Je suis toujours fascinée de voir à quel point les destins des pionnières du cinéma sont autrement hauts en couleurs (un paradoxe) et fertiles en tragédies et rebondissements que les vies popotes et gling-gling de nos prétendues stars actuelles. Et nul doute que si d’aventure il se trouvait un cinéaste pour tout d’abord se souvenir de Lina Basquette et ensuite porter sa vie à l’écran, le film ferait douze heures et personne ne croirait une histoire pareille!
Léna Copeland Baskette naît fille de pharmaciens le 19 Avril 1907 à San Mateo en Californie. Malheureusement, Frank son père meurt en 1916. Cette triste chose scellera à jamais le destin de sa fille. Veuve avec sa petite Léna à élever sous le bras, Gladys ne tarda pas à se remarier avec un certain Ernest Belcher, chorégraphe de son état. Une aubaine pour Léna puisque la voilà flanquée d’un « nouveau papa » bien plus folklorique que le précédent! Il est évidemment bien plus fascinant d’apprendre à des girls l’art subtil du levage de gambettes plutôt que d’écouler des conserves et des pastilles pour la toux aux ménagères de San Mateo! Et cerise sur le gâteau, le nouveau couple donnera une petite soeur à Léna, Marjorie Céleste, de douze ans sa cadette. Le bon papa Belcher a déjà appris à Léna toutes les arcanes subtiles de l’art de la danse, de la claquette à l’entrechat! Il en fera de même avec sa seconde fille qui se révèlera particulièrement douée là où Léna n’était qu’appliquée. Plus tard, Marjorie Céleste deviendra célèbre sous le nom de Marge Champion. Disney l’engagera encore adolescente pour danser sur des fonds neutres et redessiner ensuite sur ses mouvements Blanche Neige, la fée bleue de Pinocchio ou même l’hippopotame de Fantasia!
Mais revenons-en à Léna qui n’est pas du genre à se laisser peinturlurer par dieu sait qui, fût-ce par Disney! D’ailleurs lorsque vint au monde sa demi soeur, elle était déjà une star! Elle avait débuté dès l’âge de 9 ans et avait eu son propre sérial « Léna Baskette Featurettes » avant de glisser, ayant grandi, de la pellicule à la scène illustre des Ziegfeld Folies.
En 1923 elle était la « prima Ballerina of America » et était couronnée en 1928 Wampa’s baby star, elle avait 21 ans. Elle avait 21 ans et elle était déjà mère et…veuve.
Léna Baskette devenue Lina Basquette avait épousé le 4 Juillet 1925, à 18 ans tout frais Sam Warner, un des frères Warner de vingt ans son aîné. L’année suivante Lina donnait le jour à une petite Lita. Quelques mois après l’heureux évènement, Sam Warner mourait emporté par un œdème au cerveau. Sam Warner s’était battu pour produire « The Jazz Singer » et il mourait la veille de la première du film, ignorant à jamais qu’il quittait le monde en le révolutionnant. Bien que le clan Warner prit grand soin de la veuve et de l’orpheline, lesquelles étaient d’ailleurs à l’abri du besoin pour plusieurs siècles, Lina ne souhaita pas se cantonner dans ce rôle de veuve éplorée et regagna les studios où Cecil B.de Mille la réclamait.
Devenue une créature païenne aux écrans, elle perpétua bientôt son rôle dans la vie et ses frasques furent non seulement célèbres, mais si dispendieuses que le clan Warner d’abord plein de compassion lâcha ses avocats et obtint la garde de la petite Lita. Star outrageusement payée, Lina Basquette ne réussira jamais à se stabiliser financièrement suffisamment longtemps pour pouvoir récupérer la garde de sa fille et tentera quelques suicides spectaculaires et ratés pour attendrir les juges et la famille. En vain.
Lorsqu’elle reverra sa fille, ce sera pour admirer sa robe de mariée!
Lina Basquette se lança alors dans un véritable tourbillon et fit de sa vie un flamboyant luna park à côté duquel les plus prestigieuses productions hollywoodiennes prirent des airs de spectacles de patronages! Même la veuve joyeuse eut l’air d’une dame patronnesse si on l’avait comparée à Lina Baquette qui trouva le temps de se marier encore huit fois! Elle épousa entre autre le cameraman attitré de Cecil B.de Mille et le manager du champion de boxe Jack Dempsey. Lorsqu’elle découvrira qu’il est bigame, elle se consolera avec le champion en question. D’autres tragédies entacheront encore le ciel de l’étoile hollywoodienne, un de ses maris décède a 26 ans après quelques mois de mariage.
Entre deux films, deux mariages, deux divorces et deux voiles de deuil, elle avait le temps pour faire les 400 coups avec ses trois inséparables et tragiques meilleures copines: Carole Lombard, Jean Harlow et surtout Thelma Todd. Thelma Todd dont paradoxalement la fin mystérieuse (40 ans d’enquête avant que l’affaire ne soit classée sans avoir trouvé sa solution) va modifier l’attitude du public à l’égard de Lina et ce bien qu’elle ne soit mêlée ni de près ni de loin à la mort tragique de son amie. Le 16 Décembre 1935, Thelma Todd, âgée de 29 ans avait été retrouvée sans vie assise dans sa voiture sagement ragée dans son garage. Avant cette triste et étrange fin de Thelma, le public avait pour les frasques de Lina Basquette une sorte de respect amusé. Un peu comme si en ces temps difficiles pour l’Amérique, l’actrice s’amusait pour les foules, par procuration! Ses robes et tous ses excès, qu’ils soient de vitesse, d’hommes, de bijoux, d’alcool voire pire suscitaient une sorte d’émerveillement un peu effarouché, certes mais très grisant. Ne disait-on pas que ses fréquentations étaient effroyables peuplées de gangsters et de repris de justice en fuite?
Lorsque Lina fit la rencontre de Thelma Todd, celle-ci avait aux yeux du public une image diamétralement opposée à Lina: Toujours flanquée de sa mère, la blonde qui avait encore les cheveux jusqu’aux genoux. Elle chantait le dimanche à l’église et faisait de son côté « réservé » une sorte de caricature de bonnet de nuit qui il faut bien le dire, n’intéressait pas grand monde. Au contact de Lina, la douce Thelma sacrifia sa chevelure de sirène et découvrir avec une délectation non simulée qu’il était grisant de boire du champagne en dansant sur les tables devant un parterre de millionnaires éblouis et de quelques gangsters pour donner le change. On la disait très liée à Lucky Luciano. Si cette relation est aujourd’hui avérée fausse, elle avait quand même épousé son homme de main chargé de ravitailler les stars d’Hollywood en alcool de contrebande! Lorsque Thelma fut retrouve sans vie on se souvint de l’influence désastreuse de Lina. Il y avait la Thelma Todd des bénitiers, celle d’avant Lina, et celle de la débauche, celle d’après Lina. Cela suffit aux bonnes âmes qui en attendant de connaître les vrais coupables dans l’affaire Thelma Todd en fabriquèrent quelques uns pour passer le temps. Lina Basquette en faisait partie, elle était même tête de liste, celle sans qui tout cela ne serait jamais arrivé.
Malgré sa vie tumultueuse, la coupable par procuration avait aussi le temps pour la plus grande de ses passions qui ne la quitta jamais: ses chiens danois dont elle lança la mode à Hollywood. Elle en offrit à Suzy Vernon ou à Harold Lloyd et elle en prêta même à Greta Garbo pour sa « Reine Christine » ou à Claudette Colbert pour « Cléopâtre »!
A la fin des années 30, sa carrière ira en s’étiolant dans la foulée du scandale Thelma Todd, mais aussi parce que les temps et le cinéma changeaient. En 1943, elle prendra une retraite presque définitive si l’on excepte ce retour très inattendu en 1991 dans un des premiers rôles de « Paradise Park ».
Lina Basquette n’avait pas fini de faire parler d’elle. En 1943, se promenant dans sa propriété pennsylvanienne, elle tomba nez à nez avec un déserteur en fuite qui la viola. La jeune retraitée n’était point de celles que l’on culbute impunément dans la luzerne sans leur consentement et encore moins de celles qui taisent « leur honte » le rouge au front! Guerre ou pas, elle fit de l’acte de violence qu’elle avait subi un tel tollé, un tel scandale que le suborneur fut non seulement retrouvé mais écopa d’une peine incompressible de vingt ans de réclusion, ce qu’il n’avait somme toutes pas volé!
Elle resta en Pennsylvanie où elle continua l’élevage de ses chers chiens, publia de nombreux ouvrages sur le sujet et finit par être considérée comme une sommité en la matière. Janet Leigh était une de ses clientes préférées, elle savait que ses chiens seraient heureux à jamais chez la blonde héroïne de « Psychose ». Janet en avait parfois jusqu’à dix.
Hormis son baroud d’honneur en 1991, on ne revit plus miss Basquette ailleurs que dans les concours canins jusqu’à ce qu’elle s’éteigne à 87 ans emportée par le cancer.
C’était le 30 Septembre 1994.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1916: Juvenile Dancer.
1916: The Dumb Girl of Portuci: Avec Anna Pavlova.
1916: The Caravan: Avec Jay Belasco
1917: A Romany Rose: Avec Claire MacDowell
1927: Serenade: Avec Katryn Carver et Adolphe Menjou
1929: The Godless Girl: Avec Tom Keene et Marie Prévost
1931: The Hard Hombre: Avec Gibson Hoot
1931: Goldie: Avec Jean Harlow et Spencer Tracy
1932: Phanthom Express: Avec Sally Blane et William Collier Jr.
1932: Hello Trouble: Avec Buck Jones.
1936: The Final Hour: Avec Marguerite Churchill et Ralph Bellamy
1937: Le Voilier Maudit: avec Lloyd Nolan.
1938: La Rose du Rio Grande: Avec Movita et John Carroll.
1938: The Buccaneer: Avec Franciska Gaal, Margot Grahame et Fredric March
1991: Paradise Park: Avec Larry Gorce.