Teresa Wright est une actrice qui fut tellement en avance sur son temps qu’elle en rata peut-être une carrière brillant entre toutes.
Le 27 Octobre 1918 on se prépare à fêter l’armistice de la « grande guerre », dite aussi la « der des der » et à Harlem, New-York, Martha et Arthur Wright fêtent la naissance de leur petite Muriel Teresa. Cette félicité ne durera pas car Martha et Arthur se sépareront alors que Teresa est encore très jeune et c’est à Maplewood dans le New-Jersey qu’elle grandira.
C’est là qu’un soir, la sage collégienne qu’elle était devenue eut la permission d’aller au théâtre applaudir la star Helen Hayes en tournée. Elle avait dix-huit ans. Cet événement relativement banal sera pourtant le détonateur d’une passion qu’elle gardera chevillée au cœur jusqu’à son dernier souffle. Dès cet instant, elle sut qu’elle serait actrice. Et en attendant il fut hors de question qu’un seul spectacle de collège ne se déroule sans elle!
En 1938 elle a vingt ans. Ses études sont terminées et elle gagne New-York attirée comme une alouette par les lumières de Broadway. Elle ne trouvera guère qu’un emploi de doublure pour Martha Scott qui joue alors « Our Town » au théâtre Henri Miller, aujourd’hui devenu le théâtre Stephen Sondheim. Rien de bien palpitant si ce n’est le départ de Martha Scott pour Hollywood! Teresa reprit le rôle et le miracle survint. Un de ces miracles qui n’existent que dans les comédies musicales.
Son spectacle suivant « Life with Father » va connaître un succès foudroyant. La pièce tiendra l’affiche sept ans, un record toujours inégalé pour un spectacle non musical à Broadway. Un succès tel que Samuel Goldwyn, de passage à New-York vint voir la pièce, histoire de juger de l’intérêt d’en acheter les droits pour en faire un film. Mais plus que la pièce de Clarence Day jr. C’est Teresa qui le subjugua littéralement. Inutile de dire que Teresa ne jouera pas la pièce sept ans. Un an après l’ouverture, elle débutait à Hollywood. Elle avait en poche un contrat de cinq ans, un des plus étranges jamais signés à la MGM.
Il était de bon ton pour les acteurs de Broadway de mépriser Hollywood et sa publicité. Ils avaient une sorte de « supériorité intellectuelle » très condescendante vis à vis de ce système trop « commercial » à leurs yeux. Et ceci n’empêchant pas une joyeuse contradiction dès que ces messieurs dames étaient conviés…A Hollywood, contrat, dollars, piscines et Cadillac à l’appui!
Teresa Wright ne faisait pas exception à la règle et elle fit le plus sérieusement du monde spécifier noir et blanc et en toutes lettres sur ledit contrat d’amusantes clauses telles que:
« Miss Wright ne posera pas avec un bonnet de fausse fourrure à longues oreilles de lapin pour Pâques
Miss Wright ne posera pas avec des dindes mortes pour Thanksgiving
Miss Wright ne posera pas dans de la fausse neige en singeant une chute de ski
Il y en avait une dizaine comme cela, toutes du même acabit et qui dénotent assez de son état d’esprit en arrivant à Hollywood. Goldwyn prit-il ces restrictions contractuelles exigées par sa nouvelle recrue pour des enfantillages, je l’ignore, mais quoi qu’il en soit il fit d’elle la fille d’Herbert Marshall et de Bette Davis empruntée pour l’occasion à la Warner dans « Little Foxes ».
Miss Davis profita d’être hors de son studio pour donner sa pleine mesure, se créant un personnage digne d’une sorcière Disney, le masque blafard, la lèvre tranchante comme un coup de lame de rasoir et la tête surmontée d’une coiffure toute en hauteur et bouclettes digne de la fiancée de Frankenstein! Le film fit un succès colossal et immédiat! Il battit les records d’affluence pour un premier jour de projection et les critiques se pâmèrent « Vous allez adorer ce film mais il ne vous réconciliera pas avec le genre humain » « Un film entièrement fait de coups de poignards dans le dos » Une pluie de nominations aux Oscars s’abattit sur « Little Foxes » et Tersa Wright en faisait partie. Le film rentra hélas complètement bredouille. Bette Davis fut évincée par Joan Fontaine paranoïaque à souhait dans « Soupçon » et c’est Mary Astor qui souffla l’Oscar à Teresa Wright et Patricia Collinge, toutes deux nommées pour le même film dans le même catégorie.
Sans doute le contrat de Teresa spécifiait-il que « Miss Wright ne se confondra pas en remerciements émus et sirupeux parce qu’on lui offre une statuette dorée d’une laideur assez rare »
La nouvelle venue, nommée d’emblée pour sa première apparition à l’écran va pourtant se fendre d’une prouesse assez rare elle aussi! L’année suivante elle est nommée deux fois! En qualité de meilleure actrice pour son rôle dans « The Pride of the Yankees », Oscar qui cette fois lui est raflé par Greer Garson qui jouait sa belle-mère dans « Mrs Minivers ». Mais qu’à cela ne tienne, Teresa était également nommée en second rôle pour avoir joué…La belle-fille de la dite Greer Garson dans ce même « Mrs Minivers » et cette fois fut la bonne! Teresa Wright emporte l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle sous les nez dépités de Susan Peters, Agnès Moorhead et Dame May Witty!
Dans la foulée de cette année 1942 qui lui fut si profitable, Teresa Wright avait épousé le romancier et scénariste Niven Busch de 15 ans son aîné et avec qui elle restera mariée dix ans. Le couple s’était rencontré sur le tournage de « Pride of the Yankees », film sur le base ball et non un western comme son titre pourrait le laisser supposer! Le couple aura deux enfants: Terrence né en 1944 et Mary Kelly née en 1947. Niven Bush a également deux fils d’un précédent mariage: Peter et Tony pour qui elle sera une belle-mère parfaite.
Il lui aura fallu deux ans à peine pour atteindre les sommets les plus absolus. William Wyler qui l’avait dirigée pour ses débuts dans « Little Foxes » ne tarit pas d’éloges et essaie de l’avoir dans ses distributions chaque fois qu’il le peut. Bientôt c’est Alfred Hitchcock qui loue sa grande intelligence, peut-être l’actrice la plus intelligente qu’il a dirigée dit-il. Ici une petite pensée émue en souvenir de la tête qu’a dû faire Joan Fontaine!
Durant près d’une décennie, Teresa Wright va rester une actrice de premier plan à Hollywood malgré une grave opération qui la maintiendra de longs mois éloignée des écrans. Revenue le temps d’un film avec Gary Cooper, elle s’éloigna de nouveau, pour cause de maternité cette fois.
De nouveau à pied d’œuvre, la Metro la prête encore, cette fois à la Paramount pour deux films avec Ray Milland. Mais cette fois encore la rythme effréné des deux tournages épuise ses forces. Elle est à nouveau alitée plusieurs mois. Elle n’est donc pas une star très fiable pour le studio puisque sa santé l’oblige à de très longes absences ce qui rend difficile la planification d’un plan de carrière. Et même d’un plan de travail pour un studio qui fonctionne comme une usine dont les acteurs sont des rouages.
Elle ne deviendra jamais une star. La faute, d’ailleurs lui en incombe probablement. Très impliquée dans la profondeur psychologique de ses personnages, elle est une des premières, quinze ans avant Marilyn Monroe à vouloir être une actrice intellectuelle et libre de ses choix. Captivée par le rôle que son mari écrit pour elle dans « Purchase », tout ce qu’on lui propose lui semble d’une fadeur lassante et elle est également une des premières à accepter des seconds rôles si elle les juge valables. C’est ce qui lui permet de briller dans « The Best Years of Our Lives » , excellent film et très bon rôle, mais où les noms de Myrna Loy et Virginia Mayo précèdent le sien sur l’affiche.
Elle est aussi une actrice qui n’a que fiche du glamour hollywoodien pourtant indispensable. Elle est déjà oscarisée lorsqu’à la fin d’un dîner officiel, un des producteurs de la MGM qui a passé la soirée assis à côté d’elle a table lui dit en guise d’au revoir « J’ai passé une délicieuse soirée, vous êtes une femme à la conversation enchanteresse et en plus vous avez un petit quelque chose de Teresa Wright! »
Lorsqu’elle est prêtée à la RKO pour « Les Plus Belles Années de notre Vie » on lui a réservé un place de parking juste devant l’escalier qui mène à sa loge. Mais lorsque Teresa s’y gare, elle se fait rabrouer par un garde qui éructe « Vous ne savez pas lire? Vous ne voyez pas que cette place est strictement réservée à miss Teresa Wright? Débarrassez les lieux tout de suite et que je ne vous y reprenne pas, il y a assez de place pour se garer dans la rue! »
A force d’envoyer bouler Samuel Goldwyn, le torchon finit par brûler entre l’actrice et son studio. En 1948 son contrat est rompu. Goldwyn déclare qu’il a besoin d’un « minimum de coopération chez ses acteurs et ses actrices pour gérer un studio« . Teresa répond: « Monsieur Goldwyn m’a très bien payée pour tourner dans ses films mais pour une actrice l’argent n’est pas tout! Je me fiche de perdre mes 5.000$ hebdomadaires et j’annonce ici que je suis prête à tourner pour bien moins cher qu’auparavant si le rôle en vaut la peine! »
Résultat, au lieu de ses 125.000$ par film, elle doit attendre deux ans avant de tourner « The Men » pour 20.000$!
A l’aube des années 50, le cinéma indépendant n’existe pas à Hollywood et tous les plus grands talents sont sous contrat et ravis de l’être dans les principaux studios. Teresa Wright est en fait la première actrice hollywoodienne du cinéma indépendant qui n’existe pas encore. Elle sera dès lors confinée dans des films bien plus médiocres que ceux qu’elle avait tournés durant sa période MGM et même si ses prestations sont toujours saluées, les films sont des fours. Bientôt l’actrice se réfugiera à la télévision et malgré sa soif de perfection elle finira dans « Bonanza », « Mannix » , « Murder she Wrote »ou « La Croisière s’amuse »!
En 1959, Teresa se remarie pour la seconde fois, avec le dramaturge Robert Anderson. Le couple divorcera en 1978 mais restera lié jusqu’à la mort. C’est lui qui incitera Teresa à regagner Broadway où elle glanera ses plus prestigieux lauriers à partir des années 60.
Teresa Wright a réussi le plus beau suicide artistique de toute l’histoire de Hollywood! Le temps passant, elle se laissera vieillir sans beaucoup de complaisance. La simple idée de masquer ses cheveux gris lui semblait le comble de la science fiction! Elle retrouva Broadway où elle fut acclamée comme elle le méritait. Et puis enfin le cinéma va se libérer des studios qui finissent par disparaître. Teresa Wright assiste à leur agonie et leur survit. La vielle dame qu’elle est devenue pourra enfin jouer les mamies pour des cinéastes comme Francis Ford Coppola ou James Ivory.
Le temps passant, Teresa Wright se retira, certes, mais jamais tout à fait. Elle s’installa dans une jolie propriété du Connecticut. Elle deviendra une alerte grand’mère et quelle ne sera pas sa fierté d’avoir un petit fils, Jonah qui produira les films du cinéaste très engagé Darren Aronofsky!
Une dernière anecdote émaille la carrière de cette actrice aussi excellente qu’atypique: Alors qu’elle avait été la vedette féminine de « Pride of the Yankees » avec Gary Cooper en 1942, elle n’avait jamais vu un match de base-ball de sa vie et ne savait même pas avec exactitude ce que c’était!
En 1998, Jonah accompagne sa grand’mère de 82 ans au Yankee Stadium où elle donne le coup d’envoi de la nouvelle saison. Pour elle c’est une découverte et elle se passionnera pour le base ball comme n’importe quel gamin américain jusqu’au dernier de ses jours!
Il viendra par un triste matin, le 6 Mars 2005 où une crise cardiaque emporte Teresa Wright dans sa chère maison du Connecticut. Elle avait 86 ans et s’éteignait heureuse.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1941: The Little Foxes: Avec Bette Davis et Herbert Marshall
1942: Mrs Minivers: Avec Greer Garson et Walter Pidgeon
1942: Pride of the Yankees: Avec Gary Cooper
1943: Shadow of a Doubt: Avec Joseph Cotten
1944: Casanova Brown: Avec Gary Cooper
1946: The Best Years of Our Lives: Avec Myrna Loy, Fredric March et Dana Andrews
1947: The Imperfect Lady: Avec Ray Milland
1947: The Trouble with Women: Avec Ray Milland
1947: Pursued: Avec Robert Mitchum
1950: The Men: Avec Marlon Brando
1952: The Steel Trap: Avec Joseph Cotten
1952: Something to Live For: Avec Joan Fontaine et Ray Milland
1952: California Conquest: Avec Cornel Wilde
1953: Count the Hours: Avec Macdonald Carey, Dolores Moran et Adèle Mara
1954: Track of the Cat: Avec Diana Lynn, Robert Mitchum et Tab Hunter
1956: The Search for Bridey Murphy: Avec Louis Hayward
1957: Escapade in Japan: Avec Cameron Mitchell
1958: The Restless Years: Avec John Saxon, Sandra Dee et Margaret Lindsay
1969: Hail, Hero!: Avec Michael Douglas, Arthur Kennedy et Peter Strauss
1969: The Happy Ending: Avec Jean Simmons et Shirley Jones
1977: Roseland: Avec Lou Jacobi
1980: Somewhere in Time: Avec Jane Seymour et Christopher Reeves
1988: The Price of Passion: Avec Diane Keaton et Liam Neeson
1997: The Rainmaker: Avec Claire Danes et Matt Damon