Pour l’histoire du cinéma comme pour celle de la presse people, Marisa Pavan restera toujours la sœur jumelle d’Anna-Maria Pierangeli. Actrice bouleversante, amoureuse fantasque, dérives célèbres, destinée tragique et mort prématurée, Pier Angeli a tout pour faire une légende éternelle du septième art. A côté d’elle, dans son ombre, Marisa est la sœur sage, la sœur sérieuse avec carrière plus prestigieuse, amours réussies et plus d’un demi-siècle de vie supplémentaire. Tout ça, c’est bien mieux. Mais entre le rose et le noir, le cinéma a choisi depuis longtemps. Le 19 Juin 1932 naissaient à Cagliari en Sardaigne des sœurs jumelles chez Enrica et Luigi Pierangeli : Anna-Maria et Maria-Luisa. Ces demoiselles auront une autre sœur, mais bien plus tard : Patrizia qui naîtra en 1947. Luigi est architecte et ingénieur en construction, sa femme, folle de théâtre et de cinéma, surveille ses filles.
Les sœurs Pierangeli
Ces ravissantes bambines grandissent un peu sous le soleil et au bord de la Méditerranée qui entoure leur île mais sous la très haute surveillance d’une mère ultra catholique, ultra pratiquante et qui ne badine avec rien. Elles quitteront leur Sardaigne natale pour gagner Rome alors que les filles n’ont que trois ans. Dans la Rome éternelle, leur mère ne badinera pas plus qu’en Sardaigne ! Surtout pas avec l’amour et encore moins la vertu ! Malgré un sens des convenances et de l’éducation qui doit beaucoup à l’inquisition, madame Pierangeli mère permettra à ses jumelles de suivre leur vocation artistique. Et donc, de prendre des cours de théâtre. Cette autorisation maternelle va bouleverser à jamais le destin d’Anna-Maria et à travers elle celui de toute sa famille. La guerre était venue, l’Italie l’avait perdue. Le Duce était mort pendu à un crochet de boucher, on avait faim on avait froid et Cinecitta avait perdu toute sa superbe. Mais la vocation des petites Pierangeli resta bien plus inébranlable que le régime fasciste
Le cinéaste Léonide Moguy qui se vante d’avoir découvert l’actrice Madeleine Robinson est à la recherche d’une jeune fille aux attitudes digne d’une madone pour le film qu’il prépare avec Vittorio de Sica. Presque par hasard il va visionner un film fort moyen, une production italienne de série Z, mais il va repérer sur cette pauvre chose, l’éclatant minois d’une petite débutante, presque une figurante. C’est Anna-Maria qui deviendra Pier. Le film connaîtra un triomphe inouï à tel point qu’il faudra lui donner une pseudo suite : « Demain est un autre Jour ». Anna Maria reçut le ruban d’argent couronnant la meilleure actrice de l’année. Ce sera suffisant pour que s’ouvrent les portes d’Hollywood. Madame Pierangeli s’embraque avec ses filles. Les trois. Un départ en grand deuil. Avant de partir on a enterré un mari et père.
Hollywood s’entiche de Pier Angeli, Pier s’entiche de Kirk Douglas, de James Dean et de toute une farandole de fringants soupirants avant que sa mère, craignant de voir la mine d’or qu’était « la pure Pier » ne se tarisse, lui fasse épouser Vic Damone. La vie de la petite fée d’Italie va devenir un enfer et bientôt Audrey Hepburn et Leslie Caron viendront lui souffler le rôle avec il faut bien le dire plus de professionnalisme et une sensualité mieux gérée. Dans tout ce tumulte dont la presse se régale, Pier sombre déjà. Marisa semble attendre son heure, tapie dans l’obéissance aux jupons de sa mère mais prête à en découdre à la première occasion. C’est d’ailleurs tout le paradoxe de l’histoire : C’est Pier Angeli qui entame une carrière fulgurante alors que c’est Marisa l’ambitieuse. Pier est la rêveuse, la distraite et au fond, il n’est pas certain qu’elle n’ait jamais souhaité être célèbre. Et la vraie chance de Marisa, c’est le désarroi de Pier. Elle a été choisie pour être la fille d’Anna Magnani dans « La rose tatouée ». Un film à Oscars s’il en est. Pier ne peut honorer l’engagement. Marisa se propose, Anna Magnani accepte, entre compatriotes ! Ce sera le golden globe et une nomination aux Oscars ! Hollywood voit en Marisa Pavan une Pier Angeli sur qui on peut compter. Elle sera une Catherine de Médicis tout à fait saisissante et en technicolor !
Marisa mène une carrière intéressante, elle est une actrice respectée. Mais la star, c’est Pier Angeli. A Marisa on propose de solides seconds rôles. Pas les fragiles héroïnes, rôles où excelle Pier. Marisa est plus solide, plus téméraire, plus terrienne. Elle joue dans la même cour qu’une Jennifer Jones ou une Jean Simmons, voire une Claire Bloom. Elle n’est pas un petit oiseau blessé. Et puis c’est la rencontre qui va bouleverser sa vie et sa carrière. Celle de l’acteur Jean-Pierre Aumont.
Le « french lover » de l’après-guerre a mené une belle carrière d’acteur et de séducteur à Hollywood. Puis il a épousé la sublime actrice dominicaine Maria Montez Le couple est rentré en France, Ils ont eu une petite fille, Marie-Christine. Mais en 1951, Maria Montez meurt dans son bain. La presse s’émeut de ce beau veuf inconsolable qui clame volontiers son amour à la défunte tout en niant sa liaison avec Grace Kelly. L’un n’empêchant d’ailleurs pas l’autre. En avril 1956, Marisa épouse Jean-Pierre Aumont. L’heureux mari a 21 ans de plus que sa jeune épousée. Un mariage mouvementé. A commencer par la réaction de Pier Angeli qui apprend le mariage de sa jumelle par la presse. Elle n’a pas été informée. A Santa Barbara où la très simple cérémonie se déroule, Jean-Pierre Aumont a égaré la licence de mariage. Il faudra toute la bonne volonté des employés de l’état civil pour résoudre le problème. En Escale à San Franciso, en route pour une lune de miel à Honolulu c’est Marisa Pavan qui s’aperçoit qu’elle a perdu sa précieuse bague de fiançailles! Malgré une escouade de policiers mis sur l’affaire, on ne la retrouvera pas et l’avion pour les îles Hawaï décollera avec une heure de retard.
Mais le mariage est tumultueux. Et puis surtout, Marisa et Marie-Christine ne se supportent pas. Ou plus exactement, Marisa Pavan ne réussira jamais à gagner la confiance de Christina. Ni elle ni personne. Plus Marisa fera des efforts pour amadouer Christina et former une famille soudée, plus celle-ci s’en méfiera et elle finira par la détester. A la mort de Maria Montez, Jean-Pierre Aumont s’était complètement écroulé. Ne sachant que faire de cette petite fille chagrine, il l’envoya aux bons soins de religieuses dans un couvent. Elle a six ans. De là elle glissera dans un pensionnat suisse dont elle resurgira à 16 ans. Dix ans de solitude, il était un peu tard pour l’inviter à « former une famille ».
La première fois que Marie-Christine parut en public « officiellement » c’était au bras de son célèbre père à l’avant-première de « L’Opéra d’Aran » Jean-Pierre Aumont étant espéré avec Marisa Pavan, aussitôt les journalistes présents s’ébouriffèrent ! Qui était donc cette somptueuse et juvénile créature ? Pendant que les plus sages se perdaient en conjonctures, les plus bravaches s’empressèrent d’appeler Marisa pour l’avertir de son infortune « avant qu’elle ne l’apprenne par les journaux du matin ». La pauvre Marisa souffrante et tirée de son sommeil passa la soirée à répondre au téléphone « C’est sa fille, espèces d’abrutis ! »
Lorsque le couple Aumont aura deux fils, Jean-Claude et Patrick, Marie-Christine se sentira tout à fait exclue, voir rejetée. Une belle-mère qu’elle déteste, un père qui se partage entre Paris et Hollywood, entre la scène et le cinéma, c’est beaucoup. Marie-Christine s’essaie au cinéma, sombre dans la toxicomanie et finit par se faire arrêter pour trafic de drogue. Son père excédé la fourgue en mariage à son ami Christian Marquant. Un mariage qui émancipe Tina encore mineure, elle n’a que 16 ans et son tailleur Chanel ne réussit pas à lui en donner plus. Le mari acteur célèbre pour sa beauté plastique et sa longue liaison avec Marlon Brando en a 35. En 1963, la situation infernale de la famille provoque le divorce du couple Aumont. Ils repasseront devant le maire six ans plus tard pour renouer ce qu’ils avaient défait un peu trop vite tels Natalie Wood et Robert Wagner ou Liz Taylor et Richard Burton.
On a souvent prétendu qu’après son mariage, Marisa Pavan avait renoncé à sa carrière et s’était contentée de suivre partout son prestigieux mari et de s’occuper de ses fils. C’est tout à fait faux. Si Marisa sa fait en effet plus que discrète au cinéma à la fin des années 50, elle mènera une carrière prolifique à la télévision durant plus de 40 ans. Marisa Pavant s’est retirée en 1995. Jean Pierre Aumont s’éteindra à 90 ans, le 30 janvier 2001 dans leur villa de Saint Tropez où le couple s’était retiré. Marie Christine s’est éteinte en 2006 à l’âge de 60 ans.
Celine Colassin
QUE VOIR ?
1952 : What Price Glory : Avec Corinne Calvet et James Cagney
1953 : Ho scelto l’amore : Avec Renato Rascel et Ave Ninchi
1954 : Down Three Dark Streets : Avec Ruth Roman et Broderick Crawford
1954 : Drum Beat : Avec Audrey Dalton et Alan Ladd
1955 : The Rose Tattoo : Avec Anna Magnani et Burt Lancaster
1956 : Diane : Avec Lana Turner et Roger Moore
1956 : The Man in the Gray Flannel Suit : Avec Jennifer Jones et Gregory Peck
1957 : The Midnight Story : Avec Tony Curtis
1959 : John Paul Jones : Avec Robert Stack et Bette Davis
1959 : Solomon and Sheba : Avec Gina Lollobrigida et Yul Brynner
1961 : Le puits aux trois vérités : Avec Michèle Morgan et Jean-Claude Brialy
1973 : L’événement le plus important depuis que l’homme a marché sur la Lune : Avec Catherine Deneuve
1974 : Antoine et Sébastien : Avec François Perier, Jacques Dutronc et Ottavia Piccolo