Margo Lion est l’un de ces personnages hauts en couleurs dont le cinéma ne peut guère nous laisser imaginer ce que furent les heures de gloire dans la folie berlinoise des années 20.
Marguerite Hélène Constantin Barbe Elizabeth Lion vint au monde de façon fort exotique car bien que française elle naît à Constantinople le 8 février 1899. On ne sait rien de ses jeunes années car arrivée à Berlin en 1921 avec celui qui est son petit ami de longue date, le chansonnier Marcellus Schiffer, elle est une artiste de cabaret dont le Berlin artistique et quelque peu interlope de la république de Weimar regorge.
Chanteuse, humoriste, fantaisiste, elle se crée des silhouettes, des allures art déco et des personnages qui seront autant de signatures qui permettent de l’identifier au premier coup d’œil. Elle sera la muse et l’impératrice de Klaus Nomi qui puisera sans vergogne dans son patrimoine pour se créer lui aussi un look inoubliable qui, sachons le, doit tout à Margo.
Hélas ni la presse ni les caméras de cinéma ne s’aventurent dans les bas fonds berlinois où se tient pourtant le meilleur monde. L’histoire ne retiendra qu’un duo vaguement grivois avec une autre belle de nuit berlinoise, une certaine Marlène Dietrich. Les biographes de cette dernière ignorant volontairement que la star des nuits sulfureuses teutonnes n’était pas Marlène mais Margo. Marlène ayant beaucoup de chance d’avoir été choisie pour pousser la chansonnette avec elle.
Plus tard encore, lorsque Marlène commettra ses mémoires, elle évoquera Margo et leurs années berlinoises. Elle lui enverra un exemplaire du bouquin pour avoir son avis, lequel fut: « C’est drôle je ne me souviens pas du tout des choses comme ça! » Margo fut instantanément rayée de la mémoire et du carnet d’adresse de l’ange bleu qui n’aimait pas que l’on pinaille lorsqu’elle énonçait ses vérités.
Margo fit bien un peu de cinéma mais comme toutes les artistes de la voix, elle ne trouvait rien d’intéressant à cette chose muette! Elle ne tournera qu’un film en 1926 puis attendra que ca parle avant de revenir tâter des caméras.
Margo avait fini par épouser son éternel fiancé en 1928. C’est la belle époque. Elle est jeune encore, elle est célèbre, a du succès, elle est heureuse mais tout va s’enrayer. Son mari se suicide en 1932 et la laisse désemparée à la fois sans compagnon et sans auteur. L’année suivante Hitler prend le pouvoir et entend bien faire régner sa peste brune rebaptisée moralité patriotique. Le despote fond sur les nuits berlinoises et Margo qui l’exècre d’emblée ne donne pas cher de sa longue carcasse! Elle qui joue l’androgynie, le plaisir saphique et chante le sous-entendu. L’artiste plie bagage et s’exile à Paris. Sa célébrité berlinoise est arrivée jusqu’à la ville lumière. Margo parle français puisqu’elle est française. Le théâtre lui ouvre ses portes pour qu’elle y serve magnifiquement Brecht et elle retrouve les plateaux de cinéma. Duvivier, Carné, les meilleurs la sollicitent et enfin, elle retrouve Pabst pour son plus grand plaisir.
Mais il était dit qu’Hitler n’en avait pas fini avec elle. Comme tant d’autre, Margo fuit devant l’avancée allemande et trouve refuge dans le midi. Il faudra attendre 1945 pour la retrouver. Mais Margo qui n’a jamais été une grande beauté académique a 46 ans. Contrairement à Marlène elle ne songe pas à perpétrer une grâce juvénile envolée et choisit de jouer dorénavant les dames d’un âge certain, emboîtant le pas à Michel Simon ou Denise Grey qui jouaient volontiers les vieux tromblons avant d’avoir 30 ans. Margo en a 46, c’est plus raisonnable! Le comble étant qu’elle est encore très belle femme et qu’avec un peu d’artifice et de bonne volonté elle pourrait damer facilement le pion à miss Dietrich herself!
Dans « Le diable souffle », elle joue Pepita, la vieille servante marâtre de Charles Vanel et préfère cracher à la figure d’Héléna Bossis, la jeune maîtresse de Vanel en la traitant de « saleté » quitte à se faire virer sur le champ plutôt que de la servir encore au lit. Elle avait d’ailleurs cette réplique sublime en servant Héléna la veille « Vous avez tout ce qu’il vous faut? Bon, je vous laisse, moi je n’ai pas fini de donner les gamelles aux chiens! » Mais si j’évoque cette scène c’est que malgré le cheveu tiré et les oripeaux noirs et paysans, la Pepita de Margo Lion est bien plus envoûtante que la Louvaine de la pauvre Héléna Bossis!
Elle aura son baroud d’honneur en étant la mère d’Annie Girardot et donc la grand’mère d’Isabelle Huppert dans « Docteur Françoise Gailland. Jolie passation de flambeau.
Elle fêtera ses 80 ans sur un plateau de télévision et s’éteindra dans sa patrie d’adoption à Annecy le vieux le 25 février 1989, trois jours avant que ne sonnent ses 90 automnes.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1926: Die Abenteuer eines Zehnmarkscheines: Avec Mary Nolan
1931: L’opéra de quat ‘sous: Avec Florelle et Albert Préjean
1931: L’inconstante. Je sors et tu restes là: Avec Danièle Parola
1931: Calais-Douvres: Avec Lilian Harvey et André Roanne
1932: Stupéfiants; Avec Danièle Parola et Jean Murat
1933: Hände aus dem Dunkel: Avec Karin Hardt
1933: La Voix sans Visage: Avec Vera Korène et Jean Servais
1933: Du haut en bas: Avec Janine Crispin et Jean Gabin
1935: Les Dieux s’amusent: Avec Jeanne Boitel et Henri Garat
1935: La Bandera: Avec Annabella et Jean Gabin
1936: Jenny: Avec Françoise Rosay, Lisette Lanvin et Albert Préjean
1937: Claudine à l’école: Avec Blanchette Brunoy, Suzet Maïs et Pierre Brasseur
1937: L’Alibi: Avec Jany Holt et Erich von Stroheim
1937: L’Homme de Nulle Part: Avec Isa Miranda et Pierre Blanchar
1937: La Danseuse Rouge: Avec Vera Korène et Maurice Escande
1938: Je Chante: Avec Janine Darcey et Charles Trenet
1938: L’Affaire Lafarge: Avec Marcelle Chantal et Raymond Rouleau
1939: Jeunes Filles en Détresse: Avec Marcelle Chantal et Jacqueline Delubac
1946: La Foire aux Chimères: Avec Madeleine Sologne et Erich von Stroheim
1946: Martin Roumagnac: Avec Jean Gabin et Marlène Dietrich
1947: Une nuit à Tabarin: Avec Jacqueline Gauthier
1947: La Fleur de l’âge: Avec Anouk Aimée et Arletty
1947: Le Diable souffle: Avec Helena Bossis et Charles Vanel
1948: La Femme que j’ai assassinée: Avec Micheline Francey et Charles Vanel
1950: Quai de Grenelle: Avec Françoise Arnoul et Maria Mauban
1951: Les Requins du Fleuve: Avec Nicole Courcel et Robert Dalban
1951: L’Aiguille Rouge: Avec Michèle Philippe et Michel Auclair
1954: Le Grand Jeu: Avec Gina Lollobrigida.
1954: Mam’zelle Nitouche : Avec Anna Maria Pierangeli et Fernandel
1955: Nuit d’Orage: Avec Anouk Aimée et Mario Cabre
1959: Julie la Rousse: Avec Pascale Petit et Daniel Gélin
1959: Katia: Avec Romy Schneider et Curd Jürgens
1960: Le Dialogue des Carmélites: Avec Jeanne Moreau, Pascale Audret et Alida Valli
1961: Lola: Avec Anouk Aimée
1964: Coplan prend des Risques: Avec Dominique Paturel
1967: Le Fou du Labo 4: Avec Jean Lefebvre, Maria Latour, Anne Carrère et Bernard Blier
1970: La faute de l’abbé Mouret: Avec Francis Huster
1970: La rupture: Avec Stéphane Audran
1972: L’Humeur Vagabonde: Avec Jeanne Moreau, Madeleine Renaud et Michel Bouquet
1976: Docteur Françoise Gailland: Avec Annie Girardot et Isabelle Huppert