Marthe Keller est peut-être la plus étincelante des actrices de cinéma international à avoir été découverte par la télévision française. Et ce, bien qu’elle soit suisse! Marthe Keller demeure encore aujourd’hui et probablement à jamais la « Demoiselle d’Avignon » au cœur des nostalgiques des « feuilletons »! Lorsque le feuilleton en question fut diffusé pour la première fois en 1972, le cœur de la France entière battit à l’unisson pour la jolie demoiselle. Quand ses aventures prirent fin la chose eut des allures de deuil national! Le téléspectateur n’aurait plus sa Marthe hebdomadaire, qu’allait-il devenir? Nombreux sont d’ailleurs ceux qui fidèles au culte de Marthe Keller en « Demoiselle d’Avignon » ignorent quelle fut sa prestigieuse carrière après leur feuilleton adoré. Nombreux étaient d’ailleurs ceux qui ignoraient que Marthe Keller œuvrait devant les caméras depuis bientôt dix ans!
Le 28 Janvier 1945, Marthe Keller naît à Bâle, sur les rives du Rhin, non loin de ses chutes.
Comme toute suissesse qui se respecte, bien que son père soit d’origine allemande et sa maman d’origine hongroise, la jeune Marthe adorait le ski et songea même longtemps à en faire son métier. Elle hésitait entre ce sport et la danse mais sans doute trop téméraire sur ses lattes, un accident réglerait le problème et ça ne serait ni l’un ni l’autre!
Parfaitement bilingue comme l’essentiel des habitants de Bâle « La ville au coin des trois pays », c’est à la télévision allemande que Marthe Keller débute dès 1964. Elle aligne une jolie série de feuilletons et de téléfilms sans que le cinéma ne s’intéresse à elle hormis pour une apparition des plus fugaces dans « Mes Funérailles à Berlin ». Elle est à Paris lorsqu’éclatent les événements de Mai 1968. Bloquée dans la capitale française plus longtemps que prévu, la révolution estudiantine va révolutionner le destin de la jeune suissesse.
C’est donc une inconnue qui tiendra les deux rôles et accessoirement le cœur de Philippe de Broca: Marthe Keller . Le couple aura un fils: Alexandre né en 1971.
Mais comme en Allemagne, c’est la télévision qui va littéralement placer Marthe Keller sur orbite. Après la série à succès « Arsène Lupin » avec Georges Descrières, c’est l’apothéose populaire avec la fameuse « Demoiselle d’Avignon » qui fait d’elle une des actrices les plus populaires de France et donc des plus demandées! En 1973 elle est la vedette de trois films et seule Catherine Deneuve tourne autant qu’elle. Bien sûr l’Allemagne n’est pas peu fière et la rappelle. l’Italie l’invite mais bientôt c’est Hollywood qui sollicite la star suisse devenue internationale. Et depuis Sophia Loren, la mecque américaine du cinéma n’avait plus mis les petits plats dans les grands pour une actrice européenne. Qu’on en juge:
Marthe vient à Hollywood pour tourner sous la direction de John Schlesinger, John Frankenheimer, Sidney Pollack et Billy Wilder. Le tout fait d’elle la partenaire de Dustin Hoffman, Laurence Olivier, Roy Schreider, Bruce Dern, Henri Fonda, Al Pacino, Michael York, William Holden et même de Marlon Brando! Cinq ans et six films en tête d’affiche à Hollywood et un séjour couronné par une longue liaison avec Al Pacino.
A l’époque elle aime à plaisanter: Je suis née en Suisse d’un père d’origine Allemande et d’une mère d’origine hongroise, j’ai été découverte en France et me voilà consacrée vedette aux Etats-Unis! Si après ca je ne perds pas le nord! Marthe va détester Hollywood. Complètement étrangère aux us et coutumes américains.
Lorsqu’elle apprend que Billy Wilder l’a choisie pour Fedora, elle est aux anges. Marthe Keller adore les stars de l’âge d’or. Lorsqu’on lui demande quelle est se préférée elle répond « Elles sont cinquante à être ma préférée ». Mais sa plongée dans le Hollywood d’autrefois, après une rencontre avec un des anciens maquilleurs de Garbo va lui faire découvrir l’envers de la légende. Billy Wilder exige, comme à l’époque, sa présence sur le plateau même quand elle ne tourne pas. Elle n’a droit à aucune initiative. On coupe la prise de vue si elle oublie une virgule du texte ou si ses cheveux ne sont pas comme ils devraient être. Un jour ses nerfs lâchent et elle fond en larmes dans les bras de William Holden. « Je n’ai jamais parlé une seule fois de mon rôle avec monsieur Wilder » larmoie-elle. Holden lui répond: « Moi non plus mais c’est le quatrième film que je fais avec lui et c’est grâce à lui que j’ai eu mon Oscar ». Marthe Keller n’aura pas d’Oscar grâce à Billy Wilder. Mais grâce à lui elle aura pleuré dans les bras du héros de son film préféré « Sunset Boulevard ». Film de Billy Wilder pour lequel Holden fut une première fois nommé aux Oscars.
Pour Bobby Deerfield, Sidney Pollack était venu la rencontrer chez elle. A l’époque le phénomène « Love story » était dans toutes les mémoires et toutes les ambitions des studios. Le rôle de jeune amoureuse formidable en tout mais condamnée par la maladie avait fait d’Ali MacGraw une star planétaire et c’était devenu le saint graal de toutes les actrices. C’est précisément le rôle que propose Sidney Pollack à Marthe Keller. Une amoureuse à la fois pleine de vie et mourante. Toutes les actrices d’Hollywood ont dû crever de jalousie sauf peut-être Faye Dunaway qui avait déjà tenu le rôle en 1968 dans « Le temps des amants ».
Sidney Pollack tenait absolument à Marthe. Il était convaincu mais il restait un obstacle de taille dans tous les sens d terme. Marthe Keller est grande, Al Pacino est petit. Or, il a un droit de regard sur la distribution. Sidney Pollack lui propose de rencontrer Pacino…Et de porter des chaussures plates. Marthe arrivera en talons plats une demi-heure à l’avance au restaurant où ils ont rendez-vous. L’idée c’est d’être déjà assise lorsque Pacino arrivera. Mais Pacino est de ces types qui croient qu’une femme doit se lever à l’arrivée d’un homme. Il lance à Marthe « Vous êtes handicapée ou clouée sur votre chaise? » A la fin de l’entrevue qui se passe plutôt mal, Marthe Keller sort du restaurant en ayant fait une croix sur le film.
On connaît la suite. Pacino a été convaincu. Elle fera le film qui ne fera pas d’elle une superstar mais son histoire d’amour avec Pacino durera sept ans. Une histoire forte mais éprouvante. Pacino est en pleine dépression avec de brusques sautes d ‘humeur. Après des heures de silence il se met soudain à hurler pour une peccadille et à chaque fois, Marthe est anéantie pour toute une semaine. C’est elle qui se libérera de cette relation devenue toxique en quittant Los Angeles qu’elle déteste pour s’installer à New-York.
Un soir qu’elle était seule chez elle dans sa luxueuse villa hollywoodienne avec son fils, on sonne à la porte. Marthe va faire ce qu’aucune américaine des beaux quartiers ne ferait: Elle va ouvrir la porte! Elle se retrouve face à une forcenée, arme au poing qui veut la tuer. Elle réussira à appeler son agent qui lui enverra la police. Quelques jours plus tard, la cinglée revient et la police aussi « Bah! Son psychiatre dit qu’elle n’est pas si dangereuse que ça ». Quelques jours plus tard, en entendant une fusillade, Marthe regarde par la fenêtre et voit un cadavre dans son allée. La police avait tiré depuis un hélicoptère sur un malfaiteur en fuite.
Epuisée par ses tournages, 7 films en 18 mois, les nerfs vrillés par la vie américaine, Marthe rentre en Europe et s’offre trois semaines de vacances dans son chalet de Verbier en Suisse. « Je suis née en Suisse, je veux mourir en Suisse mais entretemps je veux voyager partout dans le monde! Après trois semaines de montagne, j’en ai déjà soupé. Par contre je ne retournerai pas m’installer à Los Angeles que je déteste mais à New-York que j’adore. Je pourrai peut-être y faire ma rentrée au théâtre. En France je n’arrivais pas à me débarrasser de la demoiselle d’Avignon, en Amérique c’est la même chose avec « La nouvelle Garbo, la nouvelle Ingrid Bergman, la nouvelle Grace Kelly »
Malheureusement pour la belle Marthe, Ni Bobby Deerfield ni Fedora ne sont les succès espérés. Marthe avait pourtant mis tous ses espoirs dans « Bobby Deerfield » et avait même perdu dix kilos pour rendre plus crédible son personnage de jeune femme leucémique.
En 1982 elle revient à l’Europe, pour de bon cette fois et à ses anciennes amours: la télévision.
Comme Micheline Presle avant elle, l’aventure hollywoodienne lui donne à la fois un prestige et un statut à part. Mais paradoxalement, toujours comme Micheline, elle ne retrouve plus la gloire qui était la sienne se fait rare au cinéma. Et même si elle est très présente à la télévision, elle se produit dans trois pays différents, ce qui fait que dans chaque pays on ne voit qu’un tiers de son travail.
Elle se fait donc rare partout. Même si, toujours comme Micheline elle reste populaire et se voit encore offrir de beaux grands rôles dans des films qui parfois, n’ont pas touché leur cible comme « Nuits Blanches » « K » ou « UV ». Marthe elle-même commente: « J’adore travailler mais j’adore aussi être libre, je n’aime pas me forcer à faire ce qui me déplaît et je ne pourrais pas être prisonnière d’une image, m’inquiéter pour mes robes, mes cheveux, faire des liftings…Je ne pourrais pas, j’ai toujours trop aimé ma liberté pour être une star! » D’ailleurs elle n’ a jamais été « star » que du bout des lèvres. Quelque soit son succès du moment, Marthe Keller mettra toujours un point d’honneur à conduire elle-même Alexandre à l’école, venir le rechercher et surveiller ses devoirs. le petit garçon ne verra jamais l’ombre d’une nurse à l’horizon!
Marthe Keller estimait que son petit garçon donnait un sens à sa vie, elle ne trouvait donc pas logique de le faire passer après quoi que ce soit d’autre!
Tout ceci n’empêche pas Marthe Keller, un demi siècle après ses débuts d’être toujours non seulement présente au cinéma, au théâtre et à la télévision mais aussi d’avoir diversifié ses champs d’action puisqu’elle est passée à la mise en scène, notamment avec un Don Giovanni au métropolitain opéra de New-York applaudi par un public et une critique debout!
Finalement, Marthe Keller qui s’avoue très heureuse de son sort a bien raison de l’être. Sans jamais rien céder de sa liberté, sans jamais se soumettre à qui ou à quoi que ce soit, elle a joué partout avec et pour les plus grands.
Depuis Noiret et Montand, depuis le prestigieux épisode Hollywoodien elle reste toujours aussi belle, Sans doute plus classieuse encore qu’au temps des « Caprices de Marie » . Elle reste une actrice très demandée que le temps qui passe rend peu à peu mythique. Elle s’en fiche un peu. Même si au fond, bien sûr ça lui fait plaisir. Mais le passé, aussi glorieux soit-il n’est pas la préoccupation majeure de Marthe Keller à qui il arrive de terminer un tournage hollywoodien avec Matt Damon pour revenir en France affronter Gérard Depardieu! Normal, elle est actrice!
Celine Colassin
QUE VOIR?
1966: Mes Funérailles à Berlin: Avec Michael Caine et Eva Renzi
1967: Wilder Reiter Gmbh: Avec Chantal Cachin et Herbert Fux
1969: Le Diable par la Queue: Avec Yves Montand, Maria Schell et Madeleine Renaud
1970: Les Caprices de Marie: Avec Philippe Noiret et Valentina Cortèse
1972: Un Cave: Avec Claude Brasseur
1972: La Vieille Fille: Avec Annie Girardot et Philippe Noiret
1973: La Raison du plus Fou: Avec Alice Sapritch et Jean Carmet
1973: Elle court elle court la Banlieue: Avec Jacques Higelin
1973: La Chute d’un Corps: Avec Daniel Ceccaldi et Fernando Rey
1974:Die Antwort kennt nur der Wind : Avec Maurice Ronet et Raymond Pellegrin
1976: Le Guêpier: Avec Claude Brasseur
1976: Marathon Man: Avec Dustin Hoffman et Laurence Olivier
1977: Black Sunday: Avec Bruce Dern et Robert Shaw
1977: Bobby Deerfield: Avec Al Pacino et Anny Duperey
1978: Fedora: Avec William Holden et Hildegarde Kneff
1983; Der Platzanweiser: Avec Hanna Haxmann Rezzori
1984: Femmes de Personne: Avec Jean-Louis Trintignant et Caroline Cellier
1985: Rouge Baiser: Avec Charlotte Valandrey et Lambert Wilson
1987: Les Yeux Noirs: Avec Marcello Mastroianni
1989: Georg Esler Einer Aus Deutschland: Avec Klaus Maria Brandauer et Rebecca Miller
1994: Mon Amie Max: Avec Geneviève Bujold
1999: Le Derrière: Avec Valérie Lemercier et Claude Rich
2007: UV: Avec Laura Smet et Jacques Dutronc
2008 Kortex: Avec André Dussolier
2010: Hereafter: Avec Cécile de France et Matt Damon
2012: Au Galop: Avec Louis-Do de Lencquesaing
2013: La Marque des Anges: Avec Gérard Depardieu et Joey Star