Le fait d’évoquer Monique Mélinand dans ce blog consacré aux étoiles éphémères du cinéma est en soi une hérésie. Car si j’ai proclamé, à tort, que Danielle Darrieux la sublime avait mené de main de maître la plus longue carrière du cinéma français, c’était, je le répète, à tort. Ce titre de gloire revient à la très belle Monique Mélinand.
Née le 9 mars 1916 à Paris, Monique Melinand fait ses débuts au cinéma dès 1927. Le film n’est pas la couronne de gloire du cinéma français, Monique n’a que onze ans mais débuts il y a bel et bien. Monique Melinand apparaît dans « Ames d’Enfants » de Jean-Benoît Lévy, film bien oublié, au moins autant que son metteur en scène mais qui, avec un peu d’humour aurait pu être « la Vie est un long fleuve tranquille » en son temps.
Il faudra attendre 11 ans pour revoir Monique Melinand au cinéma dans « Entrée des Artistes » en 1938. Durant ces onze années, Monique a grandi, muri, appris et qui de plus est, est devenue très belle. Louis Jouvet dont elle est l’élève ne s’y trompe pas et fait non seulement de Monique un élément de sa troupe mais il fait d’elle sa jeune maîtresse. Le « Patron » vit à l’époque une romance très officielle avec Madeleine Ozeray, l’Yseult Ardennaise pour qui Jean Giraudoux écrira « Ondine ». Leur couple est aussi célèbre et respecté que celui que forme à la ville et sur scène Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault. Mais il faut bien reconnaître que la fidélité de Louis Jouvet n’a jamais été sa marque de fabrique même s’il ne divorça jamais d’Else sa première épouse qui sera sa veuve.
La grande aventure de sa vie, Monique va la vivre durant l’occupation. Jouvet est avec Madeleine Ozeray et sa troupe en tournée en Amérique du sud, Monique est restée à Paris. Mais sur une simple lettre de Jouvet, la jeune fille téméraire risque sa vie en passant clandestinement la ligne de démarcation et s’embarque dieu sait comment sur un cargo pour finalement débarquer à Rio rejoindre son cher Louis. Hélas pour elle, Monique ne sera pas récompensée de ses efforts: elle trouve Jouvet et Ozeray maritalement installés dans un superbe appartement dominant toute la baie de Copacabana! Elle intègrera la troupe et jouera les utilités jusqu’à ce qu’au beau milieu de la cordillère Péruvienne, Madeleine Ozeray exténuée abandonne la troupe. Dernière petite blessure d’amour propre, jamais Jouvet n’autorisera Monique à jouer les rôles qui firent la gloire de Madeleine Ozeray. Elle ne sera ni Agnès, ni Ondine ni Tessa.
Mais nous ne sommes pas chez Marilyn et Miller, chez Elizabeth et Burton, ces deux-ci furent discrets et bien malin celui qui trouvera des détails sur cette histoire de coeur qui perdurera jusqu’à la mort de Jouvet. Ce sont Monique et Bernard Blier qui veilleront Jouvet, décédé d’une crise cardiaque dans son petit bureau du théâtre de l’Athénée où la chapelle ardente fut dressée.
Monique devient ensuite une intime d’un autre couple d’acteurs: Renée Simenot et Maurice Dorléac, marraine d’une de leurs filles, Sylvie, et regardant grandir les futures stars que seront Françoise Dorléac et Catherine Deneuve.
La discrétion de Monique Mélinand fut sans doute une de ses principales caractéristiques, une caractéristique poussée en ses confins, car d’une carrière commencée en 1927 et qui se poursuivra jusqu’à sa fin, le public dans son ensemble et les cinéphiles en particulier n’ont rien retenu. La chose tient du miracle (ou de la damnation, qui sait?), car la femme, très belle, fut sans doute une des meilleures. Ses choix ne sont pas en cause et en 2006 elle se montra encore radieuse à 90 ans dans « Avril » film dont la qualité fut à l’égal de l’échec malgré une Miou-Miou en convaincante religieuse.
Revoir Monique Mélinand est devenu chose ardue bien qu’elle soit une comédienne vénérée par Raoul Ruiz entre autres mais vous pouvez toujours visionner « Le Sang à la Tête » où elle est l’épouse infidèle qui n’en pense pas moins de Jean Gabin. Dans son rôle de Madame Cardinaud née Vauquier, Monique Mélinand embrase littéralement le film et lui donne toute sa profondeur. Pour la première fois à l’écran une femme trompe son mari (et fait de Gabin un cocu ce qui n’est pas de la tarte) et on la plaint! La France des années 50 plaint la femme adultère et sans excuses puisque Gabin est lui, sans reproches apparents. Simenon avait écrit Madame Cardinaud vulgaire et bête, Monique Melinand lui donne la grâce et l’absolution sans trahir l’auteur. Du grand art.
Ainsi donc, Monique Mélinand consacre une vie entière au théâtre et au cinéma, reconnue par ses pairs, ignorée du public. Belle, talentueuse et d’une classe folle, Monique Mélinand aura mis plus de 80 ans à rester anonyme en tournant des chef d’oeuvres. Je ne crois pas connaître de comédienne pour qui la carrière qui suit ne relève pas du fantasme absolu!
La douce Monique s’éteignit paisiblement le 16 Mai 2012, elle était entrée dans sa 96ème année deux mois plus tôt. Sa chère fille Agathe était avec elle et lui succède avec éclat à la direction du TNT.
Dormez en paix douce lumière du cinéma français.
CELINE COLASSIN.
QUE VOIR?
1927: Ames d’enfants
1938: Entrée des Artistes (Marc Allégret)
1948: Entre Onze Heures et Minuit (Henri Decoin): Avec Madeleine Robinson et Louis Jouvet
1949: Au Royaume des Cieux (Julien Duvivier): Avec Serge Reggianni, Suzy Prim et Juliette Greco
1949: Lady Paname (Henri Jeanson): Avec Suzy Delair, Jane Marken et Louis Jouvet
1953: La Pocharde: Avec Pierre Brasseur
1956: Le Sang à la Tête (Gilles Grangier) Avec Jean Gabin
1959: Faibles Femmes (Michel Boisrond) Avec Jacqueline Sassard
1959: Katia (Robert Siodmak) Avec Romy Schneider
1960: La Mort de Belle (Edouard Molinaro): avec Alexandra Stewart
1960: Vers l’Extase: ( René Wheeler) Avec Pascale Petit et Gianni Esposito
1963: La Bonne Soupe (Robert Thomas) Avec Annie Girardot et Marie Bell
1964: Angélique Marquise des Anges (Bernard Borderie): Avec Michèle Mercier
1964: Les Barbouzes (Georges Lautner): Avec Lino Ventura et Bernard Blier
1966: L’Horizon (Jacques Rouffio): Avec Jacques Perrin et Macha Méril
1966:Le Voleur (Louis Malle)
1969: L’Américain (Marcel Bozzuffi)
1969: La Dame dans l’Auto avec des Lunettes et un Fusil (Anatole Litvak)
1969: Dernier Domicile Connu (José Giovanni): Avec Lino Ventura et Marlène Jobert
1969: La femme écarlate: Avec Monica Vitti, Maurice Ronet et Robert Hossein.
1970: Mourir d’Aimer (André Cayatte): Avec Annie Girardot et Bruno Pradal
1970: Un Beau Monstre (Sergio Gobbi): Avec Virna Lisi et Helmut Berger
1971: Les Jambes en l’Air; Avec Sylva Koscina, Georges Géret, Francis Blanche et Christian Barbier.
1971: L’Homme au Cerveau Greffé (Doniol Valcroze) avec Jean-Pierre Aumont et Mathieu Carrière
1973: L’Evenement le plus important depuis que l’Homme a marché sur la Lune (Jacques Demy): Avec Catherine Deneuve et Marcello Mastroianni
1973: La Gueule Ouverte ( Maurice Pialat) avec Nathalie Baye et Philippe Léotard dont elle est la mère agonisante.
1973: La Race des Seigneurs ( Pierre Granier Deferre) Avec Sydne Rome, Alain Delon et Jeanne Moreau
1976: Le Corps de mon Ennemi (Henri Verneuil)
1976: Les Mal Partis (Sébastien Japrisot): Avec France Dougnac et Marie Dubois
1979: A Nous Deux (Claude Lelouch): Avec Catherine Deneuve et Jacques Dutronc
1982: Ils Appellent ça un Accident (Nathalie Delon): Avec Nathalie Delon et Gilles Segal
1986: On a Volé Charlie Spencer (Francis Huster)
1993: Jeanne la Pucelle (Jacques Rivette)
1995: Trois Vies et Une Seule Mort (Raoul Ruiz)
1997: Généalogies d’un Crime (Raoul Ruiz): Avec Catherine Deneuve, Michel Piccoli et Bernadette Lafont
2000: Les Ames Fortes (Raoul Ruiz)
2006: Avril (Gerald Hustache-Mathieu)
Par contre, de nombreuses filmographies de Monique Melinand incluent le film de Nadine Trintigant « Ca n’arrive qu’aux Autres », film où elle n’est pas, ni à l’image ni au générique.