Le 8 Octobre 1874 naissait en Californie, à Oakland précisément, la petite Gertrude Lamson, au cœur d’une famille ultra catholique, ultra pratiquante et ultra conservatrice. Dès son plus jeune âge, la bambine tapera le plancher de ses bottines vernies en hurlant qu’elle sera plus tard une grande actrice. Son père George en sera si épouvanté qu’il se précipitera à l’église, suppliant les autres fidèles du quartier de se joindre à ses prières désespérées afin que sa fille renonce à cet épouvantable projet! Gertrude frôla l’exorcisme mais ne changea pas d’avis. Quant au pauvre monsieur Lamson, il n’avait encore rien vu!
En grandissant, Gertrude n’acquit pas une de ces grandes beautés qui flattent à la fois l’œil et l’orgueil mais elle atteignit une taille très respectable qui alliée à son port de reine compenserait largement une finesse de traits que l’on aurait voulue plus délicate. Mais qu’importe, sous ses chapeaux de Worth elle dominerait tous ses partenaires d’une tête.
Gertrude, devenue Nance O’Neil tint la promesse qu’elle s’était faite. Lorsque naquit le nouveau siècle, elle avait 28 ans et parcourrait le monde avec les plus grands rôles du répertoire! Nance O’Neil n’était ni plus ni moins pour ses millions de fans éblouis que la Sarah Bernhardt américaine. Le public la vénérait, louait ses performances inouïes. Souvent, d’ailleurs sans jamais l’avoir vue jouer! Le grand sens de la publicité, du décorum et du tapage de l’actrice réjouissait le monde jusque dans les plus humbles chaumières en des confins où les familles besogneuses auraient été bien en peine de s’offrir un billet de théâtre. Mais on l’admirait quand même! Ceux qui la virent jouer furent d’ailleurs parfois moins convaincus que ces admirateurs de l’ombre. Certain se plaignant d’une actrice se contentant de réciter son texte mot à mot sans y ajouter une once d’intention de jeu. D’autres reconnurent avoir été complètement subjugués par la force de l’interprète qui nimbait ses rôles d’une lumière incandescente comme l’auteur lui-même, fut-il Shakespeare, n’aurait osé en rêver!
En 1900, donc, Nance rentre d’une tournée triomphale en Australie où elle est littéralement déifiée, avant de gagner Londres où elle sera couronnée reine des planches. Le tout dans un fracas publicitaire incessant fait de mariages annoncés et démentis et de beaucoup de créanciers impayés! On parle également beaucoup de ses amours interdites avec d’accortes jeunes demoiselles ce qui ébouriffe les âmes bien pensantes qui n’ont d’ailleurs pas fini d’en voir! Nance leur prépare un petit festival bien dans sa manière qui les laissera épouvantés pour longtemps!
En 1904, l’Amérique est complètement bouleversée par une de ces affaires criminelles qui font les délices du public et les gros titres des journaux! L’affaire Lizzie Borden, accusée d’avoir tué à la hache son père et sa belle mère. Il est de bon ton dans la haute société de suivre le procès. Comme il sera fort distingué quelques années plus tard en France, d’accompagner Colette et Mistinguett au procès de Landru.
Au premier rang, sous ses chapeaux gigantesques, Nance O’Neil ne perd pas une miette de toute cette affaire sordide! Le meurtre d’une violence rare reste non élucidé à ce jour. La chambre de massacre est devenue un « Bed and breakfast »! Et en son temps, la jolie Lizzie Borden fut acquittée. Dans le feu de l’action, alors qu’au moins la moitié de l’Amérique croit la demoiselle parricide, Nance entame une liaison voyante et tapageuse avec l’acquittée! Laquelle hérite d’une très coquette somme de ses victimes présumées!
Les rebondissements de « l’affaire » tinrent l’Amérique entière en haleine durant des mois. Les malheureuses victimes, mariées sous la convention d’au dernier vivant tous les biens, il fallait savoir qui du père de Lizzie ou de son épouse était mort en premier afin de céder l’héritage familial à la progéniture du dernier survivant, affaire de quelques secondes!
Lizzie et sa soeur décrocheront la timbale et hériteront de propriétés immobilières et de sommes rondelettes. Sommes qui passeront entre autres choses en fourrures, voiture et chapeaux pour l’élégante miss Nance O’Neil.
C’est donc une star illustre et tapageuse, nimbée de scandale qui fit ses débuts au cinéma en 1916 mais qui s’avoua peu convaincue du résultat!
Privée de sa voix magnifique, le cinéma balbutiant ne peut que filmer un physique imposant aux traits lourds. Le public est bien en peine d’imaginer que cette créature pataude sur l’écran est la divine théâtreuse Nance O’Neil qui fut applaudie à tout rompre par toutes les couronnes du monde. Les films de la star tournés pour la FOX ne connaîtront que peu de succès, ce qu’elle ne pourra pas pardonner. Et que le public s’entiche plutôt de Theda Bara ce qu’elle pardonne encore moins!
Nance O’Neil retourne à ses rideaux rouges et délaisse à jamais, déclare-elle, cette chose vulgaire et stupide qu’est le cinématographe! Elle y reviendra, pourtant, lorsqu’il saura parler! Elle sera reçue comme une reine à la MGM, sous la haute protection de Lionel Barrymore à qui elle avait offert sa première chance en l’engageant dans sa propre troupe, lequel lui renvoya l’ascenseur doré d’Hollywood.
Nance joua les grandes mondaines pour un cinéma dont la technique enfin au point lui permettait d’exprimer son talent de manière probante et apparut sur les écrans jusqu’en 1932. Restée de belle prestance, la diva avait quand même 60 ans et ne pouvait plus guère compter sur sa légendaire présence physique pour éblouir les foules et susciter les engouements curieux. Elle choisit de se retirer et ce fut cette fois définitif.
Elle s’éteignit en maison de retraite, complètement oubliée de tous à l’âge vénérable de 90 ans, le 7 Février 1965.
Lizzie Borden, la tueuse à la hache s’était éteinte bien des années plus tôt mais restait bien plus présente dans les souvenirs puisque l’Amérique n’avait jamais élucidé cette affaire criminelle, une des plus célèbres de son histoire, mais en a fait une comédie musicale!
Bien entendu, le personnage de Nance O’Neil y a sa place et est souvent campé par un travesti. étrange rançon de la gloire.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1913: Le Comte de Monte Cristo: Avec James O’Neil.
1916: Souls in Bondage: Avec Mary Carr et William Corbett
1916: The Flames of Johannis: Avec George Clarke.
1917: Greed: Avec Alfred Hickman
1929: His Glorious Night: Avec John Gilbert et Hedda Hopper
1930: The Eyes of the World: Avec Eulalie Jensen
1930: Ladies of Leisure: Avec Barbara Stanwyck, Marie Prévost et Ralph Graves
1931: A Woman of Experience: Avec Helen Twelvetrees
1931: Cimarron: Avec Irène Dunne, Estelle Taylor et Richard Dix
1931: Resurrection: Avec Lupe Velez et John Boles
1932: Okay America: Avec Lew Ayres