Le 10 Juillet 1927, (et non 23 comme clamé sur tous les toits) naît à Ottawa, dans l’Ontario canadien, celle qui deviendra au cinéma Suzanne Cloutier mais qui est alors pour l’état civil Suzanne de Mortagne. Avec un peu de sang irlandais dans les veines, tant qu’à faire, Suzanne est la fille d’un ancien ministre également connu en son pays comme journaliste.
Cette gracieuse jeune personne fera de très honorables études à Montréal et songera très sérieusement à prononcer ses vœux et devenir religieuse. Mais comme pour bon nombre d’actrices illustres, il suffit à la jeune fille de briller un tant soi peu dans un rôle lors d’une représentation scolaire, et la voilà fermement décidée à troquer sa future cornette contre un rôle à défendre.
Comme on le sait, New-York est à un saut de puce de Montréal et tous les Canadiens parlent parfaitement l’anglais. Pourquoi dès lors, avec une aussi sensationnelle beauté ne deviendrait-elle pas une star de Broadway? Sans doute, mais cette supposition n’engageait qu’elle, parce que Broadway ne l’attendait pas. Ce qui ne l’empêcha pas de casser sa tirelire et boucler ses valises!
Suzanne n’eut par contre aucun mal à trouver sa place dans de prestigieuses agences de mannequins et devint une cover girl très cotée.
Et comme de bien entendu son gracieux minois en couverture d’un magazine attira l’attention d’un ponte d’Hollywood. A savoir le réalisateur George Stevens. La délicieuse créature fut convoquée, traversa les USA d’un bout à l’autre pour aller passer son test à Hollywood. Test qu’elle réussit et qui lui ouvrit toutes grandes les portes des studios. Quelques semaines plus tard, elle partageait l’affiche de son premier film avec Merle Oberon et Georges Brent! « Temptation »
Si la carrière de Suzanne (devenue Cloutier) s’était arrêtée là, son histoire mériterait déjà d’être contée. Pensez donc: La petite canadienne si sage qui rêvait de couvent gagne New-York, devient l’égérie des couturiers et l’idole des photographes jusqu’à ce qu’un de ses portraits lui ouvre les portes d’Hollywood! On croit rêver, non? ou tout du moins revivre plus ou moins les parcours de Susan Hayward ou Lauren Bacall! Mais la vocation théâtrale de cette très belle demoiselle était bien plus sérieuse qu’elle n’en avait l’air. Les ors et les pourpres d’Hollywood ne l’impressionnèrent que très modérément. Pour elle le cinéma ce n’était pas jouer, c’était travailler.
Dès que son contrat le lui permit, elle signa pour intégrer la troupe de Charles Laughton, joua les classiques en tournée, triompha en Juliette puis signa avec une troupe francophone, celle de Louis Jouvet sur une recommandation de Laughton.
Et une fois encore, son destin va prendre une tournure exceptionnelle. En tournée en France, elle est applaudie un soir par Julien Duvivier qui l’avait déjà rencontrée à Hollywood et croyait qu’elle y était toujours. Duvivier lui offre le rôle principal de son film en préparation: « Au Royaume des Cieux » face à Serge Reggiani. Aussitôt Marcel Carné lui emboîte le pas et lui offre à son tour un rôle principal face à Gérard Philipe dans « Juliette ou a Clé des Songes », deux titres qui lui vont si bien au teint.
Ainsi la petite canadienne sage et pieuse avait été une reine de New-York, une actrice d’Hollywood, elle était maintenant une vedette française!
Et…Ça ne faisait que commencer! Suzanne remonte sur les planches, dans l’adaptation française d’une pièce d’Orson Welles. Orson qui vient la voir et qui tombe sous le charme, voyant immédiatement en elle la Desdémone du « Othello » filmé qu’il prépare. En réalité, même si Orson feint de la découvrir, il l’avait vue au cinéma dans le film de Duvivier et il était sorti de la salle en clamant à tout va qu’il avait enfin dégotté sa Desdémone. Et ce après avoir dit pis que pendre des quatre comédiennes qu’il avait d’abord envisagées
Le tournage allait durer dix-huit mois! Welles tournant avec ses propres deniers est souvent à cours de ressources et promène son équipe de Marrakech à Essaouira, alors Mogador puis à Venise en passant par Cinecitta à Rome pour ses intérieurs.
Suzanne Cloutier avait quitté Montréal en 1945, Nous étions en 1950. En 1951 le film d’Orson Welles faisait d’elle une star même si le tournage à rallonges l’avait empêchée de tourner en Inde pour Renoir. C’est le cinéma anglais qui ensuite la sollicitait pour deux films. Si le premier, « Derby Day » fit un four, le second, « Doctor in House » pulvérisa tous les records. La belle qui avait le goût des génies fit la connaissance de Peter Ustinov! Les charmes de Georges Brent et de Gérard Philipe avaient laissé l’adorable créature de glace, mais elle succomba à ceux de Peter Ustinov dont elle devint la femme en 1954.
Mais en attendant ces épousailles, Suzanne fut sollicitée, une nouvelle fois par Hollywood. La Paramount la réclamait à corps et à cris pour un film où elle aurait comme partenaires Humphrey Bogart et Alan Ladd. Tout était prêt, la Paramount lui avait même loué et préparé un ravissant appartement à deux pas du studio! C’est qu’elle n’était plus la « petite découverte entre deux pages de magazines » de la dernière fois! Elle était une star internationale! Le scénario de « Golf Persique » lui plaisait, elle accepta et prit un avion qui ne faillit jamais arriver. Un ouragan fameux lui procura la peur de sa vie et la « star Paramount » débarqua tremblante comme une feuille et toute aussi verte!
Alan Ladd finira par refuser le film, on prévint Suzanne qu’on lui cherchait un autre partenaire puis on préféra chercher un autre scénario!
Ce chassé croisé américain nous amène donc on mariage de Suzanne et Peter Ustinov et au refus de l’actrice de s’engager pour 7 ans avec des indécis pareils!
Le couple aura trois enfants, ce qui éloignera la belle Suzanne des écrans, ce qui est impardonnable dans ce métier.
En 1971, Les Ustinov divorcent et ceux qui crurent avec un sourire jusqu’aux oreilles que Suzanne Cloutier reprendrait sa carrière brillantissime là où elle l’avait laissée en furent pour leurs frais. Elle laissa retomber sur elle le lourd rideau de l’anonymat.
Elle tournera un ultime film, canadien, celui-là, histoire sans doute de boucler la boucle, « La Comtesse de Bâton Rouge » puis décède dans son Ontario natal le 2 Décembre 2003, emportée par le cancer du foie à 76 ans
Celine Colassin
QUE VOIR?
1946: Temptation: Avec Merle Oberon et Georges Brent
1949: Au Royaume des Cieux: Avec Serge Reggiani, Suzy Prim, Juliette Greco et Monique Melinand
1951: Juliette ou la Clé des Songes: Avec Gérard Philipe
1952: Derby Day: Avec Anna Neagle et Michael Wilding
1954: Doctor in House: Avec Dirk Bogarde, Muriel Pavlov et Kay Kendall
1962: Romanoff et Juliette: Avec Sandra Dee, John Gavin et Peter Ustinov
1998: La Comtesse de Bâton Rouge: Avec Robin Aubert et Geneviève Brouillette.