Le cinéma français, lorsqu’il s’agit d’être oublieux n’a rien à envier aux courtes mémoires hollywoodiennes. Qu’on en juge par les ténèbres qui entourent aujourd’hui le nom de Nelly Borgeaud complètement oubliée de tout un chacun après une cinquantaine de films pour les plus grands ( Cayatte, Drach, Truffaut, Resnais, Bunuel, Miller, Chouraki, Vigne, Ozon) et deux nominations consécutives aux Cesar dans la foulée. Oui le monde est injuste, et qu’il soit filmé ou non n’y change hélas rien.
Cette charmante suissesse, genevoise de son état, naît au pays des alpages enneigés pour l’occasion le 29 Novembre 1931. Nelly Mary Borgeaud grandit donc nourrie au lait frais, au fromage à trous et au chocolat. Respirant le bon air de la mère partie mais rêvant pourtant à celui plus poussiéreux des salles de théâtre. Cette ravissante brunette assez extravertie sera une actrice et n’en démord pas! Après avoir réussi, toute jeune encore à grimper sur les scènes de Lausanne, sa famille déclara forfait. On la laissa gagner Paris pour y apprendre le sacro saint métier d’actrice et perdre cet accent helvétique qui faisait certes son charme mais aurait fait tache sur la bouche de Célimène!
Nelly débarqua donc dans la ville de tous ses rêves, devint blonde, posa pour de sérieux portraits cher Harcourt et apprit sagement son métier en attendant sa chance. Lorsque je dis « sagement » c’est un peu faux car dotée d’un certain tempérament et d’une audace tout aussi certaine, notre accorte suissesse se déchaînait à la moindre occasion, faisant feu de tout bois pour brûler les planches! Le plus dur serait donc de discipliner ce tempérament frondeur qui fera bien plus tard les délices de François Truffaut qui lui demandera de retrouver ce naturel pétaradant pour » L’homme qui Aimait les Femmes ». Nelly y donnera sa pleine mesure, telle une fabuleuse éruption volcanique! Ceux qui ne la connaissaient pas encore crurent que François Truffaut avait engagé une véritable folle pour son film!
En réalité, Nelly avait déjà tourné un court rôle pour François Truffaut . Une scène plutôt ingrate dans « La sirène du Mississippi ». Le réalisateur ayant conscience de ne pas l’avoir gâtée lui offrit un rôle bien plus intéressant dans « L’homme qui aimait les femmes ».
Mais n’anticipons pas. C’est André Cayatte, qui le premier fera confiance à la belle helvète et lui confiera un rôle dans « Dossier Noir », un de ses films les moins aboutis, mais avec Danièle Delorme, Jean-Marc Bory et Bernard Blier; Nelly a 22 ans lors du tournage et c’est déjà un peu tard pour briguer le rôles des jeunes premières. A l’époque les choses dans le cinéma bougent avec lenteur et passé dix-huit ans, on se rechigne à faire débuter les demoiselles déjà « trop vieilles ». Le temps qu’elles soient devenues célèbres elles auront 40 ans! Il faut donc, dans ces conditions, frapper un grand coup.
L’année suivante, elle devenait l’interprète de Luis Bunuel, et si le film ne connut qu’un succès d’estime intellectuelle, il plaçait quand même le nom de Nelly Borgeaud dans la cour des grands! Jouer pour Bunuel ce n’est quand même pas jouer pour Henri Decoin. Certes, une fois encore, Nelly avait un rôle mineur, Lucia Bosé et Simone Paris brillaient à l’affiche de « Cela s’appelle l’aurore ». Mais enfin, le CV de la jeune comédienne prenait du prestige à défaut de prendre une valeur commerciale. Notre héroïne mit alors les bouchées doubles, transita par l’Allemagne après cette coproduction franco-espagnole mais resta ensuite quatre ans sans se monter ou plus exactement trouver un rôle au cinéma. Après être apparue furtivement dans l’ombre du couple Pascale Petit Gianni Esposito en 1960, il faudrait attendre 1963 pour le retrouver.
Nelly Borgeaud se retourna alors vers ses amours premières: le théâtre. Elle joua tant et plus, les classiques comme le boulevard, en France comme en Suisse et s’engouffra à la télévision lorsqu’enfin on y fit appel à elle.
Mais son goût prononcé pour le théâtre lui avait donné en même temps le goût de la qualité et l’actrice visait dorénavant la perfection. Après avoir lutté pour débuter dans ce métier adoré, elle faisait maintenant la moue et rejetait les scénarii qu’elle trouvait indignes ou insipides. Tant pis si on ne la voyait aux écrans, petits ou grands qu’une fois tous les deux ou trois ans. Nelly Borgeaud ne serait pas une star de cinéma Tant pis se disait-elle. Et lorsque rien d’alléchant ne l’attirait dans les propositions qu’on lui faisait, et bien la dame passait alors à la mise en scène et initialisait ses propres projets!
La vie aurait pu continuer ainsi, riche et comblée jusqu’à la nuit des temps, partagée entre le cinéma, la télévision et son cher théâtre. Mais survint soudain l’épisode Truffaut! En 1969 le cinéaste la choisit comme on l’a vu pour rejoindre le plateau de « La Sirène du Mississipi » et la rappelle à nouveau en 1977 pour « L’Homme qui Aimait les Femmes » Nelly Borgeaud fut étourdissante, belle, drôle, effrayante. Le film fut un succès planétaire et à sa grande stupéfaction, cette actrice plus besogneuse que glamour fut nommée aux César!
Marie Dubois triompha ce soir là, mais Nelly était déjà partie rejoindre Jean Carmet, Michel Piccoli et Gérard Depardieu sur le plateau de Jacques Rouffio pour « Le Sucre ». Nelly Borgeaud qui ne s’y attendait plus avait gravi les sommets et fut à nouveau nommée aux Cesar l’année suivante pour son rôle dans le film de Rouffio. Cette fois Stéphane Audran en mère de Violette Nozières la coiffa au poteau. En 1980 c’est Alain Renais qui faisait appel à ses somptueux services pour « Mon Oncle d’Amérique » et cette fois le film se frayerait un chemin jusqu’aux Oscars après avoir triomphé aux USA. Nelly Borgeaud était devenue une véritable vedette internationale à défaut d’être une star planétaire.
Mais en 2000, après avoir été la mère de Pascal Greggory dans « La Confusion des Genres », C’est Nelly Borgeaud elle-même qui se trouble. Confuse, elle passe des examens médicaux, craignant un cancer. Le verdict tombe, plus grave encore, c’est la maladie d’Alzheimer qui a frappé l’actrice et qui bientôt l’emportera. Déjà consciente de son état elle tient quand même à son rôle de toubib au bord de la crise de nerf face à un Jean-Pierre Bacri qui n’en mène pas large dans « On connaît la chanson » d’Alain Resnais. Elle tournera un dernier téléfilm avec Mathilda May parce qu’elle s’y était engagée puis fera son dernier baroud d’honneur dans un court métrage au titre de circonstance « Haute Fidélité ».
Nous étions en 2001, Nelly Borgeaud tirera sa révérence définitive et se laissa oublier comme elle s’oubliait elle-même.
L’actrice s’éteignait dans la plus absolue discrétion le 14 Juillet 2004. Dans les flonflons du bal, la France ne prit pas le deuil, qui était Nelly Borgeaud?
Nelly Borgeaud avait été l’épouse du comédien Yves Vincent, épousé civilement le 22 Septembre 1955, à la mairie de Paris. Peu chichiteuse, Nelly portait un simple tailleur et un petit béret crânement posé sur ses cheveux blonds comme la Michèle Morgan du « Quai des Brumes ». Yves Vincent était de 10 ans son aîné et lui survécut jusqu’à l’âge vénérable de 92 ans..
Celine Colassin
QUE VOIR?
1955: Le Dossier Noir: Avec Danièle Delorme, Bernard Blier, Léa Padovani, Noël Roquevert et Jean-Marc Bory
1955: Hôtel Aldon: Avec Nadja Tiller et Sébastian Fischer
1956: Cela s’appelle l’Aurore: Avec Lucia Bosé et George Marchal
1960: Vers l’Extase: Avec Pascale Petit et Gianni Esposito
1963: Codine: Avec Françoise Brion
1969: La Sirène du Mississipi: Avec Catherine Deneuve et Jean-Paul Belmondo
1975: Parlez-moi d’Amour: Avec Nathalie Roussel, Andréa Ferréol et Louis Julien
1977: L’Homme qui Aimait les Femmes: Avec Charles Denner
1978: Le Sucre: Avec Michel Piccoli, Gérard Depardieu et Jean Carmet
1980: Une Femme au Bout de la Nuit: Avec Danièle Gégauff, Serge Marquand et José Luis de Villalonga.
1980: Mon Oncle d’Amérique: Avec Nicole Garcia, Roger Pierre et Gérard Depardieu
1984: Paroles et Musique: Avec Catherine Deneuve, Christophe Lambert et Richard Anconina
1989: Comédie d’été: Avec Jean-Claude Brialy et Maruschka Detmers
1990: Tumultes: Avec Bruno Cremer
1996: Stabat Mater: Avec Xavier Guittet
1997: On Connaît la Chanson: Avec Jean-Pierre Bacri