Dans « Crime et Châtiment », le beau film de Georges Lampin tourné en 1956, Robert Hossein va tuer Gabrielle Fontan, alias madame Orvet l’usurière, car sa mère, Gaby Morlay, faute d’argent va donner sa jeune soeur en mariage au pervers qu’incarne Bernard Blier. La pure jeune soeur n’est autre que l’actrice suédoise Ulla Jacobson. Pour l’anecdote, Jean Gabin mènera l’enquête, Roland Lesaffre sera accusé à tort et Lino Ventura servira des bières pendant que Marina Vlady se prostituera sur les quais, que Julien Carette fera un vol plané mortel dans son escalier pourri et que la débutant Marie-José Nat se fera pincer les fesses par Blier!
Ulla s’en était alors déjà allée vers d’autres horizons tourner d’autres films, parce qu’en 1956, toute la planète cinéma la voulait à ses génériques, qu’ils soient suédois, allemands, français, anglais, espagnols ou américains.
Pourtant « Crime et Châtiment » allait rester une de ses plus beaux souvenirs de cinéma. Il y avait longtemps qu’elle rêvait d’un rôle dans un film français et la proposition de George Lampin fut accueillie avec la joie que l’on imagine. Le premier jour de tournage, Ulla tint à être présente, même si elle n’était pas des scènes qui se tournaient. Le tournage avait lieu de nuit, Marina allait se prostituer sur les quais de l’île Saint Louis. La circulation est déviée et plusieurs centaines de projecteurs illuminent la Seine et les quais pendant que les acteurs se font habiller, coiffer et maquiller dans un petit bistrot habituellement fréquenté par les taxis de nuit. Lampin donne ses ordres, Hossein se concentre dans son coin et Marina devise déjà avec Ulla comme si elles étaient de grandes amies même si Ulla ne parle pas encore un mot de français.
L’image de la Seine et de l’île de la cité qui s’éclairent dans un Paris endormi et silencieux était la chose la plus belle et la plus féerique qu’elle avait alors vue de toute sa vie.
Et lorsqu’elle laissa l’équipe à son travail, elle eut la surprise de trouver une jeune mariée toute en longue robe blanche endormie sur un banc. C’était Danièle Parèze qui se reposait en attendant que l’on ait besoin d’elle. Jamais elle en était certaine, toutes ces choses n’auraient été possibles à Stockholm.
La gracieuse Ulla Jacobson naît en Suède, le 23 mai 1929, à Göteborg.
A dix-huit ans, la jeune demoiselle débute au théâtre et son talent très affirmé allié à sa fraîche beauté qui évoque furieusement celle d’Ingrid Bergman au même âge lui permet d’accéder très vite à de grands rôles. Elle jouera donc Bertold Brecht, Shakespeare ou Jean Anouilh avant d’être repérée par le cinéma. Et dès son deuxième film, Ulla va être projetée sous le feu des projecteurs mondiaux!
En 1951, le film suédois « Elle n’a dansé qu’un seul été » est projeté à Cannes et provoque une bourrasque de scandale qui fit s’envoler toutes les starlettes en bikinis de la plage du Carlton aux oubliettes de la pellicule! Pensez donc! l’actrice du film suédois se montrait nue, nue et souriante! L’actrice c’était, on l’a compris, notre gracieuse Ulla. Le film ne fut couronné à Cannes que pour sa musique, on était prudent! Il ne fallait pas créer un précédent sous peine de voir tous les soutiens-gorges baleinés des actrices voler par dessus les moulins! On fut plus courageux à Berlin, le film obtint l’ours d’or. Quant à Ulla, elle était bel et bien lancée, que dis-je, catapultée vers les sommets! En 1954 elle serait la vedette de cinq films et sa carrière s’ouvrit comme on l’a vu sur le cinéma international!
Qui aurait pu prévoir en effet que cette charmante et discrète comédienne se retrouverait à la télévision américaine dans le feuilleton « Le Virginien »?
Mais si Ulla Jacobson ne devint pas l’égale d’une Ingrid Bergman ni même d’une Marta Toren ou d’une Viveca Lindfors, c’est parce qu’elle restait d’abord et avant tout une actrice suédoise de tempérament suédois, peu friande de paillettes et de gloriole, préférant le théâtre à toute autre chose. Au milieu des années 50, alors que le monde se l’arrache, elle reçoit une proposition inattendue: celle d’un théâtre viennois qui lui propose d’intégrer sa troupe. Ce qu’elle accepte. Ulla Jacobsson s’installe dans la capitale Viennoise et y restera pour le reste de sa vie, faisant de Vienne son foyer d’adoption.
Au début des années 60, à la faveur d’un tournage avec Charles Boyer, Hollywood entama une campagne publicitaire pour faire d’Ulla le nouveau « sex symbol suédois ». La colère qui s’en suivit fait encore trembler les murs d’un immeuble probablement démoli aujourd’hui! Chaque médaille ayant son revers, Hollywood un brin offusqué ne lui proposa plus que des rôles où elle n’avait guère de chance de briller outre mesure. Ulla s’en fichait, elle avait son cher théâtre viennois et le cinéma anglais lui offrait ce qu’Hollywood lui refusait.
Elle mena donc la carrière qu’elle avait toujours souhaitée, ne jouant que ce qui lui plaisait, se réfugiant au théâtre entre deux films et il aurait pu en être ainsi jusqu’à la nuit des temps si le destin n’en avait pas brutalement décidé autrement.
Jeune encore, Ulla Jacobsson est frappée d’un cancer. un cancer qui ne pardonne pas, le cancer des os. Elle prend sa retraite en 1978 et perd son combat contre la maladie en 1982.
Ulla Jacobson était fière à juste titre de son patrimoine, elle aimait à se souvenir qu’elle avait amené Igmar Bergman à la comédie avec « Sourire d’une Nuit d’été », que Kirk Douglas était venu jusqu’à Londres pour lui donner la réplique et que Fassbinder qui la vénérait s’était fait acteur pour lui donner la réplique le temps d’un film.
Sa vie privée avait également été très riche contrairement à ce que Wikipédia peut laisser entendre. Ulla Jacobsson s’était mariée trois fois: Avec l’ingénieur Josef Cornfeld, père de sa fille Ditte. Elle épousa ensuite le peintre hollandais Frank Lodeizen avec qui elle eut deux enfants: Martin et Rifka, sa fille cadette qui a elle aussi embrassé la carrière de comédienne avec succès en Hollande et enfin l’anthropologue Hans Winifred Roshmann qu’elle laisser veuf bien qu’il soit de dix-huit ans son aîné.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1951: Bärande Hav: Avec Alf Kjellin
1951: Elle n’a dansé qu’un seul été: Avec Edvin Adolphson
1954: …Und Ewig bleibt die Liebe: Avec Ingrid Andrée, Karlheinz Böhm et Magda Schneider
1955: Der Pfarrer Von Kirchfeld: Avec Claus Holm
1955: Sourire d’une Nuit d’Ete: Avec Eva Dahlbeck et Harriett Andersson
1956: Crime et Châtiment: Avec Robert Hossein, Bernard Blier et Gaby Morlay
1959: Llegardon dos Hombres: Avec Francisco Rabal et Christian Marquant
1960: Les Chiens sont lâchés: Avec Bernhard Wicki
1960: Im Namen einer Mutter: Avec Claus Holm et Brigitte Mira
1962: Un dimanche d’été: Avec Jean-Pierre Aumont et Ugo Tognazzi
1964: Zulu: Avec Stanley Baker et Michael Caine
1965: The Heros of Telemark: Avec Kirk Douglas et Richard Harris
1968: Bamse: Avec Folke Sundquist
1968: Adolphe ou l’Âge Tendre: Avec Philippe Noiret
1974: Einer von uns Beiden: Avec Elke Sommer