Michèle Alfa, reine des scènes et des écrans dans un Paris occupé fut une véritable « vedette » sans jamais être une star.
La belle naquit le 20 Août 1915 et personne ne pouvait alors imaginer que la petite fille des Bassignot, la petite Joséphine Alfreda qui braillait dans son berceau serait un jour célèbre dans une France qui connaîtrait à nouveau la guerre. Ses parents sont d’aimables commerçants de Nantes. Même si la future vedette naquit à la Baule où maman attendait l’heureux événement « au bon air ».
C’est à la faveur d’un séjour « à la capitale » chez une de ses tantes que la future Michèle Alfa avait senti naître son irrésistible vocation d’actrice. Elle avait huit ans. Un soir on l’avait emmenée applaudir l’idole Gaby Morlay au théâtre. La jeune demoiselle en fut à ce point subjuguée qu’elle aimait à dire qu’elle était rentrée ensuite à la maison sans que ses pieds ne touchent le pavé. Qu’elle aurait été bien incapable de dire dans quelle ville elle se trouvait ni même de se souvenir de son nom si on le lui avait demandé. Sa décision fut prise. Inébranlable. Elle serait actrice! La décision de ses parents fut prise tout aussi vite et tout aussi inébranlable. Elle ne le serait pas!
Les pauvres ne pouvaient encore imaginer que durant un autre séjour chez tantine, à la faveur d’une petite annonce, elle allait jouer un rôle d’enfant dans « La Belle Aventure » avec Kate de Nagy, Paule Andral et…Arletty!
Il fallut pourtant bien qu’un des deux partis belligérants cède. Ce fut celui des parents. Très « Comédie Française », Notre héroïne avait quitté la table en lançant sa serviette dans la soupière et était partie en larmoyant un « J’en mourrai! » de grande classe. Après une tentative de suicide hautement convaincante, la demoiselle gagna Paris. C’est que le destin facétieux avait fait périr monsieur père de sa belle mort! Alors forcément, la partie adverse s’en était retrouvée affaiblie d’autant.
Elève très appliquée aux cours de Raymond Rouleau puisqu’elle était trop jeune pour ceux du conservatoire, elle avait 17 ans, cette très belle blonde naturelle aux grands yeux clairs sut se montrer digne de la confiance que madame veuve sa mère lui accorda. Elle débuta au grand guignol de Montmartre dans « La Nuit du 12 au 13″ puis elle enchaîna avec « Au Bout du Monde » au théâtre Albert 1er.
C’est ensuite Marcel Herrand qui la « repère » au théâtre Albert 1er et qui l’engage pour un rôle important à ses côtés dans » Capitain Smith ».
Michèle va tomber follement, éperdument amoureuse. Elle va aimer de toute son âme Marcel Herrand, l’inoubliable Lacenaire des « Enfants du Paradis ». Herrand est un de ces « grands hommes de théâtre » qui sont une des spécialités parisiennes de l’époque. Complètement en pamoison devant lui elle n’osera jamais lui avouer cette grande passion qui selon ses propres dires, durerait jusqu’à la mort. Elle ne dévoilera d’ailleurs publiquement ce tendre sentiment qu’après la mort du principal intéressé en 1953.
Ignorait-elle tout du long que l’excellent Marcel Herrand n’était que peu friand de jeunes oiselles énamourées et préférait nettement l’intimité d’un petit jeune homme de bonne famille nommé Christian Dior? Son rôle dans « Capitain Smith » au côté de son Marcel adoré en secret lui vaudra d’être engagée au Gymnase pour créer « Adam » de Marcel Achard.
A 20 ans, elle avait acquit assez de technique qui additionnée d’un talent certain et d’une belle présence physique lui permit de suivre en tournée Raymond Rouleau qui en fit sa protégée et qu’elle vénérait littéralement. Devenue actrice sous le pseudonyme de Michèle Alfa, notre jolie blonde aura toujours un goût très vif pour les hommes « plus grands que nature ».
Un an plus tard, Michèle Alfa commençait à ensoleiller les écrans tout en continuant à briller sur les scènes de France au service de grands auteurs tels Cocteau, Sartre, Claudel, Achard ou Bernstein. Il faut dire que si elle paraît au cinéma, rien dans ce qu’on lui donne à tourner ne vaut la peine que l’on s’y attarde. Elle devra attendre 1940 pour que le cinéma lui « rende justice ».
Elle pensera aussi à faire corriger un nez disgracieux après s’être vue pour la première fois à l’image, rejoignant ainsi la très prestigieuse délégation des « nouveaux nez » de l’écran français dont Yvonne Printemps, Hélène Perdrière, Annie Ducaux, Jany Holt ou Simone Renant.
Traînait-elle ses espoirs amoureux et professionnels déçus dans les boîtes de Pigalle où l’on « jouait du jazz » lorsqu’elle fit la connaissance du musicien Bernhardt Rademecker si beau lorsqu’il soufflait dans sa trompette? Michèle ne nous l’a pas dit. Mais elle vit avec lui lorsque la guerre, à nouveau, éclate. Michèle qui « tenait » enfin un grand rôle en fut pour ses frais. Elle tournait « Le Corsaire » avec Charles Boyer mais l’invasion allemande interrompt définitivement le tournage. Par contre, il se trouve trouve que Bernhardt n’est pas que musicien, il est le neveu de Goebbels himself! Lequel Goebbels le nommera à la direction des théâtres parisiens.
On ne refuse pas les invitations de tonton Goebbels qui ont tendance à très vite sentir le gaz. Mais le couple profitera de son statut privilégié par l’occupant pour non seulement venir en aide à de nombreux juifs mais pour alimenter le théâtre et le cinéma en argent frais sortit tout droit des poches du Reich! Il suffisait de faire miroiter une « propagande anti juive » ou anti n’importe quoi à Goebbels pour que les bourses se délient. Il est probable que si dans un Paris où l’on manquait de tout et même du nécessaire le cinéma resta si actif et que l’on tourna sans relâche, 220 films en 5 ans d’occupation. C’est grâce, surtout, à l’intervention de Bernhardt Rademecker en qui Goebbels avait naïvement mis sa confiance. N’était-il pas son cher neveu?
Michèle Alfa ne fut jamais aussi active à l’écran que durant ces années guerre, sans doute l’absence de pas mal d’autres vedettes y fut-il également pour quelque chose. Je l’ignore. Certains des articles de l’époque estimant qu’elle « comblait le vide désespérant que laissait Michèle Morgan« . Dans « La Femme que j’ai le plus aimée », elle a son propre sketch à l’égale d’Arletty et de Mireille Balin et s’offre le très distingué André Luguet comme partenaire amoureux et subjugué.
En plein coeur de la tourmente, Michèle devint l’épouse de Paul Meurisse sortit tout droit des bras d’Edith Piaf. Mariés en 1942, ils divorceraient en 1944. Notons que le prénom de « Michèle » semble avoir inspiré Paul Meurisse puisqu’il épousera ensuite Micheline Cheirel et Micheline Gary. Il est important aussi de souligner, pour la bonne compréhension de notre histoire, que si le prestige de Paul Meurisse demeure intact et son souvenir très présent alors que le radieux sourire de Michèle Alfa s’enfonce dans l’oubli, à l’heure du mariage, Paul Meurisse était encore débutant au music-hall. Michèle était une des « grandes vedettes » de son époque. La carrière de Meurisse ne débutera vraiment qu’après leur divorce. Etrangement la paix revenue et sa liberté personnelle retrouvée, on ne verra plus guerre Michèle Alfa. En 1952 elle tournait une ultime fois pour Jean-Paul Le Chanois et s’effaçait à jamais aux yeux du public.
Pourquoi ce désaveu pour une actrice tant aimée. A revoir ses films aujourd’hui le jeu de Michèle Alfa est très imprégné de son admiration sans bornes pour les théâtreux et ne peut souffrir la comparaison avec le naturel d’une Michèle Morgan rentrée au bercail sur le coup d’éclat de la symphonie pastorale. Dans « Jeannou » tourné en 1943 dont elle tient la vedette et le rôle titre on est surpris de la voir se placer, placer les plis de sa robe avant de dire très théâtralement sa réplique ou de s’évanouir avec beaucoup d’emphase. Quand elle écoute les répliques de ses partenaires elle les fixe comme si leurs paroles l’hypnotisaient et on « sent » de manière palpable sa conscience de la caméra. Son jeu est académique, appliqué et avec la seule fougue qui est de montrer à quel point elle « joue bien ». Ce n’est plus ce que le public d’après guerre voulait voir et les « grandes dames du genre » passeront toutes plus ou moins la main.
On la sut remariée à un homme d’affaires en 1959 et retirée dans sa villa du Vésinet. C’est là qu’elle s’éteindra oubliée de tous mais heureuse le 24 Août 1987, elle avait 76 ans et ne s’était plus jamais montrée, gardant farouchement sa retraite à l’abri des curieux.
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1932: La Belle Aventure: Avec Kate de Nagy, Paule Andral et Arletty
1932: La Poule: Avec Arlette Marchal
1936: Ramuntcho: Avec Louis Jouvet, Madeleine Ozeray et Line Noro
1936: Trois, Six…Neuf: Avec Renée St Cyr, Meg Lemonnier et Suzy Delair
1938: Ultimatum: Avec Erich von Stroheim et Dita Parlo
1938: Adrienne Lecouvreur: Avec Yvonne Printemps, Pierre Fresnay, Madeleine Sologne et Junie Astor.
1941: Le Dernier des Six: Avec Suzy Delair
1941: La Neige sur les Pas: Avec Pierre Blanchar
1941: Le Pavillon Brûle: Avec Pierre Renoir et Elina Labourdette.
1942: La Femme que j’ai le plus Aimée: Avec André Luguet
1942: Le lit à colonnes: Avec Jean Marais, Odette Joyeux et Mila Parely
1942: La Neige sur les Pas: Avec Pierre Blanchar, Josselyne Gaël et Line Noro
1943: Le Comte de Monte Cristo: Avec Pierre-Richard Wilm, Marcel Herrand et Aimé Clariond
1943: L’Homme qui vendit son Ame au Diable: Avec André Luguet et Robert Le Vigan
1943: A La Belle Frégate: Avec René Dary et René Lefèvre
1943: L’Aventure est au Coin de la Rue: Avec Raymond Rouleau et Suzy Carrier
1943: Port d’Attache: Avec René Dary
1943: Jeannou: Avec Roger Duchesne et Saturnin Fabre
1948: Sombre Dimanche: Avec Jacques Dacqmine, Marcel Dalio et Marcelle Derrien
1950: Premières Armes: Avec Guy Decomble, Serge Soltani et Julien Carette
1952: Agence Matrimoniale: Avec Bernard Blier et Louis de Funès