Si vous cherchez des informations sur Lillian Roth, vous risquez bien d’en trouver tout autant sur Susan Hayward par la même occasion. C’est que voyez-vous, la vie de Lillian fut portée à l’écran en 1955 sous le titre de « I’ll Cry Tomorrow » et Susan fut si convaincante en Lillian qu’elle fut nommée aux Oscars pour sa performance et reçut la prix d’interprétation à Cannes. Que le film, bien qu’inspiré des mémoires de Lillian et tourné de son vivant ait pris de belles largesses avec la vérité ou non, il reste aujourd’hui toujours aussi sensationnel à voir. Susan méritait bien sa nomination et Lillian par contre, mériterait mieux que l’oubli qui est aujourd’hui le sien.
Lillian Rutstein, la vraie Lillian Roth, naît le 13 Décembre 1910 à Boston. Ses parents sont des artistes de music hall qui quitteront Boston pour New-York lorsque Lillian aura six ans. La maman de Lillian avait choisi ce prénom pour sa fille car elle idolâtrait la star Lillian Russell.
Lillian aura également dans la vraie vie une soeur qui la surclassera encore en beauté: Ann, laquelle n’existe pas du tout dans le film. Il faudra donc sans cesse louvoyer pour retracer le parcours réel de Lillian Roth avec ce que le film nous propose. Ainsi il est très difficile de dire avec exactitude si la mère de Lillian fut réellement la monstresse avide de gloire que nous dépeint le film et que campe une fantastique Jo van Fleet.
Il semblerait que non, mais souvenons-nous qu’une loi fut votée aux Etats-Unis pour calmer les ardeurs de ces « mères manager » qui furent un temps la hantise d’Hollywood. Ces mères qui n’auraient pas hésité à prostituer leurs enfants ou à les jeter vivants aux crocodiles si cela leur avait valu trois lignes dans la presse. Si Elizabeth Taylor et Ginger Rogers se montrèrent très satisfaites des leurs, les mères de Lillian Roth de Jackie Coogan ou de Jean Harlow furent les vraies caricatures du phénomène et auraient justifié à elles trois qu’une loi de protection soit votée pour défendre les enfants acteurs contre…Leur propre famille! Si l’on sait que Lillian fut « mannequin enfant » dès l’âge de six ans, elle en avait huit lorsqu’elle débuta avec sa soeur au cinéma.
Les deux « Kids Roth » étaient de petites vedettes de théâtre où elles se produisaient chantant, dansant et jouant la comédie. Les soeurs Roth iront de succès en succès, même si Lillian se révèle à la fois plus douée et plus convaincue que sa soeur Ann que l’on perdra de vue en cours de route. Après avoir été félicitées par le président Wilson en personne, ce fut la consécration des « Ziegfeld Folies » dès 1927, Lilian avait 17 ans. Il était inévitable qu’Hollywood ne déroulât pas ses tapis de pourpre et de dollars pour une aussi somptueuse et juvénile créature, qui de plus, merveille de merveilles, roucoulait à ravir dans les micros flambants neufs. C’est Paramount qui battit les autres studios à la course et mit pour Lillian les petits plats d’or dans les grands de platine. N’est-ce pas Lubitsch lui-même qui la sollicita en personne pour venir affronter le rossignol Jeanette MacDonald en personne?
La merveille joua avec Maurice Chevalier, fut dirigée par Cecil B. De Mille. Bref nous étions dans les hautes sphères. Mais en coulisses, déjà, le drame se jouait. On avait tôt fait chez Paramount de se rendre compte de la timidité maladive dont était accablée ce joli phénomène, et elle connut comme tant d’autres le petit verre de « remontant » que l’on file aux actrices avant d’entrer en scène. Pour Lillian il allait suffire d’un drame personnel pour que le « petit verre de remontant » devienne le sésame d’une spirale infernale. Lillian était fiancée de longue date avec avec David Lyons qu’elle avait connu au sortir de l’adolescence et il ne faisait pour elle aucun doute qu’elle serait un jour la femme comblée de son beau David et que là était à la fois son destin et son plus grand bonheur. Hélas pour elle, le beau David se mourait de tuberculose.
Ravagée de désespoir, Lillian va s’accrocher à sa carrière, à sa gloire naissante et surtout aux petits « remontants » qui portent de mieux en mieux leur nom. Elle épousera un bel aviateur qui fera de sa vie un enfer et dont elle divorcera au bout de seulement 13 mois d’union. L’alcool peu à peu deviendra le compagnon de ses jours après avoir été longtemps celui de ses nuits. Elle ira de désastres en mariages ratés et de cuites phénoménales en scandales en tous genres. Car si rien ne sera épargné à Lillian Roth, elle n’épargnera rien à son public non plus.
Paramount se débarrassera d’elle. Elle échouera chez Warner dans un mauvais film de Barbara Stanwyck puis se fera à nouveau congédier. Ce sera alors la déchéance fatale parsemée de mariages plus ou moins oubliés. Des maris qui parfois virent dans l’épave titubante l’occasion de se refaire en l’exhibant comme un cheval de cirque. Mais même celà elle ne pouvait plus le faire. Ce sera une décennie d’arrestations de mariages, de divorces d’internement dans des institutions psychiatriques où elle sera d’ailleurs diagnostiquée souffrant d’une forme de schizophrénie.
La jeune femme était si timide que de se produire en public lui demandait un effort tellement surhumain et contre nature que sa raison avait fini par en être ébranlée. Il y avait parfois de courtes périodes de lucidité abstinente mais elles ne duraient guère. Jusqu’au jour où après une tentative de suicide elle fut mise en présence d’un membre des alcooliques anonymes; Thomas Burt MacGuire qui la conduirait sur la voie de la guérison et qu’elle finirait par épouser lui aussi, c’était dans sa nature.
Lilian se sentit guérie, elle se sentit forte. Elle se vit pour la première fois sobre, mais vieillie, abîmée. Elle jeta sur son passé et sa vie gâchée un regard douloureux et épouvanté.
Alors elle fit une chose inouïe. Elle reconnut publiquement sa déchéance. Elle se livra sans fards, raconta toutes ses turpitudes, en tous cas celles dont elle se souvenait et elle fut la première « alcoolique anonyme connue ». Elle allait pousser la bravade jusqu’à venir témoigner en direct à la télévision de son alcoolisme et de toutes ses dérives. Un électrochoc pour l’actrice mais aussi pour l’Amérique entière. Cette confession si difficile d’une femme qui fut si célèbre bouleversa l’Amérique avant de bouleverser le monde et partout on chanta des louanges à son courage et à sa rédemption. Lillian Roth revenait d’entre les morts et les éponges. Elle allait vanter les mérites des A.A. et se battre contre le jugement social porté contre les alcooliques. La seule bataille qu’elle perdra.
C’est là que le film finit. Pour Lillian, c’est là que la vie commence.
La star retrouvée, des offres lui furent à nouveau proposées, certes modestes au départ, car enfin, on craignait toujours une rechute et de la voir à nouveau débouler sur scène ivre comme tout un régiment de cosaques! Mais il n’en fut rien! Lillian Roth fut parfaitement professionnelle. Elle avait toujours du talent à revendre et maintenant qu’elle s’était débarrassée de ses vieilles frayeurs en même temps que de ses dernières vidanges, elle était tout simplement sensationnelle!
On eut longtemps peur d’une rechute dès qu’elle serait à nouveau malmenée par la vie, ce qui ne manqua pas d’arriver. Le brave ange gardien matrimonial dégoté aux alcooliques anonymes lui fit un jour savoir par courrier qu’ils n’étaient plus mariés, et que tant qu’il y était, il avait aussi vidé leur compte en banque qui ne contenait plus un sou. Lillian fut dévastée mais n’en eut pas soif pour autant.
Elle avait reçu 40.000 lettres de soutien après sa première apparition télévisée en 1953, après une absence de 25 ans.
En 1962, elle jouait à Broadway avec Barbra Streisand, Sheree North et Eliott Gould. Après quelques jours de représentations, le producteur fit placer le nom de Lillian tout en haut de l’affiche. C’est elle qui faisait le succès de la pièce, c’est elle que les gens applaudissaient, c’est elle qui faisait vendre les billets! Pas Barbra Streisand!
Lillian Roth s’éteignait dans son appartement de Manhattan, emportée par une crise cardiaque le 12 Mai 1980. Elle avait tourné et chanté jusqu’à sa fin même s’il y avait eu encore des passages un peu difficiles. Mais elle mourut sobre et délivrée de ses démons à 69 ans.
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1929: Love Parade: Avec Jeanette MacDonald et Maurice Chevalier
1930: Le Roi Vagabond: Avec Jeanette MacDonald et Dennis King
1930: Meet the Boy Friend (court métrage à la gloire de Lilian Roth)
1930: Madame Satan: Avec Kay Johnson et Reginald Denny
1933: Take a Chance: Avec June Knight et James Dunn
1933: Million Dollars Melody (Court métrage) Avec Eddie Craven.
1976: Alice, Sweet Alice: Avec Linda Miller et Brooke Shields
1979: Night Flowers: Avec Sabra Jones et Gabriel Walsh