Alors je suis bien tranquille, je suis sûre que vous ne connaissez pas Lillian Walker, dite « La poupée de Dresde ». Sans doute à cause d’un de ses films qui avait dû particulièrement bien marcher et s’intituler comme ça. Sans doute aussi à cause de ses grands yeux de porcelaine, ses dents délicates comme des perles et sa couronne mousseuse de blonds cheveux qui déclenchaient l’admiration, faisait qu’on la reconnaissait de loin et qui, en ce qui concerne la blonde toison de brebis est était fausse la plupart du temps! Miss Walker, toujours très pressée trouvait plus commode de se coiffer d’une perruque comme d’autres d’une toque plutôt que d’aller se faire martyriser au « petit fer » chez un figaro quelconque! C’est que l’on a pas de temps à perdre lorsque l’on a plus de 170 films à tourner!
Notre Lilliane naquit à Brooklyn le 21 Avril 1887 et l’on sait évidemment peu de choses de ses parents, sa famille et sa jeunesse en ces temps reculés. Nous sauront seulement que sa ravissante petite frimousse de poupée de salon lui permettra de très vite gagner sa vie comme mannequin après avoir posé pour quelques peintres. Sa beauté vite renommée et ses courbes généreuses sans ostentation ni vulgarité lui ouvrirent les scènes de quelques music-halls d’où elle s’évada pour jouer quelques vaudevilles en tournées et enfin rentrer à New-York suffisamment aguerrie et sûre d’elle pour affronter le public de Broadway. C’est là, en 1909 qu’elle fit une rencontre qui aurait pu être exceptionnelle et bouleverser l’univers. Mais qui non seulement ne déboucha sur aucun miracle mais dont il ne reste plus aucune trace aujourd’hui, nous privant ainsi d’admirer les débuts au cinéma de Miss Walker. Cette rencontre est celle de monsieur Thomas Edison en personne.
Notre ravissante « poupée » est alors âgée de 22 ans et peut se vanter d’une jolie réputation de comédienne dont on se pâme beaucoup dans « Photoplay ». Ce brave Thomas Edison avait l’idée depuis plus d’une décennie de mettre au point un appareillage qui permettrait de capturer des images mouvantes, ce qui lui semblait le prolongement logique et inéluctable de la photographie. Il n’était pas le seul. En ce début de siècle, New-York fourmille de besogneux inventeurs qui s’attèlent à créer le cinéma et ont pour se faire installé leurs studios, les premiers de l’histoire, sous des verrières au sommet d’immeubles New-Yorkais. On y bout en été et où on se congèle en hiver, mais il y a un maximum de sacro-sainte lumière!
Hollywood pour sa part n’existe pas encore et n’est qu’une petite bourgade au confin du continent où paissent les bovins, où poussent les agrumes, qui s’appelle encore Hollywoodland et où absolument personne ne sait que la caméra est en train de naître. Edison, fan de la première heure de la belle Lillian la choisit comme actrice de ses premiers films, ce qu’elle accepte avec joie, partageant avec ses contemporains une curiosité de pie pour toutes les nouveautés techniques.
Ainsi donc, Lillian joue sur le toit toute la journée de petits saynètes pour Edison et sur les planches le soir, ceci étant bien plus rentable que cela. Malheureusement pour la postérité de cette louable entreprise, les essais d’Edison sont lamentables. Il cumule les échecs et la plupart films ne pourront jamais être commercialisés. Ceux qui le furent ne pouvaient être utilisés qu’avec le matériel prototype d’Edison dont le fameux « Kinétoscope » et le tout s’est aujourd’hui perdu. Les choses se compliquent encore, voire se dramatisent, car si Edison piétine, ses rivaux en technologie font des progrès étourdissant et bientôt les premières « compagnies » rentabilisent leur inventions. Le cinéma est né et fait immédiatement couler le pactole dans les poches de ses inventeurs.
Lillian, bonne fille mais ayant ses limites envoie balader Edison d’ailleurs au bord de la banqueroute et rejoint le premier grand « studio » de l’histoire du film, lui aussi juché sur un toit: la « Vitagraph ».
Lillian Walker va conquérir le public des salles obscures et devenir une icône de ces courtes bobines de 18 minutes maximum qui se projettent encore sur un drap ou un mur blanc, car si on a inventé la caméra et sa pellicule, on n’a pas encore inventé l’écran! Dès 1911, Lillian Walker est une grande star de cinéma et aura même très bientôt et comme il se doit son propre « sérial », les « Sally » dont le public va raffoler. En 1915 elle est une véritable icône et les foules entrent dans un véritable délire collectif lorsqu’elle partage l’affiche avec son partenaire fétiche attitré, John Bunny. Ils seront le premier « couple idéal de l’écran ». Si d’aventure Bunny n’est pas disponible, elle se retrouve alors dans les bras d’Earl Williams ou Wally Van. Et comme de bien entendu, le public n’aime rien tant que de retrouver deux de ces messieurs dans un même film où ils se disputent le coeur de la « Poupée de Dresde ». Elle rencontrera également devant les caméras des futures légendes hollywoodiennes comme Norma Thalmadge ou Adolphe Menjou et imposera autant que faire se peut son amie Kate Price dans ses films. Elle poussera cette amitié jusqu’à troquer de temps en temps son premier rôle avec le petit rôle qui était initialement confié à Kate.
Durant toute la période guerrière de 1914-1918, Lillian Walker sera une star mondiale adorée et si prolifique qu’elle est alors incapable de savoir combien de films elle a tournés. Elle s’était d’ailleurs surprise à aller voir un film sans savoir qu’elle l’avait tourné et resta sidérée de se voir à l’écran après avoir fait la file payé sa place! Plus tard elle remettra de l’ordre dans ses souvenirs, sa mémoire et sa carrière et restera complètement estomaquée par l’importance de son patrimoine professionnel.
Les hostilités terminées, les mauvais souvenirs rangés avec les masques à gaz, les croix blanches et crêpes de deuil, Lillian Walker choisit elle aussi de créer sa propre maison de productions. Choisissant mieux ses scénarii, peaufinant les détails, améliorant ses performances et surtout ralentissant enfin son débit insensé de films. Elle continuera sa carrière jusqu’en 1922 puis soudain mettra le holà. Elle fermera sa société pourtant prospère et désertera les écrans! Motif inavoué, elle était exaspérée par ces nouvelles méthodes qui consistaient à « fabriquer » publicitairement une vedette. Elle n’en avait pas profité et aujourd’hui la méthode déifiait littéralement une certaine Theda Bara que Lillian Walker prit irrémédiablement en aversion la plus complète!
Elle reviendra pourtant, en 1929, essentiellement parce que son très cher ami personnel Scott Fitzgerald a écrit un scénario à son intention: « Pusher in the Face ». Mais l’envie s’est émoussée, Lillian Walker n’a plus envie d’être une star. Elle quitte définitivement le cinéma après un ultime film en 1934. Elle était revenue à Broadway mais là non plus elle ne retrouva pas le plaisir de jouer, la flamme s’était définitivement éteinte.
Elle profita alors de sa fortune accumulée et voyagea énormément, jusqu’à ce qu’elle ait un coup de coeur. De passage à Trinidad, elle sut que c’est là qu’elle voulait être et c’est la qu’elle termina sa vie, s’éteignant de sa belle mort le 10 Octobre 1975, elle avait 89 ans et bien mérité d’enfin se reposer.
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1911: By Way of Mrs Browning: Avec Earle Williams
1911: The Wild Cat Well: Avec Norma Thalmadge.
1911: The Prince and the Pumps: Avec Earle Williams.
1912: La Boîte de Pandore: Avec John Bunny.
1912: Tom Tilling’s Baby: Avec Kenneth Casey
1912: The Lovesick Maiden of Cuddleton: Avec Earle Williams, Norma Thalmadge et John Bunny
1912: The Great Diamond Robbery: Avec Edwin R. Phillips.
1912: Four Days a Widow: Avec Evelyn Francis.
1912: The Pink Pajama Girl: Avec Zena Keefe.
1912: It All Came Off in the Wash: Avec Maurice Costello.
1913: The Only Way: Avec Ned Finley et Earl Williams
1913: Mr Ford’s Temper: Avec Leo Delaney.
1913: Wich Way Did He Go?: Avec John Bunny et Wally Van.
1913: Cutey and the Chorus Girls: Avec Wally Van.
1913: The Girl at the Lunch Counter: Avec John Bunny, Wally Van et Kate Price.
1913: One Can’t Always Tell: Avec Mary Maurice and Kate Price.
1914: A Costume Piece: Avec Harry T. Morley
1914: The Speeders Revenge: Avec Wally Van.
1914: The Boys of the L.O.U.: Avec Wally Van.
1914: The Winning Trick: Avec Arthur Ashley.
1915: Lillian’s Husbands: Avec Hattie Delaro
1915: Breaking In: Avec Ned Finley.
1915: Le Gamin des Rues: Avec Charles Kent.
1915: The Silent W : Avec Louise Beaudet.
1916: La Mystérieuse Enveloppe Bleue: Avec Adolphe Menjou
1916: Le Supplice d’Elizbeth: Avec L. Rogers Lytton et Kate Price.
1917: Lust of the Ages: Avec Jack Mower.
1917: Indiscretion: Avec Walter MacGrail.
1919: A White Man’s Chance: Avec J. Warren Kerrigan.
1922: Love’s Boomerang: Avec Ann Forrest