Jenny Jugo ne fut pas une star à la beauté fracassante ni au talent particulièrement étourdissant. Mais bien entourée, bien conseillée et bien dirigée, elle finit par gagner ses titres de noblesse dans le cinéma Allemand. A l’avènement de la guerre, elle formait avec Zarah Léander et Marika Rökk, le tiercé des actrices favorites du public teuton. Sa réputation était celle d’un « charlot » en jupons et les films qui nous restent d’elle nous font découvrir la Clara Bow européenne: Une fille jolie et délurée, piquante et joyeuse avec l’indispensable petit « je ne sais quoi » qui fait les grandes étoiles.
Miss Jugo, la future étoile naît le 14 Juin 1905 à Mürzzuschlag, alors petite ville de l’empire Austro-Hongrois à moins d’une centaine de kilomètres de Vienne. Elle est alors pour l’état civil Eugénie Walter, très vite surnommée Jenny par sa famille. Son père est un industriel fortuné qui tient plus que tout à l’éducation parfaite de sa progéniture. Notre héroïne sera donc instruite derrière les murs austères d’un couvent de Gratz. J’ignore par quel biais, elle se retrouve mariée dès ses 16 ans à l’acteur italien Emo Jugo avec qui elle a fugué en Italie. Ce sera le premier mystère de cette vie qui n’en n’est pas avare. Miss Jugo ne se répendit jamais en confidences, fuyant la presse comme un troupeau de Greta Garbo effarouchées et monsieur Jugo ayant sombré à jamais dans les méandres de l’oubli planétaire.
Quoi qu’il en soit, le jeune couple revint à Berlin et réussit la prouesse de divorcer l’année suivante, car à l’époque, la loi interdit le divorce en Italie. Or Jenny a épousé un Italien en Italie. Divorcée, elle fut rendue à la liberté et ne dut pas réintégrer son couvent ou le carcan familial. Le mariage avait fait d’elle une « adulte », une femme libre au début des années vingt, tout un programme.
Très vite, sa joliesse et son tempérament vont être remarqués lors d’une soirée mondaine par un représentant de la Paramount en goguette à Berlin qui lui conseille de se présenter aux studios de cinéma sous sa chaude recommandation. La jeune Jenny s’exécuta, et nantie d’un contrat de trois ans, elle aligna toute une série de petits films gentillets où elle était plus souvent dévergondée qu’à son tour. Elle donnera la réplique muette à quelques uns des plus grands noms de l’écran teuton et ses rôles gagneront en importance jusqu’en 1927 où elle accédait au statut de star en même temps que le micro! Le réalisateur d’origine polonaise Hans Behrendt a su déceler en cette comédienne dont on vantait déjà le tempérament et le jeu spontané un réel talent comique qui fera sa notoriété. Il la dirigera plus de dix fois et fera d’elle une des actrices préférées du public allemand. Hitler n’étant pas le dernier de ses admirateurs. Sa notoriété a d’ailleurs dépassé les frontières et elle est admirée en Amérique comme au Canada ou en France où elle sera d’ailleurs invitée à venir confronter son talent à celui d’Ivan Mosjoukine dans le rôle de « Casanova ».
Lorsque l’Allemagne devenue le troisième Reich déclarera la guerre au monde, Jenny Jugo sera une de ses plus brillantes étoiles, une des reines de ces opérettes sentimentales dont le public est fou et où elle rivalise avec des étoiles de toute première grandeur dont Lilian Harvey et Marika Rökk. A son grand étonnement d’ailleurs puisque lors d’une exceptionnelle interview elle déclarera à ce propos: « Je me demande ce que je fiche dans ce genre de films! je chante comme une passoire et je danse comme une brique!
Mais l’admiration du public pour cette actrice de premier plan ne se dément jamais. Pas plus que celle d’Hitler qui devenu le nouveau Führer la comble de cadeaux somptueux dont une villa, une limousine, des chevaux de course, des bijoux, des fourrures, des domestiques et même un avion. Jenny Jugo les accepte sans pour autant se pâmer d’admiration devant le petit moustachu belliqueux, et ne se gênant d’ailleurs pas pour lui dire ce qu’elle pense de sa politique! Goebbels aura encore moins de chance car lorsqu’il lui proposera de devenir la reine de son cinéma de propagande, elle lui dira bien en face: « Je suis désolée mais vous me répugnez trop pour que j’envisage de collaborer avec vous! »
Elle était bien trop célèbre pour être inquiétée, mais son réalisateur fétiche périra dans la tourmente nazie. Goebbels deviendra à tout jamais « le rat » lorsqu’elle parlera de lui, en public comme en privé!
Durant les années guerre, Jenny Jugo ralentit son activité cinématographique. La faute essentiellement à Goebbels qui serra tous les freins de sa carrière et Hitler trop occupé à ensanglanter la planète pour intervenir. Elle vint pourtant à Paris représenter le cinéma Allemand et fut reçue par une foule en liesse car Jenny était malgré sa nationalité d’envahisseuse très populaire en France. On préfère aujourd’hui retenir des actualités d’époque l’accueil froid et compassé que reçut Zarah Léander, trop distante, trop luxueuse et trop estampillée « Reich » pour être fêtée par le peuple français patriote. Les images de foule en complet délire pour Jenny Jugo reçue par Michel Simon font un peu tache aujourd’hui sur l’étendard de la bravoure cocardière.
Une légende voudra que Jenny Jugo ait tourné quelques films pornographiques privés pour faire plaisir à ces messieurs. Infondée ou vérifiée, j’ignore ce qu’il en est même si personnellement je trouve cette version correspondant bien peu au tempérament et à la réputation de la dame. Une autre version fait d’elle la maîtresse en titre d’Hitler et de Goebbels. Lorsque la guerre prit fin, Zarah Léander se débina pour ouvrir une conserverie de poisson dans sa Suède natale, mais Jenny Jugo resta chez elle, dans son Allemagne détruite. Elle avait bien trop clamé son mépris du pouvoir au risque des mitraillettes pour être inquiétée par qui que ce soit!
La paix revenue, Jenny Jugo ne reprendra pas sa carrière et laissera l’oubli se faire peu à peu sur son nom. Elle ne tournera plus que trois films et fuira les médias comme une nouvelle peste dès 1950. Remariée avec l’acteur Friedrich Benfer, elle s’achète une ferme en Bavière où elle se passionne pour sa nouvelle activité. C’est dans sa ferme qu’elle terminera ses jours.
On la saura clouée dans un fauteuil roulant dès 1975 après « une erreur médicale » sur laquelle on n’eut pas d’explication.
Elle s’éteignait à 97 ans le 30 Septembre 2001, elle avait disparu du paysage depuis 51 ans.
Par contre, telle Marlène Dietrich, elle avait conservé de très nombreux costumes de ses films qui sont aujourd’hui exposés à l’admiration du public au musée du cinéma à Berlin.
La nostalgie faisant, et cette exposition ayant ravivé le souvenir de Jenny Jugo, on la redécouvre aujourd’hui et certains de ses films survivants sont restaurés et rediffusés. On y découvre une actrice au jeu surfait auquel on a bien de la peine à adhérer aujourd’hui et on cherche en vain ce « naturel » tant vanté en son temps. mais qu’importe, ce n’est pas à nous qu’elle devait plaire.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1925: Friesenblut: Avec Gustav Fröhlich
1925: Die Braut Gefundene: Avec Xenia Desni
1927: Die Hose: Avec Werner Krauss
1929: Rund um Die Liebe: Avec Lil Dagover, Brigitte Helm, Lilian Harvey et Elisabeth Bergner
1931: Ich Bei Dir Bleib: Avec Hermann Thimig
1931: Kopfüber ins Glück: Avec Fritz Schlutz
1933: Ein Lied für Dich: Avec Jan Kiepura
1934: Fräulein Frau: Avec Paul Hörbiger
1935: Pygmalion: Avec Gustaf Gründgens et Erna Morena
1936: Die Nacht mit dem kaiser: Avec Richard Romanowsky
1942: Non Mi Sposo Più: Avec Nino Bessozi