Il est encore possible aujourd’hui, et c’est une grande chance, de pouvoir admirer la grâce et le talent de Louisa de Mornand. Mais si l’on veut se faire d’elle un portrait plus précis, sans doute vaut-il mieux se plonger dans l’univers de Proust. Car non seulement il fut un de ses meilleurs amis et son admirateur le plus assidu, mais elle hante son œuvre littéraire sous les traits de Rachel.
La belle Louisa qui deviendra une des divinités théâtrales et du tout Paris des années folles naît au pied du sapin, le soir du 24 Décembre 1884. Elle est pour l’état civil Marthe Montaud. Et si elle naît au pied du sapin, elle naît aussi d’une mère en grand deuil. Son père Louis Edouard Montaud est mort avant sa naissance, laissant veuve Marie-Joséphine Cottier, son épouse « proche de la délivrance ». Si elle est orpheline de père, Marthe est aussi née dans le grand monde, dans une famille de militaires et d’intellectuels fortunés. Son goût immodéré pour la littérature et les grands auteurs l’attirera irrésistiblement vers les planches.
Devenue Louisa de Mornand, elle est très vite célèbre à la fois pour son grand talent mais surtout pour son immense beauté. Adulée du public, fêtée par les plus grands, elle devient une intime de Proust et de Guitry. En 1903 son portait par Antonio de La Gandara fait courir tout Paris et l’on admire au moins tant la beauté du modèle que le talent du peintre, Proust, toujours lui, s’épanchera à foison sur la pure beauté du chef d’oeuvre! L’artiste et le modèle étant tous deux de ses intimes.
Le bruit court d’ailleurs avec insistance que Proust l’aurait connue « en maison » Etrange rumeur car « en maison » on trouve bien peu de « filles bien nées »
Jusqu’à la guerre, Louisa sera une des reines de Paris et fera de Trouville la « Place to be » pour la saison d’été avec dans son sillage tout le « grand monde » qui vient là, « cinq heure d’automobile à peine, très chère, c’est inouï vous rendez-vous compte? » Et puisque les bains de mer sont désormais à la mode et bons pour la santé. Toujours à l’affut de trouvailles, d’originalité et de nouveaux modes d’expression, la belle Louisa qui protège des auteurs mais aussi des photographes, ce qui est très nouveau, tâtera du cinéma dès 1908, prêtant sa beauté à quelques essais sautillants où elle joue les coquettes ou les mères éplorées. Le déclenchement des hostilités trouvera la reine des scènes maîtresse du fils d’un maréchal d’empire qui a boulevard à son nom, le boulevard Suchet. La paix revenue, les « gueules cassées » purent profiter de places assises dans le métro, et Louisa était toujours une des reines de Paris.
Pour le cinéma, elle attendra que la technique soit enfin digne de sa présence, de son talent et surtout de son prestige pour en tâter de nouveau en 1924.
Née trop tôt pour être vraiment une icône de celluloïd, Louisa de Mornand n’aura pas à rougir du patrimoine filmé, hélas assez ténu qu’elle nous laisse. Dirigée magnifiquement par Duvivier en 1925 dans » L’Abbé Constantin », elle tournera jusqu’au milieu des années 30, passant sans l’ombre d’un souci du muet au parlant. Elle prend sa retraite filmée en 1934, à 50 ans tout juste, ne souhaitant pas jouer les douairières après avoir tenu si longtemps les rôles de grandes dames.
On apprendra sa mort le 14 Décembre 1963, dix jours avant qu’elle ne puisse fêter ses 79 ans.
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1906: Un Monsieur qui Suit les Dames: Avec Charles Prince
1924: Les Amours de Rocambole: Avec Maurice Thorèze, Pierre Fresnay et Willy.
1924: l’Abbé Constantin: Avec Jean Coquelin
1932: Violettes Impériales: Avec Raquel Meller.
1934: Le Rosaire: Avec André Luguet
1934: Fanatisme: Avec Pola Negri et Pierre Richard Wilm