Marie Lohr que l’on voit ici en Marguerite dans « Faust » fut une véritable icône des scènes londoniennes. Chantre du théâtre de Georges Bernard Shaw, elle avait déjà derrière elle une carrière fantastique lorsqu’elle consentit enfin à s’adonner au cinéma.
Marie Löhr qui perdra souvent le tréma de son patronyme naquit Marie Kaye Woulders Löhr à Sydney le 28 Juillet 1890. Son père Lewis était le trésorier de l’Opera de Melbourne et sa mère , l’anglaise Kate Bishop avait été dans sa prime jeunesse une enfant star. Elle avait réussi la prouesse de tenir quatre ans et quatre mois durant l’affiche avec la même pièce dès 1875 « Our Boys ». A la naissance de Marie, elle menait toujours son aimable carrière qui ne s’arrêtera qu’à l’avènement de la grande guerre de 1914. A l’instar de sa maman (et de son oncle maternel) Marie débuta elle aussi en tombant du berceau. Elle jouait du Georges Bernard Shaw à 4 ans, l’âge ou les autres bambins n’imaginent pas encore un seul instant qu’ils devront un jour maudit apprendre l’alphabet!
En 1900, Marie avait dix ans et sa mère, au bout d’un exil australien de quinze longues années, décréta ne plus pouvoir respirer une seconde de plus sans être sur une de ses chères scènes londoniennes! Scènes en dehors desquelles il n’existe, comme on le sait, point de salut pour une artiste digne de ce nom. On regagna donc l’île de sa gracieuse majesté, sa capitale et ses théâtres. le public retrouva Kate Bishop et découvrit sa gracieuse fille Marie Löhr. Un égal succès accueillit les deux comédiennes. Durant toute la décennie, le nom de Marie Löhr ne quittera jamais l’affiche, que ce soit à Londres ou en tournée. En 1910 elle a vingt ans et a déjà donné la réplique à tous les plus illustres comédiens anglophones de son siècle. Plus tard elle la donnera à Laurence Olivier soi-même.
Femme de théâtre adulée, s’estimant née pour servir le texte, elle n’eut qu’un dédain relativement compréhensible pour cette nouvelle invention, ce « cinématographe », n’ayant pas encore décidé si elle trouvait cette sottise puérile, vulgaire, inutile ou tout simplement idiote.
En 1918, elle épouse Anthony Prinsep, héritier lui aussi d’une longue lignée théâtreuse et qui de plus est, propriétaire de plusieurs théâtres à Londres. Marie va prendre en mains la destinée du « Globe » et de guerre lasse, cède aux suppliques des réalisateurs de films.
Consciente de l’impact que le cinéma a eu sur le moral des troupes au combat lors de la grande guerre, elle accepte enfin « d’en faire ». Dire que le cinéma ne la passionna pas outre mesure serait peu dire. Mais lorsqu’elle apprit que le film qu’elle venait d’achever avait complètement brûlé dans l’incendie du laboratoire, en lady qu’elle était, elle recommença le film gratuitement pour ne pas laisser ses producteurs dans l’embarras. Il ne serait pas dit qu’en condescendant à cette pantomime vulgaire, Marie Löhr se conduirait en fille de basse extraction! Dorénavant, Marie Löhr tournera-elle des films? En plus de diriger son théâtre jusqu’en 1927 et promener ses plus grands triomphes en tournées ce qui la conduira à travers tout le Canada et les Etats-Unis?
Non.
« Répudiée » par son mari en 1928, Marie va de plus en plus se passionner pour ce cinéma qui ne cesse de progresser techniquement. Et lorsqu’il aura finalement appris à parler , elle s’y engouffrera avec délectation. Elle a alors 40 ans et sa beauté altière et diaphane s’efface et s’étoffe tout à la fois. Elle va alors se spécialiser dans les rôles de douairières de haute volée, passant avec une totale désinvolture du drame le plus sombre à la comédie la plus débridée, faisant mouche à chaque réplique et faisant de chacune des ses apparitions un moment d’anthologie.
La seconde guerre mondiale l’éloigna des scènes et des écrans. Elle avait déjà affronté bravement ce genre d’hostilités sanglantes et meurtrières. Elle ne se sentit plus le courage ni la force de les affronter à nouveau. Mais lorsque le calme revint, Marie Löhr fit de même et elle renoua avec le succès dans les productions les plus prestigieuses de son époque jusqu’à ce qu’elle tire une dernière et très gracieuse révérence entre Jeanne Moreau et Peter O’Toole dans « La Grande Catherine » en 1968.
Au théâtre, son public la vit s’incliner une dernière fois à la fin d’une pièce de Georges Bernard Shaw, « Man et Superman » Nous étions en 1966, elle avait débuté sur un texte du même auteur 72 ans plus tôt! La boucle était bouclée.
Le 21 janvier 1975, Marie Löhr s’éteignait dans le sommeil de sa 85 ème année.
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1916: The Real Thing at Last (court métrage): Avec Edmund Gwenn.
1934: Road House: Avec Violet Lorraine
1935: Oh, Daddy: Avec Frances Day
1936: Reasonable Doubt: Avec Nancy Burne et John Taylor
1938: Pygmalion: Avec Wendy Hiller et Leslie Howard
1938: South Riding: Avec Edna Best et Ralph Richardson
1939: A Gentleman’s Gentleman: Avec Eric Blore
1941: Major Barbara: Avec Deborah Kerr, Wendy Hiller et Rex Harrison
1945: Kiss the Bride Goodbye: Avec Patricia Medina et Jimmy Hanley
1946: The Magic Bow: Avec Phyllis Calvert et Jean Kent
1948: Anna Karénine: Avec Vivien Leigh.
1948: The Winslow Boy: Avec Margaret Leighton et Robert Donat
1951: Counterblast: Avec Robert Beatty et Margaretta Scott
1955: Escapade: Avec Yvonne Mitchell et John Miles
1956: A Town like Alice: Avec Virginia McKenna et Peter Finch
1957: Seven Waves Away: Avec Mai Zetterling et Tyrone Power.
1945: The Rake’s Progress: Avec Lilli Palmer et Rex Harrisson
1948: Counterblast : Avec Margareta Scott et Robert Beatty
1968: La Grande Catherine: Avec Jeanne Moreau et Peter O’Toole