Croquer le portrait de Lina Carstens dans ces pages n’est pas sans complications. Cette icône des scènes et du cinéma teuton a traversé deux guerres sans faiblir. Mais son statut d’actrice d’état sous le troisième Reich rend difficile la lecture de son parcours dans cette période de honte et de sang.
Lina Carstens vint au monde à la fin du XIXème siècle, à Wiesbaden le 6 décembre 1892. Ville thermale au climat privilégié, Wiesbaden. La ville reçoit alors en cure tout ce que l’Allemagne et même l’Europe comptent de têtes couronnées et autres célébrités. Un âge d’or qui durera jusqu’à l’avènement de la première guerre mondiale mis Wiesbaden reste encore aujourd’hui la ville la plus riche, et peut-être la plus snob d’Allemagne.
A l’heure de cette guerre maudite, Lina a déjà 25 ans. Elle est déjà sur les planches dont elle ne descendra plus. Elle s’était fait un nom avec ses récitals de poésie qui allaient on ne peut mieux dans les « palais des thermes » pour distraire les illustres curistes lors des interminables soirées arrosées uniquement à l’eau de source!
Après guerre, Lina continue sur sa lancée et intègre la plupart des troupes les plus prestigieuses d’Allemagne. Elle n’est pas à proprement parler une figure de mode mais sa silhouette terrienne et bien plantée dans ses sabots est sympathique aux Allemands. Ces femmes fortes et blondes sont l’archétype de la maman aux seins généreux qui savent tartiner le pain de ferme de bon beurre frais et connaissent toutes les chansons pour endormir les bambins à la veillée.
Dès 1922, le cinéma s’est rué. Il se tait, Lina n’aime pas ça mais elle connaît ses effets. Elle sait faire rire d’un geste, faire pleurer d’un regard, tomber les fesses dans l’abreuvoir ou porter dans ses bras le nourrisson mort de faim.
Dans les années 30, le cinéma se mit à causer et Lina, bien sûr en fut! Elle va devenir l’actrice fétiche d’un réalisateur ambitieux de son âge: Hans Detlef Sierck. Cet intellectuel brillant est un réalisateur de génie et Lina Carstens ne se trompe pas sur ses qualités. Elle se jetterait au feu s’il le fallait pour qu’une scène soit bonne. Mais les années 0 sont celles de la montée du nazisme. Hans une épouse juive, une ex épouse fervente nazie de la première heure. Il sera impliqué dans un coup d’état avorté contre Hitler.
Puis, par une sorte de miracle, il obtient un poste à la toute puissante UFA. Rien ne peut garantir que Lina soit mêlée de près ou de loin à ce revirement de situation pour le moins unique en son genre. Hans Detlef Sierck qui sentait fondre sur lui les menaces de déportation se voit parachuté à la UFA avec un salaire saisissant et des budgets illimités pour ses films. On espère évidemment qu’il sera obéissant et fera un beau travail de propagande. C’est aussi l’instant où Lina Carstens est déclarée « actrice d’état ».
Cette période est assez nébuleuse mais une tierce personne et non des moindres peut nous éclairer. J’appelle à la barre Zarah Léander en personne. Marlène Dietrich ayant refusé les offres de la UFA, Goebbels engagea à prix d’or cette actrice suédoise qui avait au saut du lit, ce visage que Dietrich mettait es heures à se composer. Hitler subjugué lui aurait promis l’Angleterre ou la Russie si elle les lui avait demandées. Mais la belle se contenta d’un salaire mirobolant versé directement en Suède en couronnes suédoises, déclarant sans trembler à Goebbels en personne « Vous ne pensiez tout de même pas que vous alliez me payer avec votre monnaie de singe? »
Zarah refusera toutes les « fanfaronnades du parti ». Mieux encore. Lorsqu’Hitler donne des réceptions officielles, plutôt que de répondre à ses invitations pourtant sans appel, elle organise dans sa villa des fêtes somptueuses qui tournent à l’orgie débridée pendant qu’Hitler est bon pour donner ses petits fours à son chien.
Au cinéma, Zarah est très habile pour refuser tous les films de propagande. Mais elle offre au public des films sublimes signés par…Hans Detlef Sierck. Et ces films là, Lina Carstens en est! Et comment! Hitler et Goebbels sont pris à leur propre piège. Ils ont enfanté une créature anti nazie qui vide les caisses et se paie leur tête. Mais la créature est intouchable! Elle est devenue une star immense?. L’Allemagne comme le reste de l’Europe où pleuvent ses films l’ont déifiée!
Hans Detlef Sierck devra fuir l’Allemagne. Il gagnera l’Amérique où il tournera ses films les plus magnifiques sous le nom de Douglas Sirk, grand prêtre du mélo flamboyant.
Zarah devra elle aussi décamper, en pleine nuit, en robe du soir pour ne pas finir au poteau.
Lina restera fidèle au poste et au pays sans ses deux amis. En 1941 elle épousait Otto Ernst Sutter, déjà deux fois divorcé et père de trois enfants. Sa seconde épouse, Beatrice Sutter-Kottlar était considérée comme la soprano de langue allemande la plus prestigieuse de toutes. Mais elle était également « demi-juive ». Contrainte de quitter les scènes « national-socialiste » pour « raison de santé » déclare Goebbels en personne. Son mari et elle choisissent de se laisser oublier et s’achètent au château perdu au sud de la forêt noire. Ils vivent complètement isolés avec pour seul revenu la plume d’Otto qui travaille sous de nombreux pseudonymes. Mais ce ne sera guère suffisant. Beatrice trouve une mort restée inexpliquée lors d’une simple promenade en forêt.
La guerre finie, personne ne songera à inquiéter, du moins à ma connaissance Lina Carstens. La vétérane encore très arrondie va seulement entamer la phase la plus populaire et la plus prolifique de sa carrière. Cinéma, théâtre et bientôt télévision, elle sera partout, tout le temps et pour de longues années.
Elle a 85 ans lorsqu’elle s’éteint à Munich le 22 septembre 1978. Il reste au public à découvrir Lina dans ses 7derniers rôles diffusés de manière posthume!
Celine Colassin
QUE VOIR?
1921: Leidendes Land: Avec Rudolph Hass
1924: Der Schönheitswettbewerb: Court métrage avec Kurt Paulus
1935: April, April!: De Douglas Sirk avec Erhard Siedel
1935: Das Mädchen vom Moorhof: de Douglas Sirk avec Ellen Frank
1937: Paramatta, bagne de femmes: de Douglas Sirk avec Zarah Léander
1937: Der zerbrochene Krug: Avec Emil Jannings
1937: Tango Notturno: Avec Pola Negri
1938: Grossalarm: Avec Ursula Grabley
1938: Heimat (Magda) Avec Zarah Léander
1939: Der Vorhang fällt: Avec Annelise Uhlig
1939: Mann für Mann: Avec Gisela Uhlen
1940: Der Ewige Quell: Avec Bernhardt Minetti
1940: Kriminalkommissar Eyck: Avec Annelise Uhlig
1940: Bal paré: Avec Ilse Werner
1940: Meine Tochter tut das nicht: Avec Erika von Thellmann
1944: Der Engel mit dem Saitenspiel: Avec Hertha Feiler
1949: Der Ruf: Avec Johanna Hofer
1951: Dr. Holl: Avec Maria Schell
1952: Ich heiße Niki: Avec Hardy Krüger
1953: Ein Herz spielt falsch: Avec Ruth Leuwerik
1953: Fanfaren der Ehe: Avec Dieter Borsche
1953: Arlette erobert Paris: Avec Johanna Matz
1954: Feu d’artifice: Avec Lilli Palmer et Romy Schneider
1955: Gestatten, mein Name ist Cox: Avec Claude Borelli
1955: Himmel ohne Sterne: Avec Eva Kotthaus
1955: Es geschah am 20. Juli : Avec Bernhard Wiki
1956: Kleines Zelt und große Liebe: Avec Suzanne Cramer
1958: Das Wirtshaus im Spessart: Avec Liselotte Pulver et Carlos Thompson
1958: Ich war ihm hörig: Avec Barbara Rütting et Carlos Thompson
1958: Auferstehung: Avec Myriam Bru et Horst Buchholz
1958: Wir Wunderkinder: Avec Johanna von Koczian
1959: Die Wahrheit über Rosemarie: Avec Belinda Lee
1959: Der Engel, der seine Harfe versetzte: Avec Nana Osten
1959: Ein Mann geht durch die Wand: Avec Heinz Rühmann
1960: Das schwarze Schaf: Avec Heinz Rühmann et Maria Sebaldt
1960: Gustav Adolfs Page: Avec Liselotte Pulver et Curd Jürgens
1968: Moartea lui Joe Indianul: Avec Roland Demongeot
1975: Lina Braake: Avec Fritz Rasp
1978: Der Schimmelreiter: Avec John Phillip Law