Jeanne-Valerie

La fin des années 50 et le début des années 60 marquent un bouleversement dans l’univers du cinéma Français. La « nouvelle Vague » bouscule avant de chasser l’arrière garde du cinéma de papa. Ces jeune messieurs un rien effrontés vilipendent Gabin, Fernandel, Edwige Feuillère et Martine Carol. Et dans la foulée ceux qui les ont si bien dirigés tels Gilles Grangier, Clouzot, Delannoy, René Clair ou Claude Autant Lara.

C’est un véritable chambardement, le mai 68 de la pellicule. On juge, on condamne, on boycotte. Vive l’improvisation, vive l’authentique.

Vive, il faut bien le dire, l’amateurisme. Bientôt ces messieurs investiront leurs bénéfices pour faire tourner Brigitte Bardot à coups de millions, elle qui est l’archétype de la superstar! Ce qui est on ne peut contradictoire, mais le commerce, n’est-ce pas… L’art n’est pas tout, les convictions encore moins!  En attendant, après avoir fustigé les rouages d’une entreprise bien rodée, on fait tourner sa femme ou sa petite amie comme messieurs Chabrol, Lelouch ou Godard, ou alors on choisit n’importe quelle demoiselle de magasin, pourvu qu’elle soit jolie, le talent importe finalement bien peu. En étant mauvaises, elles seront vraies. L’essentiel est de ne pas connaître son métier et de n’avoir jamais entendu le mot hérétique entre tous « conservatoire »!

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Dans cette mouvance réactionnaire, des vedettes populaires telles que Dany Carrel, Danielle Godet, Claudine Dupuis, Tilda Thamar ou Dominique Wilms passent à la trappe (Alors que Truffaut avoue être un fan inconditionnel des trois dernières, il ne les fera jamais tourner.) Et qu’apparaissent de parfaites ignorantes en la matière telles que Danièle Gaubert, Juliette Mayniel, Valérie Lagrange et quelques autres marchandes de frigos ou toiletteuses pour chien. Dans ce ce véritable « tsunami » culturel, un cinéaste, un seul, a un statut à part: son nom: Roger Vadim. Il n’est pas de la « nouvelle vague », il n’est pas non plus du « cinéma de papa ». Il est…Vadim!

Encore tout auréolé d’avoir « fait » Brigitte Bardot, le réalisateur a fait de sa vie privée un tourbillon médiatique insensé. Ses mariages et ses liaisons sont le fil rouge si ce n’est le pain bénit des colonnes à potins. En pour fêter dignement l’avènement de l’année 1960, Vadim prépare le film dont tout le monde parle: « Les Liaisons Dangereuses » avec Gérard Philipe en Valmont et Jeanne Moreau en Juliette de Merteuil. Inutile de dire que c’est la grande affaire du moment. D’autant que la belle madame de Tourvel sera campée par la nouvelle madame Vadim, vendue à la presse people comme la nouvelle Bardot: Annette Stroyberg.

Pour la délicate Cécile de Volanges, Vadim a « découvert » une très juvénile demoiselle aux longs cheveux blonds: Gillian Hills. Dès l’annonce de son engagement par Vadim la jeune fille fut littéralement harcelée par la presse, posa pour les couturiers et se dépêcha d’acheter toute une collection de bikinis. Malheureusement pour elle, Vadim va changer d’avis et la déclare  » insuffisante » pour le rôle, ce qui n’était guère galant. Je pense plutôt qu’il s’agit d’une erreur de casting au départ, Gillian Hills n’a rien de la fille délicate de madame de Volanges, elle aurait plutôt tout de la fille de « Nana ». Vadim la relègue au fin fond du générique, presque une figuration. Jamais une starlette lancée avec une telle fanfare dans les médias n’aura disparu aussi vite de la circulation. Serge Gainsbourg se portera à son secours et lui confiera quelques chansonnettes de son cru à interpréter.

Quant au film, il continuait avec une parfaite inconnue dans le rôle de Cécile: Jeanne Valérie.

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La demoiselle, une jeune parisienne née dans sa bonne ville, le 19 Août 1941 sous le patronyme complet de Micheline Yvette Voiturier fait donc ses débuts au cinéma dans le film le plus attendu de l’année entre Jeanne Moreau et Gérard Philipe. Elle n’avait auparavant fait que deux modestes figurations parce que « ca s’était trouvé comme ça », dans des films dont les vedettes étaient Dario Moreno ou Annie Cordy!

Non seulement elle fut ravissante à souhait, mais réussit à être très juste.

Ses gaucheries de novice dans le métier d’actrice ajoutant encore à sa grâce touchante et juvénile. Et ceux qui la trouvèrent exaspérante, car il y en eut, oublièrent que c’était bien là le propre de toutes les jeunes filles de son âge, et celui de mademoiselle Cécile de Volanges en particulier? Mais qui de plus est, Jeanne Valérie correspond magnifiquement à la jeune fille 1960, encore empreinte de bonnes manières très  »vieille France » et patinée par une éducation rigide mais avide de libertés, dévorée par une soif de vivre et d’être enfin une femme. Envie de porter de jolies robes, de danser, de bronzer, de boire du scotch, de connaître les garçons et de dire enfin « zut » à papa et maman!

Avec son phrasé très particulier qui n’appartient qu’à elle et sa mine éternellement boudeuse, Jeanne Valérie fut une magnifique Cécile de Volanges, et non seulement elle fut à la hauteur de ses prestigieux partenaires, mais elle éclipsa la belle madame Vadim pourtant titulaire d’un rôle à la fois plus important, plus romanesque, mieux habillé et encore mieux déshabillé.

Dès le film en boîte, Jacques Estérel choisit Jeanne Valérie pour présenter sa nouvelle collection « jeune fille », et le temps d’estomaquer le journaliste qui lui demandait « Qu’est-ce que ca vous a fait de débuter au cinéma en face de Gérard Philipe? » en lui répondant de toute sa blonde candeur: « Absolument rien, je n’allais jamais au cinéma avant de tourner le film de Vadim, je savais à peine qui c’était et je n’étais pas du tout une de ses admiratrices! Je le suis maintenant, bien entendu, il a été formidable avec moi et m’a parfaitement comprise et aidée dans ce travail tout à fait inattendu pour moi! » L’interview en boîte et les robes d’Estérel bien rangées, Jeanne Valérie partit pour le midi rejoindre les partenaires de son film suivant: « A Double Tour »: Jean-Paul Belmondo, Antonella Lualdi et la réputée difficile Madeleine Robinson. Le tout dirigé par Chabrol s’il vous plaît.

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Le film terminé, s’étant fait un nouveau « copain » de Jean-Paul Belmondo, elle devenait « Salammbô » en Allemagne, entre Jacques Sernas, le plus adorable des partenaires et Edmund Prudom. Elle glissera ensuite au plateau de « Adorable Julia », détournant le beau Jean Sorel du lit de la star Lilli Palmer!

Ce début de carrière assez exceptionnel ne troubla que fort peu la jolie tête de Jeanne. Même si, lorsqu’elle disait en rougissant aux journalistes qu’elle n’allait jamais au cinéma, elle mentait.

La maman de Jeanne se prénomme Yvette et a une cousine qui se prénomme Yvette. Ces deux-là sont inséparables et n’aiment rien tant que d’aller valser le dimanche au bord de la Marne. La cousine Yvette aura, elle aussi, une fille, née deux ans après Jeanne: Maud.

Les deux cousines seront aussi inséparables que leur maman. En grandissant, leur plus grand plaisir était d’aller admirer dans la chambre de Jeanne les nouvelles photos de ses stars préférées qui couvraient les murs de « celle qui n’allait jamais au cinéma ».

Et puis un jour, coup de théâtre! Maud découvre stupéfiée sa chère cousine posant pour le catalogue du Vertbaudet. Et tout de suite après pour la laque Elnett. Maud se mit a découper avec application les photos de sa cousine, pas peu fière de cette réussite. Mais elle n’aura pas le temps de les coller dans de précieux albums. Très vite le cinéma s’empare de Jeanne. Elle emmène sa cousine partout avec elle. Voilà Maud das le figuration de « Cigarettes, Whisky et p’tites pépées » avant de déjeuner à la table de Gérard Philipe et Jeanne Moreau sur le plateau de Vadim. Jeanne s’offrira une Renault Floride avec ses premiers cachets et les cousines-copines prendront la route de vacances! Direction Rome!

« Jeanne Moreau avait offert une jupe à Jeanne. Une jupe en laine des Pyrénées, bleue, quadrillée de vert. Jeanne me l’a refilée  et moi je ne sais pas ce que j’en ai fait » se souvient Maud qui se marre encore.

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La jolie Jeanne va continuer une fort intéressante carrière au cinéma et à la télévision. C’est l’Italie qui fera le plus souvent appel à ses services. Durant toutes les années 60, elle sera une actrice aussi présente sur les écrans qu’absente des colonnes de la presse à scandales. Tournant entre autres pour Alberto Lattuada, Mauro Bolognini ou Maurice Cloche, elle donne la réplique à quelques monstres sacrés comme Anouk Aimée, Julian Sands, Suzanne Flon, Nino Manfredi, Ginette Leclerc, Vittorio de Sica, Philippe Noiret, Francis Blanche, Gérard Blain, Jean Rochefort ou Tcheky Karyo!

En 1969, elle est de la triste aventure de Joe Caligula avec Gérard Blain et Ginette Leclerc qui fait là sa grande rentrée et compte bien sur le film pour se remettre en selle. Film qui malheureusement mettra des éternités pour trouver un distributeur. Qualifié de film « Erotico-intello », il fera une carrière très confidentielle avant de connaître avec le temps un certain succès de curiosité à défaut d’estime.

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C’est le moment que choisit Jeanne Valérie pour disparaître littéralement de la scène publique. On ne la reverra que peu…deux ou trois fois en…Quarante ans. C’est presque impossible à croire et pourtant…Jeanne Valérie plaque tout, elle a 27 ans! La femme qu’elle est dans la vie est déjà si loin de l’image qu’elle donne encore à l’écran. Au cinéma Jeanne est, reste et demeure une séduisante jeune fille. Dans la vie elle est la maman de quatre enfants!

Toujours aussi discrète, Jeanne Valérie, heureuse, maman anonyme était une femme peut-être plus belle encore qu’au temps de ses « Liaisons dangereuses » avec le cinéma.

L’espoir resta longtemps vivace de la revoir encore briller sur les écrans . Même si de son propre aveu « Le cinéma, c’était si loin » Jeanne ne possédait d’ailleurs aucune copie de ses films dans son refuge italien. Elle préférait la peinture où elle se révèle d’une sensibilité rare. Jeanne Valérie n’est plus une actrice, elle est un peintre qui vit de son art. Et si parfois quelqu’un se souvient d’elle du temps où elle faisait du cinéma et lui parle de ce bon vieux temps, c’est un doux souvenir du passé qui se rappelle à sa mémoire sans qu’il ne soit entaché d’aucun regret ni amertume.

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Je suis fière de consacrer ces quelques modestes lignes à une actrice que je trouve émouvante entre toutes.

Je lui dois d’ailleurs un souvenir tout personnel. Mes parents ne se considéraient pas comme des censeurs et j’ai eu le droit, toujours, de voir les films que je voulais. J’ai donc vu très tôt ces « Liaisons dangereuses » à la sauce Vadim, je devais avoir dix ans et Jeanne me fascinait pour sa ressemblance avec ma jolie maman qui n’était que de trois ans son aînée. Jusque là, j’avais une approche enfantine du cinéma. monolithique si j’ose dire. Pour moi un film c’était un film « pour rire » pour « avoir peur », pour « pleurer », bref un film n’était porteur que d’une seule émotion, celle promise par son affiche. Mais dans les « Liaisons » les amours de Jeanne Valérie et Jean-Louis Trintignant sont contrariées par tout un tas de raisons: Il n’a pas fini ses études, il n’a pas encore fait son service, il n’a pas de quoi faire vivre dignement « mademoiselle de Volanges ». Il détaille par le menu, tout ce qui les empêche de vivre leur histoire d’amour alors qu’elle lui fait une visite impromptue dans la modeste soupente d’étudiant qu’il occupe. Elle l’écoute à peine, observant les lieux puis laisse tomber, l’air catastrophé, comme si c’était le seul problème à régler « Je ne vois pas où je vais pouvoir mettre toutes mes robes! »

Et ça m’a fait rire. Cette réplique de Jeanne balancée avec une telle spontanéité, je ne l’ai jamais oubliée. C’est grâce à elle que je me suis ouverte aux tendresses d’un Bourvil, la faconde d’un Paul Meurisse à la drôlerie d’une Michèle Morgan ou d’une Danielle Darrieux. Dorénavant au cinéma il me faudrait un peu plus de finesse que dans « Mary Poppins ».

Jeanne Valerie

J’avais  le très grand plaisir d’échanger parfois quelques courriers avec elle. Nous avons d’ailleurs bien ri plus d’une fois. Je sais qu’après un très bel amour qui a fait d’elle une veuve elle s’est installée dans un petit village non loin de Rome, au bord d’un lac qu’elle voit de toutes ses fenêtres et a regardé grandir ses enfants adorés sous la lumière du soleil et bien loin du feu des projecteurs. Jeanne était toute à sa vie privée, ses toiles et se pinceaux.

Quant aux deux inséparables cousines, la vie les a désunies. Maud aussi s’est mariée et est devenue maman. L’une à Rome l’autre à Paris, la vie et les distances ont fait que…Jusqu’à ce qu’une certaine Celine Colassin et les réseaux sociaux réunissent à nouveau les deux jolies cousines. De longues heures au téléphone allaient suivre…Tant d’années à se souvenir et tant d’autres à se découvrir…

Malheureusement, le crabe ignoble a fait son implacable travail. Jeanne s’en est allée entourée de ses enfants adorés le vendredi 27 septembre 2020.

Celine Colassin.

jeanne valerie

QUE VOIR?

1959: Les Liaisons Dangereuses: Avec Gérard Philipe, Jeanne Moreau, Jean-Louis Trintignant et Simone Renant.

1960: A Double Tour: Avec Jean-Paul Belmondo et Madeleine Robinson.

1960: Salammbô: Avec Jacques Sernas et Edmund Prudom.

1960: Il Piacieri del Saboto Notte: Avec Pierre Brice, Maria Perschy, Elsa Martinelli et Scilla Gabel.

1960: Siega Verde: Avec Marta Angelat et Rafael Bardem

1961: L’Imprevu: Avec Anouk Aimée, Thomas Milian et Raymond Pellegrin.

1961: C’est Arrivé à Rome: Avec Jean Sorel, Léa Massari et Paolo Stoppa.

1961: Le Jeu de la Vérité: Avec Françoise Prévost et Robert Hossein

1962: Le Pillole di Ercole: Avec Nino Manfredi, Francis Blanche, Vittorio de Sica et Sylvia Koscina.

1962: Mandrin: Avec Dany Robin, George Rivière et Silvia Monfort

1962: Adorable Julia: Avec Jean Sorel, Lilli Palmer et Charles Boyer

1963: La Porteuse de Pain: Avec Suzanne Flon, Jean Rochefort et Philippe Noiret.

1963: Cadavres en Vacances: Avec Simone Renant et Rita Cadillac

1964: Le Sexe des Anges: Avec Anouk Aimée, Sandra Milo et Jacqueline Sassard

1964: Se permettete parliamo di donne : Avec Vittorio Gassman

1967: I Diamanti che Nessuno Voleva Rubare: Avec Salvo Randone.

1969: Joe Caligula: Avec Gérard Blain, Ginette Leclert, Junie Astor et Maria Vincent.

1991: La Villa del Venerdi: Avec Julian Sands, Joanna Pacula et Tcheky Karyo

 

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