Lucille Ricksen est non seulement une gloire éphémère du cinéma, mais également une des plus tragiques prêtresses des glorieuses années des débuts. Et à nulle autre qu’elle ne peut mieux convenir la formule « Vivre vite et mourir jeune ».
La jolie demoiselle ne fêta jamais ses 15 ans.
Lucille Ericksen naît à Chicago le 22 Août 1910 dans une famille d’origine suédoise et proche de l’indigence. La faute surtout au père de Lucille qui cumule les défauts de son époque et de sa classe sociale et sur qui Ingeborg, son épouse ne pourra jamais compter. Il est chômeur, instable et ne dédaigne pas la dive bouteille. A charge d’Ingeborg qui va reporter toutes ses affections sur sa précieuse Lucille et son frère Marshall. Les faire manger et dormir quelque part, bref de les faire vivre. Il semble évident qu’ Ingeborg, Myrtle Elizabeth Ericksen n’est pas née sous la plus lumineuse des bonnes étoiles. .
La chance viendra avec un autre phénomène de société. Si l’alcoolisme ravage les classes déshéritées et a plongé Ingeborg avec tant d’autres dans l’indigence la plus complète, étrangement en ce début de siècle, les enfants sont à la mode! On s’entiche partout de petits anges blonds, filles ou garçons qui fleurissent tout bambins sur les réclames, au théâtre et même au cinéma! Une certaine « Baby Mae », future Mae West n’est-elle pas la coqueluche de New-York?
Or, le trésor d’Ingeborg, sa baby Lucille est non seulement d’une beauté rare, mais à trois ans elle faisait déjà preuve d’un esprit hors du commun! Elle en avait fini depuis belle lurette de brailler dans son berceau et prenait déjà grand soin des rares dentelles de ses robes. Avec l’énergie du désespoir, on le saura plus tard, poussée par la faim, Ingeborg proposa sa petite Lucille à des photographes dans l’espoir d’un sandwich et d’un verre de lait, qui sait?
L’année suivante, Lucille était déjà célèbre, elle avait 4 ans!
Son petit minois avait bouleversé tout Chicago sur une réclame de je ne sais quoi. Elle signait des autographes à de grandes mondaines et le sacro saint Broadway fit résonner ses trompettes d’or! Pas assez fort cependant pour couvrir l’appel d’Hollywood où l’on est alors, comme partout ailleurs, à l’affût de jolies frimousses enfantines et photogéniques! C’est Samuel Goldwyn en personne qui invite le famille Ericksen à Hollywood. Mais à l’époque, nous sommes en 1920, Lucille n’est plus une curiosité juvénile! Elle va avoir 10 ans et est déjà une célébrité très cotée sur la côte Est. Son père d’ailleurs est revenu à de plus nobles sentiments familiaux qui allèrent croissant au gré de la fortune amassée par Lucille.
Goldwyn précipita sa nouvelle recrue dans un « sérial »: « Les Aventures d’Edgar Pomeroy ». Genre qui connaissait déjà ses dernières heures de gloire mais où elle se montra prodigieuse et porta douze épisodes consécutifs au succès. Lorsqu’elle en aura terminé avec son Sérial, Lucille n’aura que 12 ans mais se sentira prête pour des rôles d’adultes, ce qui, on s’en doute n’enchanta pas Goldwyn qui la voyait bien jouer les petites filles jusqu’en 1985!
Avec un caractère déjà bien trempé que l’on imagine plus, un siècle plus tard à des enfants de 12 ans, Lucille signa un contrat pour un film avec l’actrice Dorothy Davenport. Dorothy était la veuve de l’acteur Wallace Reid emporté par une overdose et elle tenait à produire elle-même un film dénonçant les ravages des drogues dures. « L’Epave Humaine » connut un succès retentissant, Lucille fut célébrée et portée au pinacle. Goldwyn ne songea plus à la faire jouer à la poupée. Une star était née, bientôt sa cote, en 1924, rivaliserait avec celle de Clara Bow!
Lucille joue dorénavant des rôles adultes dans des films de prestige et ne donne plus la réplique qu’aux grands noms d’Hollywood.
Mais le rêve absolu ne va plus durer.
Sur le tournage de son film en cours, le dixième qu’elle enchaîne en cette année 1924, Lucille tombe malade. Si elle termine malgré tout le film dont on modifie le scénario pour la libérer au plus vite, ses joues se creusent, ses yeux se cernent, en quelques jours elle n’est plus que l’ombre d’elle même. A la fin du tournage elle ne se déplacera plus que très difficilement.
Bientôt elle ne quitte plus le lit, devient grabataire, on diagnostique une tuberculose osseuse, la forme la plus violente et la plus douloureuse de cette maladie et qui en effet cloue définitivement sa victime au lit, aliénée de toute force physique. La nouvelle se répendit comme une traînée de poudre: Lucille Ricksen se mourait des suites d’un avortement clandestin mal mené. C’est le moment que choisit son père pour se volatiliser dans la nature les poches pleines, pourquoi serait-il resté auprès d’une enfant mourante et de sa mère au désespoir alors même que le scandale menaçait et que ça ne rapportait plus un rond. C’est Marshall qui se démènera pour trouver du travail, faire vivre sa mère et soigner sa soeur.
Ingeborg se retrouve seule et sans argent au chevet de sa fille pour qui il n’y avait plus guère d’espoir. Le destin continua impitoyablement son oeuvre destructrice. On mit bientôt l’état désastreux de la jeune actrice prodige sur le compte de la vénalité de sa mère qui l’aurait exploitée jusqu’à la mort. On parla même de voter des lois pour que pareil comportement ignominieux ne puisse plus se reproduire. Que les parents proxénètes ne puissent plus pousser jusqu’à l’épuisement et aux portes de la morts ces pauvres enfants vedettes pris au piège sordide de leur autorité.
C’en fut trop pour la mère déjà terrassée qui ne vivait plus qu’au chevet de sa fille adorée. Elle s’effondra sur le lit où se mourrait Lucille, victime d’une une crise cardiaque foudroyante. Lorsque Marshall rentra ce soir là fourbu de son travail il entendit sa soeur l’appeler. Lorsqu’il entra dans la chambre il découvrit sa mère inconsciente, effondrée sur le lit et agrippée à Lucille. Il ne réussit pas à desserrer l’étreinte de la mère à son enfant et dut appeler de l’aide. Ingeborg respirait encore faiblement et murmura quelques mots » Prends bien soin d’elle » puis sombra dans le coma dont elle ne sortirait plus. Elle s’éteindra 48 heures plus tard à seulement 45 ans.
Lucille la suivrait dans la tombe moins de deux semaines plus tard, le 13 Mars 1925. Elle aurait fêté ses 15 ans en Août.
Deux semaines que vécut Lucille Ricksen entre la mort de sa mère et sa propre fin, restée seule au monde et dans le dénuement le plus total après avoir été spoliée par son père. Elle fut veillée jour et nuit par les « grandes dames » de la M.G.M. qui se relayaient à son chevet et lui apportèrent des soins aussi constants que vains. Elles tentèrent désespérément de retenir la vie de leur petite collègue, leur amie qui n’était encore qu’une petite fille et se questionnèrent ensuite longtemps sur la signification d’un tel destin. Loïs Wilson qui avait elle aussi débuté très jeune, à 11 ans fut l’une des plus assidues au chevet de la mourante et ne l’oublia jamais.
On ne retrouva jamais le père de Lucille Ricksen, on ignore ce qu’il fit de sa fortune.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1920: Edgar and the Theacher’s Pet: Avec Edward Peil Jr.
1920: Edgar’s Little Saw: Avec Edward Peil Jr.
1922: The Married Flapper: Avec Marie Prévost et Kenneth Harlan.
1923: One Of Three (court métrage): Avec Roy Stewart
1923: L’Epave Humaine: Avec Dorothy Davenport, James Kirkwood et Bessie Love.
1923: The Rendez-vous: Avec Conrad Nagel
1924: Young Ideas: Avec Laura La Plante
1924: Behind the Curtain: Avec John Harron