Arrivée un peu tard pour prendre part à la grande farandole des grandes divas italiennes, Stefania Sandrelli sut non pas imposer une image ou une personnalité, mais une carrière. Ce qui est encore nettement plus méritoire. Surtout dans un cinéma national qui n’allait pas tarder à entrer en agonie.
Stefania Sandrelli vient au monde le 5 juin 1946 à Viareggio en Toscane.
Viareggio est une aimable station balnéaire baignée par les eaux de la mer tyrrhénienne et dont le carnaval aux chars de papier mâché est aussi célèbre dans la péninsule que celui de Venise. Les parents de la jeune Stefania, Florida et Otello, hôteliers respectés, ont déjà un fils de 7 ans l’aîné de la petite dernière. Une enfance qui a tout pour être baignée de soleil mais le drame frappe la petite famille. Otello meurt alors que Stefania n’a que huit ans. Orpheline de père, la petite Stefania se réfugie dans le rêve commun à toutes les jeunes filles italiennes de son temps: le cinéma. Nous sommes dans les années 50 ce sont les grandes heures de Gina de Sophia de Silvana, Stefania rêve…
Elle rêve surtout à Marcello Mastroianni. Pour la sortir un peu du marasme boudeur qui sera celui des filles de sa génération, son frère l’incite à sortir. Musicien lui-même il lui fait prendre des cours de danse et Stefania apprend aussi l’accordéon.
Et puis, à l’été 1960, tout change. Même s’ils se démodent, l’Italie est encore la terre promise des concours de beauté. Et lorsque « Miss Cinéma » débarque à Viareggio pour distraire les estivants, Stefania n’y tient plus. Elle a 14 ans, elle s’en fiche, elle s’inscrit, elle gagne! Elle est miss cinéma Viareggio 1960″ Une victoire qui lui vaut la couverture du magazine ORE.
Jusque là, maman Florida avait bien fait la moue mais miss cinéma c’était bon pour le commerce. Mais lorsque miss cinéma et ses 14 ans furent très officiellement appelés pour un bout d’essai à Cinecitta il n’en alla plus du tout de même! Certes, le réalisateur Mario Sequi n’était pas Vittorio de Sica et Tod Windsor comme partenaire ce n’était pas Marcello Mastroianni. Mais enfin, c’était un rôle! Un rôle dans un film. Un film qu’avaient accepté Magali Noël et Nadia Gray, ce n’était pas rien même si ce n’était pas grand chose.
Mamma Florida dit non et ce fut un non définitif! Même s’il avait fallu glapir NON au nez de Fellini qui aurait voulu de Stefania pour incarner la Joconde ça serait resté NON, NON et NON!
C’est alors que son grand frère prit une décision qui stupéfia la famille. Il fourra quelques affaires dans une valise, agrippa Stefania par le bras, fourra le tout dans sa Fiat et prit la route vers Rome avec le tout. Il ne s’arrêterait que dans le bureau de Mario Sequi!
Stefania ferait son film et aurait même le privilège de se pâmer dans les bras de Sami Frey en pleine affaire Bardot!
Stefania et ses 14 ans n’avaient toujours pas compris ce qui leur arrivait qu’elle avait déjà tourné un deuxième film et se retrouvait sollicitée pour tourner avec Marcello Mastroianni dans ce bijou de la comédie italienne qu’allait être « Divorce à l’Italienne ». Cette fois, Mamma Florida pouvait menacer de démonter la maison pierre par pierre si elle ne rentrait pas, il n’en était plus question! Marcello!
Stefania inscrivit donc dès son troisième film et avant d’avoir 15 ans son nom au générique d’un chef d’œuvre. Ce dont elle n’eut conscience à aucun moment, trop occupée à dévorer le beau Marcello de tous ses yeux, épiant tous ses mouvements, tentée même par le trou de serrure de sa loge. Marcello étant un gentleman il fit mine d’ignorer les grandes manœuvres de la nymphette énamourée. Mais lorsqu’ils se retrouveront des années plus tard et deviendront des amis, Marcello ne se fera pas faute d’imiter la jeune Stefania aux manœuvres ce qui fera rougir jusqu’aux cheveux l’adulte qu’elle sera devenue.
« J’étais une petite fille, je n’avais aucun repère aucun métier je n’existais que dans le regard des autres et je ne m’occupais que de ma beauté. mon maquillage ma coiffure mes robes c’est tout ce que je connaissais, c’est tout ce que le cinéma voulait dire pour moi »
Si Stefania n’est pas encore l’actrice chevronnée qu’elle deviendra, elle fait bien de s’occuper de sa beauté. Le cinéma italien voit en elle la jeune fille, la nymphette, la Lolita parfaite que tout mâle rêve de séduire. L’air éternellement boudeur avec ses grands yeux verts de panthère ensommeillée, le physique et la présence de la jeune actrice suffisent pour l’heure au cinéma italien et à son mâle public qui voient en elle la parfaite jeune vierge du cinéma.
En 1963 elle tournera cinq films et va devenir une des vedettes italiennes les plus sollicitées pour les coproductions françaises. Parfois sauvageonne souvent jeune fille de bonne famille à l’éducation guindée, tous ses personnages enflamment les mâles environnants l’air de ne pas y toucher. C’est l’actrice elle-même qui va donner un coup de pied dans ce joli château de cartes roses pour romans photos.
Dans la vie, Stefania a fait la rencontre de l’auteur compositeur chanteur Gino Paoli. Paoli est son aîné de 12 ans mais surtout il est depuis des années plongé au cœur d’une passion tourmentée avec la chanteuse Ornella Vanoni. Une relation destructrice et mortifère entre deux artistes en quête d’absolu. Gino Paoli tentera de mettre fin à ses jours en se tirant une balle dans le cœur et réussira à se louper.
Étonnant dans un tel tumulte qu’il ait croisé la route de la juvénile Stefania, elle a 17 ans. Elle a 17 ans, ils vont s’aimer. Stefania va tomber enceinte et refusera de se faire avorter, chose qui ne lui traversa probablement même pas l’esprit.
Et c’est ainsi que l’Italie estomaquée apprit un beau matin que la vierge idéale avait enfin 18 ans et était fille mère d’une petite Amanda qui serait donc pour l’état civil Amanda Sandrelli. Une Italie catholique et puritaine ou le divorce est interdit! Stefania avait fait fort! Le scandale fut tel en 1964 qu’aujourd’hui encore, la page Wikipédia italienne de Stefania Sandrelli la prétend mariée avec Gino Paoli!
Mais l’Italie de 1964 tente de se dépêtrer de ses lois rétrograde et sa morale confite en religiosité. On suit d’heure en heure le drame de Sophia Loren qui ne peut épouser Carlo Ponti marié, cet autre drame de Dawn Addams empêtrée des années durant dans un mariage désastreux. Toute une partie de la population va considérer Stefania Sandrelli comme une frondeuse, une héroïne, une féministe. Le cinéma dont la morale stricte aurait condamné ses portes quelques années plus tôt à une actrice fille mère fait pleuvoir des contrats sur sa jolie tête de jeune maman.
Stefania vivra tout ce tumulte d’une manière plutôt détachée. Fellini l’a convoquée en casting pour lui offrir un rôle dans « Juliette des Esprits » alors qu’elle était enceinte. Elle s’était rendue au rendez-vous tétanisée à l’idée que le maître se rende compte de son état. Et de fait il ne la rappela jamais. Elle ne tournera d’ailleurs jamais pour lui. Mais si Fellini ne la rappela pas, c’est tout simplement parce qu’il avait supprimé le rôle du script définitif.
Stefania Sandrelli va devenir une véritable star des années 60. Actrice au talent de plus en plus affûté elle ne déteste pas jouer les pin-up en bikini. mais elle met surtout un point d’honneur à faire de sa petite Amanda une petite fille heureuse, bien plus heureuse que tous ces enfants aux parents empêchés de divorcer par une loi inique et rétrograde. Stefania Sandrelli fit-elle évoluer les choses? Rien n’est moins certain mais elle fut la preuve heureuse et flamboyante que les choses pouvaient être différentes que dans un carcan religieux, moralisateur et bourgeois!
Les années 70 virent inexorablement le cinéma italien péricliter et glisser vers un cinéma de plus en plus érotisé et à la qualité de plus en plus douteuse. Elle abordera la décennie en vivant une expérience particulièrement difficile. Elle est avec Dominique Sanda la partenaire de Jean-Louis Trintignant dans « Le Conformiste ». Quelques jours après le début du tournage l’acteur perd sa petite fille Pauline. Fou de douleur, pour ne pas mourir, il continue le tournage. Dans cette ambiance très particulière, l’acteur se fond dans son personnage et emporte avec lui ses partenaires. ils donneront tous les trois une des plus brillantes performances de leur carrière. Stefania se souviendra de son travail sur le film comme d’un « gouffre suspendu en dehors de la réalité ». Jean-Louis Trintignant lui restera d’une grande fidélité. Ils tourneront ensemble « Le Voyage de Noces » et lorsqu’il passe à la réalisation de son deuxième film « Le Maître nageur », c’est à elle qu’il confie le premier rôle féminin. Et si le film est raté, ce n’est pas la faute de Stefania qui s’y montre solaire et resplendissante.
Au fil du temps Stefania a tourné avec Marcello Mastroianni bien sûr, mais aussi avec Trintignant, Vanel, Frey, Gassman, Belmondo, Blain, Tognazzi, Montand, Aznavour, Hoffman, Nero et puis encore avec Catherine Deneuve, Pénélope Cruz ou Liv Ullmann. Que pouvait-on lui souhaiter de mieux?
Celine Colassin
QUE VOIR?
1961: Gioventù di notte: Avec Magali Noël et Nadia Gray
1961: Il federale: Avec Mireille Granelli et Ugo Tognazzi
1961: Divorzio all’italiana: Avec Marcello Mastroianni et Daniela Rocca
1963: Les Vierges: Avec Charles Aznavour et Gérard Blain
1963: La Bella di Lodi: Avec Angel Aranda
1963: L’aîné des Ferchaux: Avec Jean-Paul Belmondo et Charles Vanel
1964: La Chance et l’Amour: Avec Dani et Paulette Dubost
1965: Io la conoscevo bene: Avec Jean-Claude Brialy
1966: Tendre Voyou: Avec Jean-Paul Belmondo et Nadja Tiller
1967: L’Immorale: Avec UgoTognazzi
1968: Partner: Avec Tina Aumont et Pierre Clementi
1969: L’amante di Gramigna: Avec Gian Maria Volonte
1970: Il conformista: Avec Jean-Louis Trintignant et Dominique Sanda
1970: Brancaleone alle crociate: Avec Vittorio Gassman
1972: Alfredo, Alfredo: Avec Dustin Hoffman
1974: C’eravamo tanto amat: Avec Vittorio Gassman et Nino Manfredi
1976: Police Python 357: Avec Yves Montand et Simone Signoret
1976: Le Voyage de Noces: Avec Jean-Louis Trintignant
1976: Les Magiciens: Avec Franco Nero et Jean Rochefort
1976: Quelle strane occasioni: Avec Beba Loncar
1979: Le maître-nageur: Avec Guy Marchand et et Jean-Claude Brialy
1980: La terrazza: Avec Jean-Louis Trintignant et Vittorio Gassman
1981: La disubbidienza: Avec Jacques Perrin et Marie-José Nat
1982: Eccezzziunale… veramente: Avec Diego Abatantuono
1983: La Clé: Avec Frank Finlay
1986: Speriamo che sia femmina: Avec Catherine Deneuve et Liv Ullmann
1987:Noyade Interdite: Avec Elizabeth Bourgine et Philippe Noiret
1987: La Famiglia: Avec Fanny Ardant et Vittorio Gassman
1987: Gli Occhiali d’Oro: Avec Philippe Noiret et Rupert Everett
1989: Lo zio indegno: Avec Vittorio Gassman et Andrea Ferréol
1993: Per amore, solo per amore: Avec Penelope Cruz
1993: L’œil écarlate: Avec Jean-Louis Trintignant
1998: Le faremo tanto male: Avec Pino Quartullo
2001: L’amore probabilmente: Avec Sonia Bergamasco et Alida Valli
2002: L’ultimo Bacio: Avec Stefano Accorsi
2004: Te lo leggo negli occhi: Avec Teresa Saponangelo et Catherine Spaak
2008: Un giorno Perfetto: Avec Isabella Ferrari
2017: Questione di Karma: Avec Massimo de Lorenzo
2017: Il crimine non va in pensione: Avec Ivano Marescoti
2020: La Tristezza ha il sonno leggero: Avec Serena Rossi