Le 12 Avril 2012, Juliette Greco reçoit du maire de Paris Bertrand Delanoë la médaille de vermeil de la ville de Paris qu’il lui remet avec ces mots : « Il était temps que sa ville lui dise merci. Juliette Gréco, c’est la Parisienne. La Parisienne d’aujourd’hui et la Parisienne qui incarne le temps de Paris qui ne passe jamais » ce à quoi, l’alerte Juliette qui vient de fêter ses 85 ans cinq jours plus tôt lui répond « Je suis née à Montpellier ! » puis ajoute pour ne pas le mettre dans l’embarras : « Mais c’est ici que j’ai été mise au monde« . Puis la diva au look immuable, la coupe au carré noir geais un peu en bataille, l’oeil ourlé d’eye-liner et toute de noire vêtue s’en va, dans deux jours elle donne des concerts en Allemagne ! Elle y retourne pour la cent-soixantième fois !
C’est en effet à Montpellier, le 7 Février 1927 que Juliette Greco vient au monde, attendue avec impatience par sa grande soeur Charlotte mais pas par sa mère Juliette qui ne cachera jamais à sa fille cadette qu’elle est une enfant non voulue ayant retardé d’autant sa séparation d’avec son mari corse !
Juliette dès sa plus tendre enfance qu’elle a passée chez sa grand’mère maternelle près de Bordeaux, s’est rêvée danseuse.
En 1936, son grand ‘père meurt et sa grand’mère, déjà malade ne peut plus s’occuper d’elle. Juliette rejoint alors sa mère qui s’est installée à Paris, rue de Seine à Saint Germain des Près.
Sa mère n’est pas heureuse de la retrouver, Juliette est celle qui décidément débarque toujours pour l’empêcher de tourner en rond. La petite fille se réfugie alors dans l’amour de sa soeur et dans le garde-manger jusqu’à devenir une « petite boulotte » qu’elle restera longtemps! Quoi qu’elle fasse, Juliette mère n’aimera jamais Juliette Fille. Par contre elle adorera jusqu’à la passion sa fille aînée.
Elle est petit rat à l’opéra malgré ses quelques rondeurs lorsque la guerre éclate. Elle a douze ans et n’est pas » surprise » comme des millions de Français qui auront la candeur de s’étonner devant la déferlante teutonne dans la capitale.
Sa mère s’est tenue depuis longtemps aux aguets. Elle a vu monter la fureur nazie et savait que les choses ne pouvaient que mal tourner.
Si la mère de Juliette tenait tant à sa liberté solitaire, c’est parce qu’elle s’était mariée par convenances bien que ses instincts profonds la poussent vers les femmes. L’avènement de la guerre bouleversant tous les usages, Juliette mère présente son amoureuse Antoinette Soulas à ses filles et tout ce petit monde en jupons part se mettre en sécurité en Dordogne où Juliette mère et Antoinette ont fait l’acquisition d’une propriété bien isolée. Juliette et Antoinette seront des résistantes de la première heure. Elles feront partie d’un réseau bientôt rejointes par Charlotte. Juliette, parfois prêtera main forte. Les Allemands ne se méfieront jamais assez des petites filles et des danseuses ! Odette Joyeux et Audrey Hepburn aussi promènent des messages secrets dans leurs chaussons de danse au nez et à la barbe de l’ennemi ! Mais un jour les choses virent au drame. La gestapo débarque, elles sont arrêtées, ramenées à Paris pour y subir des interrogatoires musclés, spécialité de ces messieurs qui auraient fait avouer à un porte manteau d’avoir écrit la neuvième symphonie de Beethoven!
Charlotte et sa mère seront battues avant d’être déportées , Juliette, tétanisée, giflée jusqu’à l’évanouissement , laissée seule avec ses 16 ans dans une sombre pièce d’où elle entend les cris de sa mère et de sa soeur a eu le temps de prendre le sac de sa soeur qui contenait des papiers compromettants qui leur auraient valu le peloton d’exécution et de s’en débarrasser sur le trajet qui les menait aux célèbres baignoires de la gestapo.
Juliette fille n’est pas déportée, elle est reste en prison à Fresnes. Un jour la porte de sa cellule s’ouvre et on la jette littéralement dehors sans plus d’explications ni de raisons que lorsqu’on l’avait mise dedans!
Seule dans les rues de Paris, ne sachant où aller, sans un sou en poche, elle se rend chez Hélène Duc (l’inénarrable grand’mère de « Tanguy ») qui lui a donné des leçons de français au lycée de Bergerac et qui est une amie de sa mère. Restrictions obligent, Hélène vit dans une petite pension de famille où elle accueille Juliette.
Le résistance au quotidien aussi s’est organisée dans Paris. Elle consiste à rester jolies pour les filles, et pour tout le monde faire comme si la vie était encore possible. On n’est pas nourris on n’est pas chauffés mais on tourne des films on joue des pièces on lance des modes et des nouvelles chansons. Juliette était folle de théâtre depuis son arrivée à Paris, Hélène l’inscrivit à un court dramatique pour la distraire de ses frayeurs et de ses chagrins. Celui de Jean-Louis Barrault qui se donne dans les combles de la comédie française. Juliette foulera les augustes planches. Sous une bâche censée représenter la mer. Juliette et tous les élèves du cours s’agitent dessous pour donner l’illusion des vagues.
La guerre finira, La mère et la soeur de Juliette reviendront de Ravensbrück en 1945 mais Charlotte restera détruite. Muette. C’est sa petite soeur qui devra veiller sur elle pour le reste de sa vie, Charlotte devenant l’être le plus cher à son cœur. Juliette aurait tué si on s’était avisé d’encore toucher à un seul de ses cheveux. Sa mère vit sa passion féminine ouvertement, couverte de gloire et de décorations, adoubée par le général de Gaulle en personne. C’est une héroïne. Une femme formidable, admirée de tous et même par Juliette qui se fait une raison: Elle est une femme formidable, admirable mais elle n’est pas une mère. En tout cas pas pour elle. Et ce qui déroute le plus Juliette c’est que sa mère est croyante jusqu’à la passion, toujours fourrée dans les églises en dévotions, pâmée devant le moindre encensoir, le moindre calice. Juliette ne comprend pas que l’on puisse adorer l’intangible à ce point tout en étant incapable d’aimer son propre enfant.
La guerre finie, une nouvelle génération de jeunes Français nés dans la peur, la haine et le deuil va émerger et refuser en bloc tous les idéaux qui ont mené le monde à la destruction. Les concepts de famille-patrie-fric, travail et bourgeoisie sont foulés aux pieds par ceux qu’on va appeler les existentialistes pour qui seul l’individu compte. Les militaires sont des badernes, les usines des prisons et les banques on s’en fout. On se réunit autour d’un crème à Saint Germain des Près. On écrit, on compose on devise, on chante, on s’aime. Il y aura Duras, Sartre, de Beauvoir, Prévert, Vian, Cosma, Signoret, Mac Orlan, Madeleine Robinson, Daniel Gélin, Cocteau, Alice Sapritch qui lui offre une bonne paire de godasses à semelles de crêpe en ces temps où tout manque et que Juliette portera des années. Tout un ferment d’artistes et de maîtres à penser qui se considèrent tenants des nouvelles libertés sont là, réunis au même endroit au même moment. La rive gauche. On se réunit dans des caves, alors plus nombreuses que les immeubles puisque Paris aussi a été bombardée. Juliette est toujours dans sa petite pension de famille où elle se fait des amis pour la vie. Et parfois, le soir, elle chante pour égayer ce petit monde.
Des cabarets s’ouvrent et une nouvelle génération d’artistes naît, la « rive gauche », ce refuge deviendra mondialement célèbre, on y croise dans de sombres cabarets enfumés les nouveaux venus que sont Jacques Brel, Barbara, Catherine Sauvage, Georges Brassens, Pierre Perret, Léo Ferré ou Aznavour dont personne ne veut! On chante on danse, on écoute du jazz , des poètes et des chansonniers. Même Mistinguett la vétérane laisse ses plumes et ses bijoux au moulin rouge pour venir danser le «Be-bop » dans les caves, car très vite, les « existentialistes » et les caves de Saint Germain sont devenus un véritable phénomène culturel avant d’être la signature d’une époque.
Juliette est jeune, elle a vingt ans, comédienne débutante, elle porte les cheveux longs et des vêtements d’homme bien plus confortables que les créations new-look de Dior! Pour elle il ne s’agit pas de jouer les belles de nuit il s’agit de partager des idées. Et puis pour commencer, elle n’ a pas un sou! Alors elle fait avec ce qu’elle a!
Ce nouveau mouvement balaye l’ancien paysage culturel français et rhabille de neuf l’art et la pensée. Les Existentialistes deviennent en un temps record de véritables phénomènes de sociétés et bientôt les premiers touristes d’un monde libéré vont débarquer par cars entiers à Saint Germain des près, ses terrasses et ses caves. Mais Saint Germain des Près ce n’est jamais qu’un quartier de Paris, à peine une église et un carrefour! Juliette en est la jolie fille, plus tard on dira « la muse » mais c’est une copine que tout le monde appelle « Toutoune ». Toutoune qui…Ne fait rien et ne dit rien. Elle arrive au Flore ou aux Deux Magots, repère une table de « copains » qui refont le monde. Elle s’assied, commande un crème qu’elle n’a pas de quoi payer et écoute. Parfois, rarement, elle ose une question. Jamais plus.
Juliette c’est donc la copine. Une copine, certes mais une copine fascinante… qui chantonne un peu. Belle et vive de cœur et d’esprit. Sa silhouette et ses airs nonchalants l’ont rendue célèbre, elle n’a encore rien fait. On a beau être existentialistes, c’est un peu sot de ne pas exploiter les filons qui se présentent. Sarte et Cosma vont écrire pour elle et la faire chanter. Sa première chanson: « La rue des Blancs Manteaux ». Juliette tétanisée de trac demande à Pierre Balmain de lui créer une robe de scène. Le grand soir venu Balmain lui livre une robe très sophistiquée, très « haute couture » très « Hollywood revu et corrigé par Paris ». Juliette l’essaie, se sent déguisée dans la merveille. Elle finit par paraître en scène en ne portant que la sous robe. Balmain s’évanouit mais un style est né. La fine silhouette toute de noire sobriété vêtue devient en un soir la signature de Juliette et de son époque.
Bientôt elle aura une rivale: une autre chanteuse « existentialiste » comme elle: Annabel Buffet. Juliette prend-elle la mouche, comment le vit elle, est-elle jalouse? Oui, d’un magnifique collier de perles noires que possède Annabel.
Evidemment le cinéma va passer par là. Il n’y a guère que les films d’époque où on ne voit pas les héros transiter pour un soir dans les caves enfumées de Saint Germain des près Et dans un souci d’authenticité, lorsqu’ils débarquent, Juliette est là, sombre sphynx chantant son dernier succès. Elle tournera bientôt pour Cocteau, pour Duvivier, pour Renoir, pour Litvak.
On n’est d’ailleurs pas à un anachronisme près. Juliette et les caves de Saint Germain sont à ce point des attractions incontournables que Litvak n’hésite pas à filmer une scène dans une cave de Saint Germain où chante Juliette en pleine occupation! Chacun sachant ou devant savoir que les caves n’existent pas encore durant l’occupation. La cave est tenue par Nicole Courcel qui n’a guère qu’une pauvre réplique tout aussi anachronique: « Je l’aime bien même si à cause de ça je risque de me retrouver tondue à la libération ». Aucune femme ne pouvant supposer durant l’occupation que certaines se retrouveront tondues pour « mauvaise conduite ».
Juliette avait également connu ses premiers émois amoureux à Saint Germain des Près. Le pilote de course Jean-Pierre Wimille. C’est le pilote star de son époque, il est le modèle de Fangio en personne, le pilote star de Bugatti puis d’Alfa Romeo. Mais il a surtout 19 ans de plus que Juliette et il est surtout très marié et très père de famille. La belle histoire se terminera de la manière la plus brutale qui soit. Jean-Pierre Wimille se tue en course à Buenos Aires le 28 janvier 1949. Juliette sera dévastée par la perte de son premier amour mais depuis la perte de son grand-père elle a un rapport assez particulier mais au fond très saint avec la mort. La très jeune fille qu’elle est encore sait que la mort est dans l’ordre des choses. Elle pleurera son amour mort jusqu’à sa messe d’enterrement. A l’instant où elle déposera son modeste bouquet sur le cercueil du pilote, l’histoire sera terminée.
Une liaison bien dans l’air de son temps la sortira des derniers limbes de sa tristesse. Elle s’est entichée du trompettiste de jazz Miles Davis. Miles Davis qui est aussi noir que Juliette est blanche. Juliette et Saint Germain des Près s’en fichent bien, mais la jeune fille reste complètement stupéfiée lorsque Miles refuse de l’épouser et de l’emmener en Amérique avec lui car une blanche épouse d’un noir y risquerait purement et simplement sa peau. Juliette provoquera d’ailleurs un fou rire inextinguible chez Jean Paul Sarte lorsqu’en parlant de ses amours avec Miles elle lui dira d’un air absolument candide « Ah bon? Il est noir? » Juliette avait été subjuguée bien au delà d’une quelconque couleur de peau! Juliette découvre effarée que les valeureux GI’s de couleur qui ont libéré la France sont rentrés chez eux pour y redevenir les sous hommes de la société américaine.
Juliette Greco ne comprendra jamais vraiment ni l’Amérique ni les américains. Un jour qu’elle pilote dans Paris la fabuleuse Suzy Parker, un chauffeur de taxi les frôle et leur lance un compliment très direct et très précis! Juliette se retourne et le gratifie d’un sourire et d’un baiser avant même de réaliser que la belle Suzy est folle de rage et invective le chauffeur de tous les noms d’oiseaux possibles! La pauvre Suzy était scandalisée de tant de vulgaire insolence et plus encore du joyeux sourire de Juliette. Laquelle au moins aussi interloquée laissa tomber comme une évidence « M’enfin! C’est un joli compliment, non? C’est quand on entend des choses comme ça que l’on se sent vraiment femme! »
La belle histoire d’amour inter raciale terminée, Juliette scandalisera encore un peu les esprits chagrins en se faisant refaire le nez en des temps où c’était encore révolutionnaire! « le nez de Juliette » va faire le sujet de conversation numéro un pendant au moins dix ans!
En 1953, elle tourne pour Jean-Pierre Melville un rôle de bonne soeur lorsqu’elle fait la rencontre de Philippe Lemaire. Bien oublié aujourd’hui ce jeune acteur en qui certains voyaient un nouveau Jean Marais (est-ce vraiment un compliment?) va faire une belle longue et prolifique carrière, jouant essentiellement les séducteurs peu scrupuleux et les traîtres à beaux yeux. Philippe Lemaire a le même âge qu’elle. Ils se marieront le 25 Juin 1953 mais divorceront deux ans plus tard. Entretemps, le 24 Mars 1954, leur fille Laurence-Marie est venue au monde. Une petite fille blonde aux yeux bleus comme Juliette la rêvait. Son bel époux par contre l’a très vite déçue. Philippe Lemaire est un dépressif profond qui se terre parfois des journées entières enfermé dans sa chambre, la tête sous les draps.
Juliette est devenue une star mondiale et telle Edith Piaf elle se produit régulièrement à New-York. Bientôt Hollywood lui tend ses contrats.
Et à l’autre bout des contrats: Darryl Zanuck!
Ces deux là entament une liaison qui fera couler bien plus d’encre que Saint Germain des Près Miles Davis, Philippe Lemaire et le nez de Juliette réunis! Que fait donc la déesse des caves à Hollywood avec ce vieux producteur, promenant ses visons et ses teckels en Cadillac, allant de sa piscine aux plateaux des plus prestigieuses productions hollywoodiennes? Malgré les apparences et les rêves de Zanuck qui produit des films à son inique intention, Juliette ne s’intégra jamais au milieu du cinéma. Elle y restait en marge, en dilettante, même si la presse s’émerveillait de la savoir en tournage aux confins du globe, lavant crânement sa liquette dans l’eau d’une rivière infestée de crocodiles!
La romance avec Zanuck allait se terminer, Bella Darvi et Irina Demick allaient lui succéder dans l’emploi de « la poule à tonton Zanuck », Juliette, fi de tout ce tintouin, regagna son cher Paris. Elle chante Brel, Gainsbourg, Vian, Béart, Ferré. Sa voie, définitivement sera la chanson. Juliette Greco aimait le théâtre, le cinéma ne la passionna jamais vraiment et la chanson avait ses préférences définitives.
En 1961, rentrée à Paris pour fêter Noël avec sa fille après une tournée harassante au Japon qui a fait d’elle une femme très riche, elle s’offre ce dont elle rêve depuis des années: un magnifique collier, trois rangs de perles noires!
Après Zanuck, d’autres hommes passèrent dans sa vie. Gainsbourg comme on le sait, Alain Delon qui lui fit pas mal d’usage, le vicomte de la Mazière avec qui on la dit très officiellement fiancée. Juliette qui aimait les voitures au moins autant que Françoise Sagan en changeait comme elle changeait d’amours. Le tout Paris s’amusait à imaginer qui pouvait bien être le nouvel élu de son cœur lorsqu’elle changeait de voiture! Après les Cadillac de l’époque Zanuck, il y aura une Ford Thunderbird blanche au temps de Delon, une Alfa pour le Vicomte et lorsqu’on la vit soudain pilotant un très classieux coupé Mercédès on se demanda qui pouvait bien être le nouvel élu! L’époque Michel Piccoli sera une époque Porsche noire!
En 1965, c’est paradoxalement la télévision qui lui donne une véritable popularité car jusque là, Juliette était surtout un personnage qui n’était pas forcément « accessible » au commun des mortels. Le feuilleton « Belphégor » va combler définitivement cette dernière lacune!
L’année suivante elle épouse l’acteur Michel Piccoli dont elle restera l’épouse onze ans. Ils seront un des couples les plus discrets du show business, accaparés par leurs carrières, ils se voient relativement peu et ne feront aucune déclaration post divorce sur leurs années de vie commune. Un jour où un journaliste se montra un peu plus indiscret, lui posant la fatale question » Parlez-moi de Michel Piccoli« .
Juliette qui répondait à l’interview alanguie sur des coussins dans son appartement aux murs laqués de noir, portant un pantalon doré de chez Pucci écarquilla ses yeux de biche effarouchée, se demandant pourquoi c’était à elle de parler de Michel Piccoli puis eut cette phrase sublime » Oh mon dieu! C’est vrai! Michel Piccoli et moi avons été mariés, je l’avais complètement oublié » et passa à autre chose, à savoir un sujet qui l’intéressait! Plus tard elle reviendra sur le sujet , abordant le langage d’une nouvelle époque elle dira « Oh avec Michel s’était formidable! Puis il s’est pris lui-même au jeu de l’acteur de génie, féru d’attitudes et de bons mots, pontifiant sur le cinéma, sur ses rôles, ses personnages, la douleur de l’introspection, il était plus en représentation au milieu du salon que sur l’écran, ça m’a saoulée grave! »
La Juliette qui nous intéresse, celle du cinéma, ne passa pas le cap des années 70. Sa carrière s’arrête en 1967 après « La Nuit des Généraux » et elle ne revient plus à l’écran que pour faire plaisir, soit trois fois en 45 ans! Pour le « Far West » de Jacques Brel en 1973, pour « Lily Aime-moi » en 1977 et pour « Jedermanns Fest » en 2002. L’année précédente, elle avait fait, noblesse oblige, une apparition clin d’oeil dans la version cinéma de « Belphégor » où sévissait Sophie Marceau.
L’autre Juliette Greco, celle qui n’appartient pas au cinéma mais au monde fut mariée, avec Gérard Jouannest qui fut son accompagnateur après avoir été celui de Brel. Ce mariage dura 30 ans, jusqu’à ce que son ultime grand amour fasse d’elle une veuve en 2018. Gérard Jouannest avait fêté ses 85 ans 14 jours plus tôt. Il l’avait accompagnée sur scène durant 50 ans.
La mort lui avait déjà enlevé sa fille Laurence en 2016. Juliette était seule désormais. Seule mais toujours chanteuse, toujours Juliette Greco. Toujours inattendue. A 85 ans elle chantait avec des rappeurs et on oublie qu’elle fut une des grandes fidèles du gala de l’union des artistes. Se blessant gravement à la cheville à la fin d’un numéro de trapèze, affrontant des tigres avec une désinvolture et un cran frisant l’inconscience et finissant par faire déambuler des chats sur des fils.
Tout simplement.
Juliette Greco avait annoncé sa retraite des scènes après sa tournée de 2016. A ses admirateurs sidérés de cette décision elle déclarera « J’ai 89 ans, vous savez! Ma tête et mon cœur ne demandent pas mieux que de continuer mais mon corps sera-il encore longtemps d’accord? » et de s’en aller chanter « Déshabillez-moi » à l’aube de la nonantaine pour son public de fidèles ravis.
Le 23 septembre 2020, Juliette Greco s’éteignait paisiblement dans son sommeil, fermant à jamais le grand livre de Saint Germain des Près. Elle en avait été le symbole puis la gloire avant d’en être la vétérane, elle en était la survivante.
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1948: Les Frères Bouquinquant: Avec Madeleine Robinson et Albert Préjean
1950: Orphée: Avec Maria Casarès, Jean Marais et François Périer
1952: The Green Glove: Avec Glenn Ford et Géraldine Brooks (scènes supprimées)
1952: Maléfices: Avec Jean Marc Bory et Liselotte Pulver
1953: Quand tu liras cette Lettre: Avec Philippe Lemaire
1954: Boum sur Paris: Avec Edith Piaf, Danielle Godet, Martine Carol et Gregory Peck
1956: La Châtelaine du Liban: Avec Luciana Paluzzi, Jean Servais et Jean-Claude Pascal.
1956: Elena et les Hommes: Avec Ingrid Bergman et Jean Marais
1956: L’Homme et l’Enfant: Avec Eddie Constantine, Folco Lulli et Beatrice Altariba
1957: The Sun Also Rises: Avec Tyrone Power
1958: The Naked Hearth: Avec Richard Todd
1958: The Roots of Heaven: Avec Errol Flynn et Trevor Howard
1959: Whirlpool: Avec O.W. Fisher et Muriel Pavlow
1960: Crack in the Mirror: Avec Orson Welles
1961: The Big Gamble: Avec Stephen Boyd
1962: Maléfices: Avec Jean-Marc Bory et Liselotte Pulver
1967: La Nuit des Généraux: Avec Omar Sharif et Peter O’toole
1973: Le Far-West: Avec Jacques Brel et Danièle Evenou
1975: Lily Aime-moi: Avec Patrick Dewaere et Zouzou
2001: Belphegor: Avec Sophie Marceau
2002: Jedermanns Fest : Avec Klaus Maria Brandauwer.