On pourrait sans le moindre problème non pas faire un film de la vie de Nathalie Paley, mais un soap qui durerait au moins aussi longtemps que Dallas. Il y a la matière! Mais qui pourrait incarner les célébrités qui jouèrent un rôle déterminant dans sa vie? De Charles Boyer à Greta Garbo en passant par Jean Cocteau, Marlène Dietrich et Katharine Hepburn?
Nathalie Paley naît Natalia Pavlovna, princesse Paley et comtesse von Hohenfelsen le 5 Décembre 1905 à Paris. Sa mère est en effet princesse et duchesse, son père est un grand duc. Elle a un frère Vladimir à qui la liera une véritable passion fusionnelle et une soeur Irène. Bien que russe, la famille vit à Boulogne dans un des plus luxueux hôtels particuliers qui soit et passe ses étés à Biarritz avec l’essentiel de l’aristocratie Russe. Biarritz où l’on possède également une fastueuse demeure. La petite Nathalie, enfant discrète et timide ne sait rien de cette Russie dont on parle tout le temps et que l’on vénère littéralement comme la sainte mère patrie de la famille. Or, cette élégante famille n’est pas la bienvenue sur la terre de ses ancêtres où elle possède pourtant chasses et palais. Le mariage entre le grand duc et la princesse avait été interdit par le tsar qui avait ce genre de prérogatives et l’on était passé outre et partis s’aimer et convoler en France.
En 1913, la guerre menaçant, le tsar pardonna. On regagna la sainte Russie que Nathalie découvrait pour la première fois à 9 ans et l’on faisait construire un nouveau palais plus au goût du jour près de Saint Pétersbourg. Vladimir le jeune frère de Nathalie devint prince en 1914 et rejoignit le régiment de cavalerie de son père afin de servir le Tsar, directement sous ses ordres. Ces dames restèrent au palais de Saint Pétersbourg et s’attelèrent à sa décoration. Tout était fin prêt lorsque les hostilités terminées, le grand Duc et son prince de fils revinrent de la guerre saints et saufs.
Mais les jours heureux allaient basculer dans la plus atroce des abominations. A la révolution de 1917, les bolcheviks les assignent à résidence. Le grand duc sera fusillé. Vladimir sera sauvagement assassiné. La mère et ses deux filles seront battues, violées sans relâche et laissées pour mortes. Nathalie a 13 ans. Les dangers de tous les instants, la mort qui rode à chaque pas, la fuite désespérée vers la Finlande durant laquelle il faudra traverser de nuit, à pieds des lacs gelés couvertes d’un drap blanc pour ne pas être repérées. Tout cela empêchera la jeune adolescente de crier sa haine et son dégoût. Et puis à qui? A sa mère? à sa soeur qui avaient subi le même traitement qu’elle? A quoi bon? Nathalie Paley avait déjà appris la décence avant de connaître l’inqualifiable.
Au bout d’un périple aussi hasardeux qu’inouï, les trois créatures exsangues purent enfin gagner la France et le refuge si rassurant de l’hôtel particulier de Boulogne où l’on avait été si heureux avant les guerres, les morts, les souffrances et les humiliations.
Mais à Boulogne attendaient aussi les factures impayées depuis plusieurs années pour la maintenance et de l’entretient du bien. La Princesse Paley n’avait plus rien. Il fallut vendre pour éponger les dettes. L’argent qui resta fut à peine suffisant pour acquérir une modeste maison dans le quartier des Halles. Lorsque leur mère aura réussi, à force de liquider tous ses biens à réunir suffisamment d’argent, elles vendront la maison de Paris et achèteront une jolie petite villa face à la mer de Biarritz. Biarritz où se retrouve toujours l’aristocratie russe, mais cette fois elle n’est plus en villégiature, elle est en exil.
Mais l’âme Russe n’est pas un vain mot. On se retrouve à Biarritz, en exilés peut-être, mais de haute noblesse. Et lorsque l’on est noble, on sauve les apparences. Il y eut des fêtes, des réceptions et des bals, on mena grand train où les robes à traîne et les airs de violons donnaient quelque lustre aux plus profonds des désespoirs. C’est dans cet univers luxueux que Nathalie rencontra le couturier français à la mode Lucien Lelong qui la choisit comme mannequin. Les temps avaient changés. Nathalie accepta. La princesse travaillerait. Elle avait 22 ans. Elle était sublime d’élégance dans les créations de Lelong qui lui proposa de devenir sa femme. Il était homosexuel, elle ne risquait rien. Depuis le viol en Russie le contact de la chair lui faisait horreur. Elle accepta ce nouvel emploi d’épouse d’apparat comme une sorte de montée en grade dans la maison Lelong. Elle regagna Paris au bras de son célèbre époux et allait en devenir une des reines en un temps record. Madame Lucien Lelong allait être une des femmes les plus élégantes, les plus admirées et les plus photographiées de son temps. VOGUE s’enticha d’elle et elle devint une habituée des pages du magazine. Serge Lifar l’adora, Anna de Noailles ne pouvait plus s’en passer, et étrangement, Jean Cocteau se passionna pour elle! Amoureux fou de la belle il clamera dans tout Paris sa folle passion pour Nathalie et …Sa future maternité!
Nathalie Paley était restée la petite fille de Boulogne. Renfermée et craintive dans le corps d’une femme adulée mais déchirée à jamais jusqu’au fond de l’âme. Fatiguée de tout ce charivari mondain orchestré autour de sa personne, elle quitta Paris sur un coup de tête et une invitation de la famille Visconti. Elle avait également découvert, probablement grâce à Cocteau les vertus de l’opium. Les Visconti, Luchino et sa sœur Madina furent complètement subjugués eux aussi par leur sublime invitée. Ils finirent par l’excéder eux aussi.
Elle regagne alors Paris et c’est cette fois le cinéaste Marcel L’Herbier qui s’entiche d’elle et la fait débuter au cinéma bien qu’elle ne connaisse rien à l’art dramatique et qu’exprimer des émotions soit à l’opposé de sa nature et de ses compétences. L’Herbier n’avait voulu entendre aucune de ses réticences, Il fit tourner Nathalie Paley en 1933 et il avait vu juste. Dès son premier film, « L’Epervier », elle fut une star de cinéma. le public s’enticha à son tour follement de Nathalie Paley que cet engouement ne cessa jamais d’étonner. L’étonnement alla jusqu’à Hollywood! Nathalie Paley s’embarqua à bord d’un transatlantique pour le nouveau monde et son cinéma où elle était sollicitée. Son élégance fascina, son humour enchanta. Elle fut bientôt la reine d’une cour prestigieuse où se bousculaient les plus grandes étoiles de l’écran dont ses amies Marlène Dietrich et Katharine Hepburn qui l’adoraient et tous les plus brillants homosexuels notoires du lieu dont Cole Porter et Georges Cukor qui en oubliaient leur éternelle rivalité aux pieds de la princesse Paley.
Sa carrière américaine au cinéma ne fut guère palpitante, mais il faut reconnaître que non seulement Nathalie Paley ne se faisait aucune illusion sur ses dons mais à tout prendre, le cinéma la fatiguait. Comme le reste, comme la vie.
Son passage hollywoodien fut malgré tout suffisamment mémorable pour que Greta Garbo s’en offusque et lui voue une haine plutôt féroce, avouant un jour quitter les endroits où Nathalie Paley se trouvait car elle était incapable de cacher une jalousie qui la défigurait face à elle. Greta Garbo haïssait Nathalie Paley pour ne pas comprendre d’où lui venait ce charme fascinant. Or ce charme était précisément le même que le sien: celui d’une lancinante dépression consumant jusqu’à l’âme les fabuleuses créatures qu’elles étaient.
Hollywood, comme le reste la lassa. Elle regagna Paris, L’Herbier se précipita sur elle pour lui donner la vedette de son nouveau film face à Harry Baur. Elle le tourna, pour ne pas faire de peine à un ami mais dès le dernier tour de manivelle donné, elle fuit à nouveau. Vers New-York cette fois. Ville tentaculaire où elle pourrait se perdre, n’y connaissant personne.
Elle y fera pourtant très vite la connaissance du richissime producteur de Broadway John Chapman Wilson qui a tout pour lui plaire puisqu’il est richissime, très drôle et follement homosexuel. Divorcée d’avec Lucien Lelong en 1937, elle épouse Chapman Wilson la même année. Ils s’installent dans un très luxueux appartement sur Central park et Nathalie Paley s’efface peu à peu de la vie publique. Au fil du temps, les affaires de Chapman Wilson vont péricliter et son alcoolisme mondain si distrayant va devenir une terrible dépendance dont il ne sortira plus jamais jusqu’à sa mort en 1961. Il y avait entraîné son épouse qui avait fini par cesser de s’alimenter et n’ingurgitait plus que des « Bloody Mary ». Elle survivait enfermée dans un appartement dont elle ouvrait de moins en moins les portes à de moins en moins de gens. Elle avait fini par retrouver en promenant ses chiens dans Central Park une autre recluse illustre: sa vieille ennemie Greta Garbo qui profitait du parc désert au petit matin pour y faire son footing.
Ces deux là devinrent amies et Greta fut une des dernières à garder le contact avec Nathalie Paley. Seules avaient le droit de rompre sa solitude Katharine Hepburn et Marlène Dietrich. Et tous les homosexuels de New-York, bien sur! Avec le temps, même ce cercle d’intimes va encore se restreindre. Nathalie Paley souffre maintenant d’un diabète qu’elle refuse de soigner. Elle perd la vue. Ivre et malade, elle passe ses journées à se heurter dans les murs et les meubles, brisant ses derniers précieux objets d’art au passage. C’est dans cet état qu’elle fera une chute désastreuse dans sa salle de bains en Décembre 1981, juste après Noël. Emmenée aux urgences la nuit même dans un état très faible elle ne survécut pas à l’opération inévitable qu’elle devait subir.
Elle s’éteignit dans son sommeil la nuit suivante, celle du 27 Décembre 1981. Elle avait eu 76 ans 21 jours plus tôt.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1933: L’Epervier: Avec Charles Boyer et Pierre Richard Wilm
1934: Le prince Jean: Avec Pierre Richard Wilm
1934: La Vie Privée de Don Juan: Avec Douglas Fairbanks et Merle Oberon
1935: Sylvia Scarlett: Avec Katharine Hepburn, Cary Grant et Brian Aherne
1936: Les Hommes Nouveaux: Avec Harry Baur et Gabriel Signoret.