Connaissez-vous Laura Betti? Si vous n’êtes pas Italien, il y a de fortes chances que ce nom ne vous dise rien. Si vous êtes Italien, je vous entends déjà pousser les haut cris « Mama Mia! Ne pas connaître Laura Betti? Impossibile! » Ou alors, vous n’êtes pas Italien mais vous êtes un admirateur de Pier Paolo Pasolini. Au cas où, Laura Betti vous est on ne peut plus familière. Elle fut sa muse du génie, son égérie, son inspiration, son auditrice, sa répétitrice, son amour, son amie, son actrice sa cuisinière. Sa confidente, sa mère et son âme rédemptée.
Laura Betti naît à Castelecchio di Reno, une petite ville dans la périphérie de Bologne le 1 Mai 1927 ou…1934, personne n’est réellement fixé. Elle est alors Laura Trombetti pour l’état civil. La petite Laura se rêve chanteuse, et ne songe guère au cinéma. Enfant elle se régale au cinéma des déboires mélodramesques des divas mussoliniennes. et Il ne lui viendrai pas à l’idée de se comparer à ces fabuleuses et fantasques créatures. Non, pour elle, décidément l’avenir c’est le chant. Elle ne sait pas encore si elle sera la nouvelle Edith Piaf ou la nouvelle Marlène Dietrich, peut-être bien un peu des deux. Mais en tous cas une chose est sûre: elle va chanter et on va l’entendre. Au milieu des années 50, Laura empoigne sa valise, son courage et son culot. Elle débarque à Rome et fait la tournée des cabarets pour s’y faire engager. Et non seulement Laura qui aura laissé tomber les quatre premières lettres de son patronyme pour faire plus simple et moins trompette ne ressemble à personne, mais ses démarches professionnelles vont être très particulières.
La demoiselle est-elle très belle ou fort laide, personne ne le sait. Bien sûr elle est blonde avec des grands yeux bleu de ciel d’été et une petite bouche en coeur que l’on croirait inspirée de Clara Bow en personne. Mais elle a le visage plutôt lunaire. Là où ses grands yeux se perdent sous des sourcils de pierrot triste. Elle est petite et plutôt ronde, donnez-lui un boa de plumes d’autruches vous avez Marlène, donnez lui des bottes en caoutchouc vous avez une fermière. Bientôt elle fera le régal des cinéastes qui pourront tout lui demander car elle pourra tout faire. Mais en attendant, on l’a vu, c’est chanter qu’elle veut. Et franchement, si c’est pour donner sa version de « Bambino » ou « Tinderella di luna », à quoi bon? Elle ne s’est pas tapé le voyage jusqu’à Rome pour singer Gloria Lasso ou dieu sait qui. Elle va donc faire le siège des écrivains « engagés », entrant sans frapper dans leurs bureaux en leur déclarant d’un ton sans réplique « Je suis chanteuse, vous écrivez, écrivez-moi une chanson! » Ce qu’ils firent. Evidemment. Un tel comportement ne pouvait pas laisser les génies de la plume insensibles.
Bientôt le tour de chant de la diva (fort confidentielle il est vrai) des intellectuels deviendrait le must des nuits romaines pour amateurs avertis. En bref, si on n’allait pas écouter « la Betti », on était un plouc. En 1958, un certain Federico Fellini est dans la salle et tombe littéralement amoureux fou du personnage de Laura Betti. Immédiatement il l’intègre dans son prochain film, ce qui tombe bien, il est très long et plein de gens, c’est « La Dolce Vita »!
Bien sûr on ne vit qu’Anita Ekberg dans sa fontaine ou Anouk Aimée avec sa Cadillac et ses lunettes rectangulaires, mais Laura Betti était bel et bien là, lunaire, solaire, folle, fascinante! Ce fut la ruée! Roberto Rossellini se précipita, Pier Paolo Pasolini allait suivre. Ce fut le coup de grâce.
Laura Betti avait trouvé sa voie, son maître. Elle l’aima, il l’adora. Leur relation était si fusionnelle qu’elle prenait tous les airs de la passion et que l’on en vint même à douter fortement de l’homosexualité du poète cinéaste dont il ne faisait pourtant pas secret. Bien entendu il fit d’elle son égérie et son actrice fétiche. Il la portera au triomphe avec « Théorème » où son rôle de servante illuminée lui vaudra la coupe Volpi. Mais Laura lui fut artistiquement bien infidèle puisqu’elle allait tourner une septantaine de films entre 1959 et 2005 sans compter ses innombrables apparitions télévisées.
Et puis il lui restait d’abord, surtout, avant tout, le cabaret. Son cabaret adoré. Elle aurait envoyé aux prunes Visconti lui-même pour passer à trois heures du matin dans un cabaret de dix tables. En 1962, elle se produit à Paris à « la Tête de l’art ». Son numéro est célèbre et très au point. Vêtue d’un collant noir, Laura s’affuble d’accessoires burlesques qui lui permettent de mimer ses chansons. Mais la scène de « La Tête de l’art » ne lui convient pas. Ses effets sont ruinés estime-elle. Alors, réfléchissant longuement, elle s’exclame soudain « Trouvez-moi un nain! »
En 1975, son destin va irrémédiablement basculer. Laura Betti aimait à dire « Pier Paolo et moi formons un couple merveilleusement assorti comme il y en a tant, à ceci près qu’après le dîner, Pier me dit bonsoir et s’en va draguer les jeunes garçons! » Pier Paolo qui vient de réaliser un de ses films les plus controversés « Salo ou les 120 Jours de Sodome » travaille également sur un reportage à propos de la prostitution masculine dont le phénomène prend une ampleur considérable dans l’Italie des années 70. Dans le nuit du 1 au 2 Novembre 1975 il est froidement assassiné sur la plage d’Ostie, par un de ses partenaires rémunérés (dit-on) avec qui il approfondissait (entre autres) le sujet de son documentaire.
Pour Laura Betti la vie s’arrêta en même temps. Tétanisée d’horreur elle ne crut jamais à la théorie du petit crime sordide et crapuleux. Pour elle, Pier Paolo allait faire trembler trop de trônes et faire rouler trop de têtes parmi les rois clandestins des nuits italiennes. On ne l’avait pas tué, on l’avait réduit au silence. Et que l’on fasse taire un poète, et en particulier le sien, c’en fut trop pour Laura Betti.
De 1975 à sa propre mort, Laura Betti n’aura de cesse que de faire vivre et revivre encore l’oeuvre de son Pier Paolo adoré. Il ne sera plus question d’obtenir une interview d’elle dont le cinéaste ne soit pas le sujet. Et cette actrice incroyablement active, riche de toutes les audaces, travaillant pour les plus grands et alignant les films mythiques s’effacera complètement derrière cette mission qui est de perpétrer à jamais l’oeuvre et la mémoire d’un homme admiré et si tendrement aimé.
Pier Paolo Pasolini n’avait que 53 ans lorsque sa vie lui fut ôtée à coups de bâtons sur une plage italienne.
Laura Betti avait 77 ans lorsqu’elle rejoignit Pier Paolo Pasolini dans la mort…à moins qu’elle n’en ait eu que 70!
« Un homosexuel, aujourd’hui en Italie, on le fait chanter, sa vie est en danger toutes les nuits »(Pier Paolo Pasolini)
Celine Colassin
QUE VOIR?
1960: La Dolce Vita (Fellini): Avec Marcello Mastroianni
1960: Les évadés de la nuit (Rossellini): Avec Leo Gen et Giovanna Ralli
1963: RO.GO.PA.G (Pasolini): Avec Orson Welles et Rossana Schiaffino
1968: Théorème (Pasolini): Avec Terence Stamp et Silvana Mangano
1970: A Man Called Sledge: Avec Laura Antonelli, James Garner et Denis Weaver
1970: Fermate il Mondo… Voglio Scendere: Avec Barbara Steele et Paola Pitagora
1972: Les Contes de Canterbury (Pasolini): Avec Hugh Griffith
1973: Sepolta Viva (Lado): Avec Agostina Belli
1974: La Cugina (Lado) Avec Dayle Haddon et Massimo Ranieri
1974: La Femme aux Bottes Rouges: Avec Catherine Deneuve et Fernando Rey
1974: Allonsanfan: Avec Mimsy Farmer, Marcello Mastroianni et Léa Massari
1975: Le Dernier jour d’école avant les Vacances de Noël: Avec Macha Méril et John Steiner
1976: Vices Privés, Vertus Publiques: Avec Teresa Ann Savoy
1977: Le Gang (Deray) Avec Alain Delon
1978: Un Papillon sur l’épaule (Deray): Avec Lino Ventura, laudine Auger et Nicole Garcia
1979: Viaggio con Anita: Avec Goldie Hawn, Giancarlo Giannini et Claudine Auger
1979: La Luna (Bertolucci): Avec Jill Clayburgh, Alida Valli et Renato Salvatori
1982: La Nuit de Varennes (Scola) Avec Marcello Mastroianni et Jean-Louis Barrault
1983: La Fuite en Avant: Avec Nicoletta Machiavelli, Bernard Blier et Michel Bouquet
1984: Klassenvehaltnisse: Avec Christian Heinsich
1988: Noyade Interdite (Granier-Deferre) Avec Gabrielle Lazure, Elizabeth Bourgine, Philippe Noiret et Guy Marchand.
1988: Jane B; par Agnès V. Avec Jane Birkin et Jean-Pierre Léaud
1991: Segno di Fuoco: Avec Vikto Lazlo et Rémi Martin
1997: Marianna Ucria: Avec Laura Morante et Bernard Giraudeau
2003: Gli Astrono: Avec Marisa Fabbri
2003: La Felicita (Le bonheur ne coûte rien): De et avec Mimmo Calopestri