Tilda Thamar, la Rita Hayworth argentine.
« Un surnom qui lui va bien parce qu’elle se l’est donné elle-même » aimait-on à jaser dans les milieux intellectuels bien informés.
Tout le drame de Tilda Thamar, et pour tout dire son image de marque est là. La belle actrice argentine ne fut jamais prise au sérieux et plutôt considérée comme une sorte d’entraîneuse de Pigalle qui aurait eu l’étrange particularité d’être filmée durant ses occupations nocturnes peu reluisantes. Et qui aurait porté de vrais diamants. On aimait à se gausser. On la disait vénale et sans talent. Avide de gloriole de pacotille. Jouant mal, dansant n’importe comment et chantant comme une cafetière dorée. C’était injuste. On lui prêtait des liaisons exotiques avec Errol Flynn ou Kirk Douglas. C’était faux.
Matilde Sofia Margarita Abrecht naît en Argentine, à Urdinarrain le 7 décembre 1921.
Le cinéma argentin vit de grandes heures au début des années 30, portant à l’écran de grands drames sentimentaux pleins de sang de bruit et de fureur. Avec des paysans ruinés par des banquiers véreux et ventrus, eux-mêmes manipulés par des fatales à porte-cigarettes et robes fourreaux de velours noir. La très jeune Tilda, complètement fascinée fait ses premières figurations dès 1936. Elle n’a que 15 ans et pas assez de tous ses yeux pour profiter de tout ce qui se passe autour d’elle.
Les stars argentines sont plus tapageuses encore que les stars d’Hollywood, du Mexique ou d’Italie. Leurs faux-cils ne sont jamais assez longs et leurs bijoux suffisamment lourds. Tilda est à bonne école et elle est bonne élève.
Les comédies musicales étant à la mode, elle apprend le chant et la danse bien que sa première ambition ait été le dessin. Elle continuera d’ailleurs ses études après avoir débuté au cinéma et sera diplômée de l’académie des Beaux-arts de Buenos Aires en 1937.
Devenant une très jolie demoiselle et ayant les yeux d’un bleu clair et limpide, presque transparent, assez exceptionnel sous les cieux argentins, elle décolorera très vite ses longs cheveux et restera blonde à jamais. Très tôt son image de vamp se dessine même si sa poitrine reste désespérément menue, ce qui est regrettable dans l’emploi. Elle usera toute sa vie de savants stratagèmes pour pallier cette distraction de la nature. Des stratagèmes qui n’auront rien à envier à ceux de Marlène Dietrich, Martine Carol ou Lana Turner, privées elles aussi de buste rebondi à la Jane Russell.
Tilda mène donc sa petite barque dans le cinéma national argentin et elle présentera de nombreux documentaires sur les merveilles du pays tout en obtenant des rôles de plus en plus conséquents dans des films de plus en plus importants. Elle y donnera la réplique aux actrices les plus en vue, dont Eva Duarte future Perón alors égarée devant les caméras en attendant mieux.
Elle obtient un premier rôle après dix longues années passées dans l’ombre des autres actrices et devient enfin vedette. Elle entache presque immédiatement cette nouvelle carrière de vedette flambant neuve d’un premier scandale en apparaissant très dénudée dans « Le Pyjama d’Adam ». Elle trouva que ce tout ce tintouin pour un peu de chair fraîche et rose étalée sur les écrans était bien ridicule. En même temps très porteur en publicité. Tilda en rajouta une couche en posant intégralement nue et en laissant les photos se diffuser partout. Les âmes bien pensantes auraient volontiers lapidé ou au moins excommunié la scandaleuse Tilda Thamar dont le nom devint synonyme d’outrageant péché. Mais la belle venait de convoler. Et pas avec n’importe qui. Avec le comte Ali Toptani faisant d’elle une comtesse et cousine par alliance de Zog premier roi autoproclamé d’Albanie!
L’actrice est maintenant richissime et son futur divorce la fera rouler sur l’or jusqu’à la fin de sa vie. Par convenance et respect pour monsieur, elle entame un long voyage en Europe en attendant que « l’affaire des photos » se tasse et vient mener grand train à Paris. Si elle n’y était guère connue du public, elle y était connue par les « professionnels de la profession » puisque bon nombre de ses films étaient des versions argentines de films français. Elle avait d’ailleurs tourné deux films pour Pierre Chenal dans son pays.
Elle signa un soir de griserie au champagne chez Maxim’s un contrat de cinéma avec le producteur Claude Dolbert sur un coin de table, ajoutant d’un air entendu « Attention! j’ai également écrit deux scénarii vous savez! » Sous-entendu « il va falloir me les produire, messieurs! »
Tilda fut lancée à grand tapage. La mode était aux « séries noires ». Le genre regorgeait d’indispensables femmes fatales à la démarche chaloupante et cigarette au bec. Tilda se trémoussait d’aise. Elle fut présentée au public comme si elle était la plus grande star d’Amérique latine et faisait privilège de sa présence dans un film français. Il faut dire que si elle était en effet connue en Argentine, elle n’était pas non plus une incontournable diva et qu’elle avait d’abord transité par Hollywood où son passage n’avait que peu impressionné.
En 1949 « L’Ange Rouge » sort avec fracas sur les écrans français. Tilda en est la vedette face à Paul Meurisse. Mais le film n’était qu’une série B que n’aurait pas désavouée Claudine Dupuis. Tilda avait pourtant commandé deux chansons à Francis Lopez pour mettre toutes les chances de son côté.
Le succès fut égal a celui que rencontraient ces films de série B très à la mode à l’époque. Il s’agissait de petits policiers vite faits , bien ou mal, par quelques tâcherons avec une tête d’affiche relativement célèbre comme Raymond Rouleau, Paul Meurisse, Jean Servais, Raymond Souplex ou même Fernand Raynaud. L’action se passait à Pigalle, en noir et blanc, entre habitués du genre comme Eddie Constantine, Claudine Dupuis ou Dora Doll. Ca se bagarrait ça se prostituait, ça strip-teasait et on en tournait à la pelle. La télévision était encore confidentielle, c’étaient les téléfilms de l’époque et ma foi, avec le recul si ce n’était pas du grand art, c’est quand même tout un art!
Le seul ennui avec ces films de genre c’est qu’ils sclérosaient facilement leurs acteurs et on en sortait que difficilement. Ce fut le cas de Tilda qui devint une « pépée » et ne s’échappa du genre que pour quelques comédies musicales comme » Le Chanteur de Mexico ».
Elle proposa également quelques exploits d’actrice comme de tenir trois rôles dans « Ronde de Nuit » en 1949. On la croisera également dans quelques comédies où elle s’égare entre quelques cadors du genre comme Roger Carrel, Darry Cowl ou Pierre Mondy. Tilda se prête de bon coeur à ces franchouillardises avec un entrain certain. Mais ce n’est pas une niaiserie telle que « Chéri fais-moi peur » où, belle évanouie Darry Cowl lui tape sur la tête dans l’espoir d’un effet comique qui pourra dorer son blason de comédienne. Si tant est, qu’au fond, elle en ait un.
La dame, un peu contrite, retourna régulièrement en Argentine honorer le cinéma national de sa présence. Paradoxalement son éloignement avait fait beaucoup pour son prestige dans son pays natal. Elle était considérée comme la star qui avait conquis l’Europe et véhiculé les couleurs nationales à l’étranger. Ce qui n’était d’ailleurs pas faux.
Tilda Thamar sera donc une grande vedette internationale durant toute une décennie mais les années 50 eurent une fin. Une fin un peu abrupte estampillée « nouvelle vague » qui voua aux gémonies le cinéma de papa. Tilda Thamar fit partie du contingent des « inmontrables » avec Danielle Godet, Danick Patisson, Claudine Dupuis et quelques autres et non des moindres comme Jean Marais, Fernandel ou Jean Gabin. Le public fut prié de s’émerveiller face à Bernadette Lafont Juliette Mayniel, Monica Vitti, Anna Karina ou Danièle Gaubert dans quelques gaudrioles hilarantes signées Godard, Malle ou Antonioni.
On perdait un peu au change, reconnaissons-le. D’autant que le passage de cap avait été plutôt brutal. Au Festival de Berlin, en Juillet 1958, soit moins d’un an avant la « Nouvelle vague », c’est encore Jean Marais qui ouvre le bal avec Barbara Laage. Gina Lollobrigida est l’ultra-superstar de la soirée. Agnès Laurent, un peu pompette chante avec l’orchestre. Quant à Tilda, parce qu’elle trouve que l’ambiance tiédit , elle se lance dans une démonstration de samba déchaînée, faisant voler ses jupons Dior par dessus sa tête. Et parce qu’elle a besoin d’un partenaire, elle s’empare du premier mâle qui passe à sa portée et qui n’est autre qu’un pasteur protestant égaré dans un festival du cinéma.
Au festival suivant, ce monde là serait mort Désormais on s’ennuierait.
On se dépêcha donc de s’offrir des téléviseurs et de rester bien sagement chez soi pendant qu’on transformait les cinémas en parkings.
A la fin de sa vie, François Truffaut, prouvant qu’il pouvait faire de beaux films et quand même se conduire comme un imbécile avoua qu’il adorait Tilda, la trouvait fantastiquement belle et qu’il aurait aimé la faire tourner…s’il l’avait osé.
Tilda, désavouée par la nouvelle génération vit sa carrière stoppée net dès 1958 après avoir sévi dans un Eddie Constantine!
Il faudra attendre 1966 pour la retrouver, et encore…avec beaucoup de parcimonie.
Entretemps, la star déchue mais n’ayant rien perdu de sa superbe puisque le cinéma français suivait le même chemin avait divorcé de son richissime et généreux comte et s’était remariée avec le peintre Alejo Vidal Quadras. Portraitiste des têtes couronnées, lui-même issu de la très haute bourgeoisie espagnole. Le couple s’exilant dans le midi et madame reprenant elle aussi ses pinceaux, on se moqua encore un peu de cette bohème très dorée. On avait pris l’habitude.
Depuis 1950 Tilda était de celle que l’on égratigne volontiers comme Sheila, Mireille Mathieu ou Dalida. Une légende tenace fera même d’elle une handicapée de la poliomyélite ne se déplaçant que très difficilement et très lentement pour masquer son handicap. Ceux-là n’étaient pas au festival de Berlin en 1958! De ci de là, on revoyait Tilda.
En 1950 on avait beaucoup parlé de son film « La porte d’orient ». C’était un nanar sans ambition et personne n’en doutait. Mais c’était le premier film en greva color. L’Europe était terriblement à la traîne en matière de films en couleurs. Le technicolor était synonyme de production américaine de prestige. C’est la firme belge Gevaert qui avait mis ce procédé au point. Après un galop d’essai « La maison de printemps » avec Claudine Dupuis, « La porte d’Orient » est la première superproduction française en couleurs, tournée en décors naturels à Marseille. Hélas pour Tilda et pour Nathalie Nattier, leurs prestations furent sacrifiées au profit des vues panoramiques sur la mer et dans les rues pittoresques de la cité phocéenne.
Depuis 1950 elle évoquait régulièrement son intention de passer à la mise en scène et d’enfin porter à l’écran son « Oeuvre ».
Elle se décida enfin au début des années 70 et mit en scène son film qu’elle interpréta et produisit: « l’Appel ». Le résultat un peu maladroit fut traîné dans la boue et ridiculisé tout en étant qualifié de pornographique. On estima que c’était là un caprice un peu exhibitionniste d’une femme riche. Or Tilda avait mis toute son âme et son coeur dans son film et elle y croyait plus que tout. Ce furent peut-être les critiques qui lui firent le plus mal de sa vie car elle y avait mis toute sa sincérité et voyait ce film comme un cadeau fait aux autres et non comme une oeuvre nombriliste. Tilda Thamar restera incomprise comme le sont souvent les trop riches et toujours les trop belles.
Certes Tilda n’a pas réalisé « La Guerre des Etoiles » mais il n’est pas interdit de voir en son film l’expression d’un réel talent d’artiste et il vaut bien un ennui quelconque d’Antonioni.
Tilda Thamar dont le monde a bien dû admettre qu’in fine elle avait plus de talent de peintre et d’actrice qu’on avait bien voulu lui en reconnaître perdra la vie fauchée dans un accident de voiture le 12 Avril 1989 à Clermont en Argonne. Un petit patelin dans la Meuse. Le soleil argentin s’éteignait dans le fracas d’un carambolage survenu dans les froids brouillards du nord. Triste époque.
En Argentine la nouvelle de sa fin brutale fut un véritable électrochoc. Bientôt une rue porterait son nom pour que les argentins n’oublient jamais la plus brillante de leurs étoiles qui avait ensorcelé le Paris des années 50. Dans sa petite ville natale un musée lui est consacré. Tilda n’avait que 67 ans.
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1936: Don Quijote del Altillo: Avec Nuri Montsé et Luis Sandrini
1942: Nahuel Haupi : Documentaire sur le parc national Nahuel Haupi présenté par Tilda
1942: El Pijama de Adán: Avec Mary Capdevilla et Fernando Campos
1945: La Señora de Pérez se Divorcia: Avec Mirtha Legrand et Juan Carlos Thorry
1946: Un Modelo de Paris: Avec Pedro Quartucci
1949: Ronde de Nuit: Avec Noël Roquevert et Julien Carette
1951: Porte d’Orient: Avec Yves Vincent et Nathalie Nattier
1952: Massacre en dentelles: Avec Raymond Rouleau et Anne Vernon
1953: Monsieur Scrupule, Gangster: Avec Howard Vernon, Yves Vincent et Dora Doll
1956: Paris Canaille: Avec Dany Robin et Daniel Gélin
1956: les Pépées au Service Secret: Avec Claudine Dupuis et Louise Carletti
1956: le Chanteur de Mexico: Avec Luis Mariano et Bourvil
1956: Paris, Palace Hôtel: Avec Françoise Arnoul et Charles Boyer
1957: Une nuit au moulin rouge: Avec Noël Roquevert et Jean Tissier
1958: Incognito: Avec Eddie Constantine et Danick Patisson
1958: Chéri fais-moi peur: Avec Darry Cowl et Pierre Mondy
1958: El Festín de Satanás: Avec Vicky Astory et Luis Arata
1973: Un Ange au Paradis: Avec Bulle Ogier, Catherine Samie et Michel Aumont
1974: l’Appel: Avec Michel Lemoine
1987: Faceless: Avec Brigitte Lahaie, Stéphane Audran et Helmut Berger