Le 30 Avril 1899, Lucia Mannheim naît à Berlin.
Très tôt attirée par les feux de la rampe, Lucia sera comédienne mais saura aussi très brillamment chanter et danser. Il faut bien cela, car elle aura 21 ans en 1920, et les années 20 en Allemagne furent des années sensationnelles, une véritable révolution artistique et culturelle dont Berlin était le cœur bouillonnant.
Si dans les années dix il était de bon ton d’être d’une famille de militaires pour être dans le vent berlinois, dans la décennie suivante, il valait mieux être un musicien de jazz, noir, drogué et homosexuel marié à une poétesse exhibitionniste prostituée. L’Allemagne assoiffée de vivre et d’oublier les atrocités de la grande guerre se jeta avec une sorte de rage dans un délire existentiel et créatif complet. Comme si le nouveau mot d’ordre de la capitale teutonne était « Tout pour l’art et le Sexe ». Créer, s’enivrer et faire l’amour semblent être les trois seules occupations de la jet set berlinoise. Bien entendu, les actrices sont les fiers étendards de cette nouvelle liberté de vivre et de penser !
Lotte Lenya, Marlène Dietrich et cette française importée, Margo Lion font courir les Berlinois dans les théâtres et les cabarets le soir, dans les cinémas le jour. Lucie Mannheim fait elle aussi partie de ces égéries du nouveau courant de pensée débridée, d’autant plus fort qu’il fut aussi fort…fugace.
Lucie fut donc une très célèbre et populaire (les deux ne sont pas forcément liés) vedette de cabaret et d’opérettes dont les Allemands restèrent friands malgré leur dédain momentané affiché pour le genre. Mais elle saura aussi donner du prestige à sa carrière en jouant les grands auteurs dont Shakespeare. Elle laissa longtemps un souvenir ému de sa Juliette et de son Ophélie à ceux qui eurent la chance de l’y voir.
En 1923, le cinéma, alors prodigieusement prolifique en Allemagne comme toutes les autres formes d’art fait appel à sa gracile beauté et Lucie signe d’emblée un contrat pour cinq films, tous en vedette! Mais paradoxalement, malgré l’indiscutable succès, c’est sur scène qu’elle se préfère. Le contrat honoré à une vitesse stupéfiante, elle aura tourné ses cinq films en un an. Elle renonce aussitôt aux caméras. Sa carrière filmée aurait pu s’arrêter là si on n’avait pas fait appel à elle pour le film le plus cher et le plus ambitieux jamais tourné en Allemagne: »Atlantik » Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une version du naufrage du Titanic vue par les Allemands. Ce film muet de 1929 semble aujourd’hui hélas complètement disparu et c’est fort dommage car il fut longtemps considéré comme le meilleur film sur le sujet et ses truquages étaient fantastiques. (De nombreux survivants du naufrage, invités à la première sortirent de la salle complètement bouleversés). Un des seuls fragments qui subsistent nous montre Lucie en robe du soir et chapeautée de plumes d’aigrettes descendre le grand escalier des premières classes avec une allure folle, on se croirait aux plus grands moments des folies bergères!
Il est également intéressant de souligner que si le national socialisme n’est pas encore au pouvoir en 1929, dans « Atlantik », les riches armateurs qui forcent la vitesse du bateau pour un pari et le mènent à sa perte sont Juifs et que le seul Allemand à bord est le brave radio qui enverra des S.O.S. jusqu’à ce qu’il ait de l’eau jusqu’aux genoux, ne quittant son poste qu’un court instant… pour libérer son canari de sa cage! (Cet autre fragment surgit pour notre édification sur la propagande teutonne qui s’était faufilée jusque sur le Titanic!).
La classe inouïe de Lucie Mannheim et sa performance dans le film la désignèrent comme premier choix pour « L’Ange Bleu ». Choisie par la production, von Sternberg ne voulut rien savoir et imposa une Marlène Dietrich encore grassouillette.
Lucie est donc une star! Sternberg ou pas! En 1933, il y a dix ans qu’elle a débuté au cinéma. Elle vient de terminer un film avec Liane Haid lorsqu’un soir, se rendant au théâtre où elle joue…On lui interdit l’entrée!
Lucie Mannheim est juive. Elle a déjà gratifié Hitler de quelques traits cinglants et d’une ou deux imitations bien senties. Sa présence d’agitatrice en puissance n’est plus souhaitée sur les scènes nationales. Scandalisée, outrée, et sentant le vent tourner, elle quitte l’Allemagne drapée dans sa dignité outragée et ses chinchillas pour la Tchécoslovaquie ou elle est une grande star. Mais à peine installée, elle réalise enfin l’ampleur du danger qui menace et repart presque aussitôt pour l’Angleterre.
Elle y aura la grande chance de rencontrer Alfred Hitchcock qui lui propose un rôle dans « Les 39 Marches » avec la blonde Madeleine Carroll. Lucie l’ignore encore, mais c’est ce film qui fera passer son nom à la postérité.
La guerre, inévitable, éclate. Lucie Mannheim n’a pas oublié l’affront et de toute manières- elle détestait Hitler depuis la première fois qu’elle en avait entendu parler! Elle trouvera le temps de faire quelques films, de la télévision dès 1938. Mais surtout, aux heures les plus chaudes du conflit, elle accapare les ondes radiophoniques où elle tourne Hitler en ridicule et en profite pour singer Marlène Dietrich dans une version anti nazie de Lilli Marlène!
« Ô notre führer bien aimé,
L’Allemagne te dit merci,
A toi Hitler, l’Allemagne des orphelins
Des femmes aux yeux cernés de chagrin
Ô Hitler, pendez-le à cette lanterne!
Lucie se retrouvera en bonne compagnie, celle de Marlène et Myrna Loy entre autres, sur la liste rédigée par Hitler en personne: la liste des femmes à capturer et fusiller sur place.
Lucie Mannheim considère, à tout prendre, cela comme un honneur! Plutôt que de s’en inquiéter, elle préfère convoler en justes noces avec le bel acteur anglais Marius Goring de 13 ans son cadet. Goring a rejoint l’armée et elle le rencontre dans les locaux de la BBC. Marius Goring utilise alors un pseudonyme: Charles Richardson, son patronyme réel faisant par trop teuton et trop connoté « Herman Göring »!
Le couple sortira indemne du conflit mondial et restera uni jusqu’à la mort.
En 1948, les esprits ne sont pas encore calmés, mais Lucie rentre en Allemagne, parce qu’après tout c’est chez elle!
On n’attend hélas pas cette traîtresse comme le messie et elle ne fera plus que de vagues apparitions au cinéma à partir de 1952, elle n’avait plus tourné depuis 1944.
C’est son mari qui, auteur et réalisateur d’une série télévisée à succès « The Scarlet Pimpernel » lui offrira un rôle récurrent d’élégante comtesse dans son programme. Il n’y aura hélas plus de hauts faits dans la carrière de Lucie Mannheim qui la cinquantaine bien tassée continue à se partager entre l’Allemagne et l’Angleterre, y travaillant indifféremment au théâtre et à la télévision jusqu’en 1970.
Elle s’éteint dans sa chère Allemagne le 18 Juillet 1976. Elle avait 77 ans.
Son mari se remariera l’année suivante avec une productrice de télévision.
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1929: Atlantik: Avec Elsa Wagner, Julia Serda, Willi Forst et Fritz Kortner
1931: Der Ball: Avec Reinhold Schünzel
1935: The 39 Steps: Avec Madeleine Carroll et Robert Donat
1936: East Meets West: Avec Georges Arliss
1943: Yellow Canari: Avec Anna Neagle, Richard Greene et Margaret Rutherford
1952 : Nachts auf den Straßen : Avec Hildegarde Kneff et Hans Albers
1953:
1953:
Le 30 Avril 1899, Lucia Mannheim naît à Berlin.
Très tôt attirée par les feux de la rampe, Lucia sera comédienne mais saura aussi très brillamment chanter et danser. Il faut bien cela, car elle aura 21 ans en 1920, et les années 20 en Allemagne furent des années sensationnelles, une véritable révolution artistique et culturelle dont Berlin était le cœur bouillonnant !
Si dans les années dix il était de bon ton d’être d’une famille de militaires pour être dans le vent berlinois, dans la décennie suivante, il valait mieux être un musicien de jazz, noir, drogué et homosexuel marié à une poétesse exhibitionniste prostituée ! L’Allemagne assoiffée de vivre et d’oublier les atrocités de la grande guerre se jeta avec une sorte de rage dans un délire existentiel et créatif complet ! Comme si le nouveau mot d’ordre de la capitale teutonne était « Tout pour l’art et le Sexe ». Créer, s’enivrer et faire l’amour semblent être les trois seules occupations de la jet set berlinoise, et bien entendu, les actrices sont les fiers étendards de cette nouvelle liberté de vivre et de penser !
Lotte Lenya, Marlène Dietrich et cette française importée, Margo Lion font courir les Berlinois dans les théâtres et les cabarets le soir, dans les cinémas le jour et Lucie Mannheim fait elle aussi partie de ces égéries du nouveau courant de pensée débridée, d’autant plus fort qu’il fut aussi fort…fugace.
Lucie fut donc une très célèbre et populaire (les deux ne sont pas forcément liés) vedette de cabaret et d’opérettes dont les Allemands restèrent friands malgré leur dédain momentané affiché pour le genre. Mais elle saura aussi donner du prestige à sa carrière en jouant les grands auteurs dont Shakespeare. Elle laissa longtemps un souvenir ému de sa Juliette et de son Ophélie à ceux qui eurent la chance de l’y voir.
En 1923, le cinéma, alors prodigieusement prolifique en Allemagne comme toutes les autres formes d’art fait appel à sa gracile beauté et Lucie signe d’emblée un contrat pour cinq films, tous en vedette!
Mais paradoxalement, malgré l’indiscutable succès, c’est sur scène qu’elle se préfère, et le contrat honoré à une vitesse stupéfiante, elle aura tourné ses cinq films en un an, elle renonce aux caméras.
Sa carrière filmée aurait pu s’arrêter là si on n’avait pas fait appel à elle pour le film le plus cher et le plus ambitieux jamais tourné en Allemagne: »Atlantik » Il ne s’agit ni plus ni moins que d’une version du naufrage du Titanic vue par les Allemands. Ce film muet de 1929 semble aujourd’hui hélas complètement disparu et c’est fort dommage car il fut longtemps considéré comme le meilleur film sur le sujet et ses truquages étaient fantastiques. (De nombreux survivants du nauvrage, invités à la première sortirent de la salle complètement bouleversés). Un des seuls fragments qui subsistent nous montre Lucie en robe du soir et chapeautée de plumes d’aigrettes descendre le grand escalier des premières classes avec une allure folle, on se croirait aux plus grands moments des folies bergères!
Il est également intéressant de souligner que si le national socialisme n’est pas encore au pouvoir en 1929, dans « Atlantik », les riches armateurs qui forcent la vitesse du bateau pour un pari et le mènent à sa perte sont Juifs et que le seul Allemand à bord est le brave radio qui enverra des S.O.S. jusqu’à ce qu’il aie de l’eau jusqu’aux genoux, ne quittant son poste qu’un court instant, pour libérer son canari de sa cage! (Cet autre fragment surgit pour notre édification sur la propagande teutonne qui s’était faufilée jusque sur le Titanic!).
La classe inouïe de Lucie Mannheim et sa performance dans le film la désignèrent comme premier choix pour « L’Ange Bleu ». Choisie par la production, von Sternberg ne voulut rien savoir et imposa une Marlène Dietrich encote grasouillette.
Lucie est donc une star! Sternberg ou pas! En 1933, il y a dix ans qu’elle a débuté au cinéma, et elle vient de terminer un film avec Liane Haid lorsqu’un soir, se rendant au théâtre où elle joue…On lui interdit l’entrée!
Lucie Mannheim est juive, elle a déjà gratifié Hitler de quelques traits cinglants et d’une ou deux imitations bien senties, sa présence d’agitatrice en puissance n’est plus souhaitée sur les scènes nationales!
Scandalisée, outrée, et sentant le vent tourner, elle quitte l’Allemagne drapée dans sa dignité outragée et ses chinchillas pour la Tchékoslovakie ou elle est une grande star. Mais à peine installée, elle réalise enfin l’ampleur du danger qui menace et repart presque aussitôt pour l’Angleterre.
Elle y aura la grande chance de rencontrer Alfred Hitchock qui lui propose un rôle dans « Les 39 Marches » avec la blonde Madeleine Carroll. Lucie l’ignore encore, mais c’est ce film qui fera passer son nom à la postérité.
La guerre, inévitable, éclate. Lucie Mannheim n’a pas oublié l’affront et de toute manières- elle détestait Hitler depuis la première fois qu’elle en avait entendu parler! Elle trouvera le temps de faire quelques films, de la télévision dès 1938, mais surtout, aux heures les plus chaudes du conflit, elle accapare les ondes radiophoniques où elle tourne Hitler en ridicule et en profite pour singer Marlène Dietrich dans une version anti nazie de Lilli Marlène!
Lucie se retrouvera en bonne compagnie, celle de Marlène et Myrna Loy entre autres, sur la liste rédigée par Hitler en personne: la liste des femmes à capturer et fusiller sur place!
Lucie Mannheim considère, à tout prendre, cela comme un honneur! Plutôt que de s’en inquiéter, elle préfère convoler en justes noces avec le bel acteur anglais Marius Goring de 13 ans son cadet. Goring a rejoint l’armée et elle le rencontre dans les locaux de la BBC. Marius Goring utilise alors un pseudonyme: Charles Richardson, son patronyme réel faisant par trop teuton et trop connoté « Herman Göring »!
Le couple sortira indemne du conflit mondial et restera uni jusqu’à la mort.
En 1948, les esprits ne sont pas encore calmés, mais Lucie rentre en Allemagne, parce qu’après tout c’est chez elle!
On n’attend hélas pas cette traîtresse comme le messie et elle ne fera plus que de vagues apparitions au cinéma à partir de 1952, elle n’avait plus tourné depuis 1944.
C’est son mari qui, auteur et réalisateur d’une série télévisée à succès « The Scarlet Pimpernel » lui offrira un rôle récurrent d’élégante comtesse dans son programme.
Il n’y aura hélas plus de hauts faits dans la carrière de Lucie Mannheim qui la cinquantaine bien tassée continue à se partager entre l’Allemagne et l’Angleterre, y travaillant indifféremment au théâtre et à la télévision jusqu’en 1970.
Elle s’éteint dans sa chère Allemagne le 18 Juillet 1976. Elle avait 77 ans.
Son mari se remariera l’année suivante avec une productrice de télévision.
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1929: Atlantik: Avec Elsa Wagner, Julia Serda, Willi Forst et Fritz Kortner
1931: Der Ball: Avec Reinhold Schünzel
1935: The 39 Steps: Avec Madeleine Carroll et Robert Donat
1936: East Meets West: Avec Georges Arliss
1943: Yellow Canari: Avec Anna Neagle, Richard Greene et Margaret Rutherford
1952 : Nachts auf den Straßen : Avec Hildegarde Kneff et Hans Albers
1953: The Man Who Watched Trains go by: Avec Marta Toren et Claude Rains
1954: Das Ideale Brautpaar: Avec Ingeborg Körner et Hans Reiser
1957: Frauwenarzt, dr Bertram: Avec Winnie Marcus et Willy Birgel
1960: Beyond the Curtain: Avec Eva Bartok, Marius Goring et Rchard Greene
1965: Bunny Lake is Missing: Avec Carol Lynley et Laurence Olivier
1970: Erste Liebe: Avec Dominique Sanda, Maximillian Schell , Marius Goring et John Moulder Brown (son dernier film)