara Stanwyck: Arlène Dahl qui la hait souverainement parce que (je cite) Cette p… est plus belle que moi!
Pourtant il y a chez les Taylor un drame qui couve derrière la rutilante façade d’un bonheur sans nuage.
Manuela et Michaël, les deux premiers enfants d’Ursula ont grandi en Allemagne au milieu d’un champ de ruines, élevés par une grand mère qui collait dans leur album les photos de leur maman à Hollywood, cette « Plus belle Femme du Monde » disait-on d’elle comme on le disait d’Yvonne de Carlo (ce qui tendrait quand même à prouver le bon goût de Robert Taylor).
Alors soudain, ce ciel flamboyant de Californie après le crachin gris de Hambourg, les champs d’orangers après les fumées d’usines, les Cadillac après les privations, tout celà aurait perturbé le cerveau adolescent le mieux arrimé. Et puis il y avait ce père adoptif sorti d’un film qui entendait jouer son rôle jusqu’au bout et se mettait la quarantaine passée à « éduquer » des enfants qui n’étaient pas les siens en même temps qu’il pouponnait ses deux petits chérubins bien à lui.
En 1962, le scandale éclate. Manuela est arrachée de force d’une voiture par la police. Elle est ivre et droguée, la voiture est celle de son amant Robert Green. Robert Green est noir! L’Amérique s’évanoui! Le scandale est colossal! et les journaux vont titrer des choses telles que « Le nègre Robert Green a voulu souiller cette jeune fille blanche » Manuela fut traînée devant les tribunaux mais à l’heure de sa comparution elle se vidait de son sang, les poignets tailladés dans une ruelle sordide des bas fonds d’Hollywood. Sauvée de justesse elle hurlait sur son lit d’hôpital « Je veux en finir, à cause de Robert Taylor qui exige que j’abandonne l’homme que j’aime à cause de sa couleur ».
Quant à Michael, le jeune frère de Manuela, son mérite était seulement de n’avoir encore jamais été épinglé par la police mais son alcoolisme était le secret de polichinelle à Hollywood alors qu’il n’avait que 17 ans à peine.
Robert Taylor exaspéré par les enfants d’Ursula Thiess renvoya Michael à Hambourg chez sa grand’mère Wilhemine dont la petite maison était toujours aussi bancale au milieu des ruines! Mais Michael n’arriva jamais à Hambourg. A peine débarqué en Allemagne il s’était souvenu qu’il avait un père, un vrai. Un père riche qui vivait à Munich. Georg Thiess fut tout à fait ravi de retrouver ce fils surgit du passé, mais les joyeuses retrouvailles n’allaient durer que peu! Très vite Georg Thiess va se plaindre ouvertement de son fils « Qu’avez-vous fait de ce garçon à Hollywood? Un traîne savate qui se sait aller que d’un bar à l’autre! Je lui ai donné un travail au studio mais gagner sa vie ne l’intéresse pas, il préfère envoyer des lettres de lamentations à sa mère pour qu’elle lui envoie de l’argent car je ne lui en donne jamais assez » Monsieur Thiess résolut de serrer la vis et de « dresser » son fils. mal lui en prit. En 1964, Michael qui n’est pas encore majeur n’ a plus le droit de sortir de la propriété où son père le surveille jour et nuit. Un soir après le dîner, Georg Thiess a l’impression que son café dégage une étrange odeur. la police lui donnera raison, son fils a essayé de l’empoisonner avec de l’insecticide. Le jeune garçon se défendra comme il peut » Je ne voulais pas le tuer, je voulais l’endormir le temps de récupérer mon passeport et prendre un avion pour le fuir et aller retrouver ma mère ».
Alors soudain, le scandale éclata, énorme, phénoménal! Tout était de la faute d’Ursula Thiess, trop occupée trop mondaine, trop tout. Probablement trop belle, trop riche, trop Allemande et trop madame Robert Taylor! L’alcoolisme de son fils désœuvré, la toxicomanie de sa fille suicidaire qui couchait avec des noirs (la pire abomination qui puisse s’imaginer dans l’Amérique des années 60). D’ailleurs sois dit en passant, elle couchait avec des noirs CONTRE Robert Taylor! pouvait-on lire en première page! Comprenne qui pourra, mais on ne pouvait pas imaginer qu’une blanche puisse fréquenter un noir par plaisir! fallait trouver autre chose!
Les gros titres ne cessaient pas « Ursula Thiess voit ses enfants trop riches mal tourner » « Une fille de 20 ans au fond de la déchéance à cause de l’indifférence d’une mère trop riche » « Ursula Thiess mère de criminel et de droguée » et la pire: » Toute à ses occupations mondaines, madame Robert Taylor oublie un fils en prison et une fille sur le trottoir »
On n’avait plus autant craché sur une mère d’Hollywood depuis que Cheryl Crane la fille de Lana Turner avait étripé Johnny Stompanato en 1958!
Après un tel débordement de haine, Ursula se fit on ne peut plus discrète, essayant de préserver ses deux plus jeunes enfants de la haine et de faire tout ce qu’elle pouvait pour ses aînés.
Pour la défense d’Ursula il faut admettre que Michael et Manuela furent toujours très proches de leur mère qu’ils idolâtraient mais haïssaient souverainement Robert Taylor, ce cow-boy à la sexualité alambiquée qui voulait les soumettre à son autorité.
Si Manuela finira par surmonter ses démons, Michael Thiess ne le pourra jamais.
En 1969, Robert Taylor se bat, maintenant sans espoir, contre le cancer du poumon. Michael est à Los Angeles, il passe ses journées seul, ivre et drogué dans un motel. Ursula passe chaque jour le voir mais un matin elle découvre le corps du jeune garçon sans vie, emporté par une overdose à seulement 23 ans.
Deux semaines plus tard, le 8 Juin 1969, c’est Robert Taylor qui décède à son tour des suites de sa maladie.
Comble de l’ironie, ces deux-là qui se haïssaient reposent pour l’éternité côte à côte.
Ursula Thiess les rejoindra lorsque sa vie s’arrête le 19 Juin 2010, 41 ans après celle de Robert Taylor.
Elle s’était pourtant remariée en 1973 avec Marshall Shacker qui la laissa veuve une seconde fois en 1985 mais c’est auprès de Robert Taylor et de son fils Michael qu’elle a choisi de reposer.
Ursula s’est envolée dans son sommeil, à 86 ans, en douceur et enfin paisible, veillée par ses trois enfants.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1949: Nachwache: Avec Luise Ullrich
1952: Monsoon: Avec Diana Douglas et George Nader
1954: The Iron Glove: Avec Robert Stack
1972: Left Hand of Gemini: Avec Ian MacShane et Richard Egan