Pour aborder les années 40, la société britannique Gainsborough productions engagea sous contrat quatre comédiennes. Quatre comédiennes également talentueuses, également brunes et également belles. En fait elles étaient tellement « également » qu’elles en étaient interchangeables…Ou presque! Pourquoi quatre? Quel était l’enjeu? Le défi à relever? Je l’ignore, et de toutes façons la Gainsborough ne fit plus très long feu. Ses quatre reines, par contre, lui survécurent brillamment. J’ai nommé Margaret Lockwood, Patricia Roc, Phyllis Calvert et notre héroïne du Jour, Jean Kent.
Le 29 Juin 1921 naissait à Brixton, un quartier résidentiel de Londres, Joan Mildred Summerfield dans une famille d’artistes de music hall. Cette ravissante demoiselle se destine à la danse, y travaille avec acharnement, jusqu’à pouvoir fêter ses dix ans sous ses premiers applaudissements. Un malheureux incident mais pourtant bienvenu! Jean piaffait de débuter depuis qu’elle avait été applaudie à l’âge de trois ans lors d’une matinée enfantine. Lorsqu’elle débute enfin, c’est parce que sa mère s’est blessée et ne peut assurer le spectacle du soir. Prenant sou courage à deux mains,, Jean offrit ses services « Pourquoi pas moi? Je connais le rôle par cœur, j’ai vu maman le jouer cent fois! »
Elle n’est certes pas une danseuse étoile mais après ces débuts impromptus dont elle ne s’était pas trop mal tirée, Jean va besogner dans le chorus de nombreux ballets sous le premier pseudonyme de Jean Carr. Du ballet au théâtre il n’y a qu’un pas. Puisque tous deux se donnent sur les planches, Jean Carr le franchit donc avec allégresse et enthousiasme, elle ânonne ses quelques minuscules premières répliques encore adolescente, mais déjà, ma foi, bien jolie. Elle fera d’ailleurs un très furtif passage au cinéma en 1935!
Elle va signer avec la Gainsborough Picture durant la guerre, ses vingt ans à peine fêtés. Est-ce le récent départ de Vivien Leigh à Hollywood qui ouvre la brèche à son type féminin et à celui de ses trois acolytes? Est-ce la vogue d’Hedy Lamarr? Je l’ignore. Toujours est-il que Jean Carr devenue Jean Kent pourrait bien donner du fil à retordre à Vivien et Hedy!
Mais pour l’instant, Londres est sous les bombes, certes, mais on y fait des films (Ce qui est d’ailleurs assez crâne de la part de Gainsborough Pictures dont les studios sont installés dans les anciens bâtiments d’une centrale électrique, faisant une cible de choix pour les bombardements!).
En 1943, Jean Kent tournera trois films! Cela peut sembler peu. mais lorsque chaque matin on s’étonne d’être encore en vie avant de se demander si on le sera encore le soir. Quand on ignore si on aura encore une maison ou une famille, c’est faire preuve à la fois d’une belle abnégation et d’un grand enthousiasme pour donner vie à des personnages pour le plaisir de foules inconnues! A moins qu’il ne s’agisse que de la folle inconscience de la jeunesse, qui sait?
Vivien Leigh revenue à Londres avant la fin de la guerre pour y devenir Cléopâtre verra son appartement partir en fumée sous ses yeux et aura les nerfs à jamais ébranlés à force d’alertes, de morts, de bombes et d’incendies! Jean Kent n’en perdit pas un faux cil et la guerre terminée, elle était une star! Une star et bientôt une femme mariée à l’acteur autrichien Jozef Jamart qu’elle épouse en 1946. Elle restera mariée 43 ans durant, jusqu’à ce que ce compagnon d’une vie la laisse veuve en 1989
Bientôt les photos des nouvelles recrues hollywoodiennes vont déferler sur l’Europe. On n’avait pas eu de leurs nouvelles depuis 4 ans, et 4 ans c’est long pour le cinéma. Jean sera souvent confondue en photos avec Linda Darnell ou avec Ava Gardner. A Hollywood on la confondra avec l’incontournable Margaret Lockwood!
La belle Anglaise continue sa carrière, abonnée aux rôles de belles garces, un peu comme une Viviane Romance française qui donnerait dans une élégance souvent d’époque. Elle dira elle-même des années plus tard: « Dans les 15 films que j’ai tournés pour la Gainsborough, j’étais une garce ignoble dans dix et dans les autres c’était limite! » Il y aura bien entendu l’inévitable épisode hollywoodien mais pour cette Anglaise, il n’y a guère de salut qu’en Angleterre. Elle regagnera donc sa chère île et deviendra une des reines de la télévision lorsque le cinéma british prendra ses quartiers du côté de Carnaby Street.
En 1960 elle abandonne le cinéma mais mène une carrière intensive à la télévision. Jean Kent ne concevait pas l’élégance au cinéma de la même manière que Twiggy ou Anita Pallenberg semble-il. On ne la reverra au grand écran que 16 ans plus tard, en 1976 pour le plaisir d’y donner la réplique à Roger Moore mais ce sera là son baroud d’honneur. Elle resta active jusqu’à 70 ans à la télévision, jusqu’en 1991.
Année où elle décida de prendre sa retraite. Jean Kent fête ses 90 printemps au solstice d’été de l’année 2011, charmante vieille dame toujours très « bien de sa personne » et d’une dignité toute british que l’on croirait imaginée par Agatha Christie. Souhaitons qu’elle ait été toujours heureuse jusqu’à sa fon survenue le 30 novembre 2013 dans sa 92ème année.
Quant à la Gainsborough Pictures, elle ferma définitivement ses porte et rangea ses caméras en 1951.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1935: Who’s Your Father?: Avec Lupino Lane et Nita Harvey
1943: Miss London: Avec Evelyn Dall et Anne Shelton
1943: It’s That Man Again: Avec Tommy Handley et Greta Gynt
1944: Soldier, Sailor: Avec Rosamund John et Charles Victor.
1944: Bees in Paradise: Avec Ann Shelton et Peter Graves
1944: Fanny by Gaslight: Avec Phyllis Calvert, Stewart Granger et James Mason
1944: Two Thousand Women: Avec Phyllis Calvert, Patricia Roc et Flora Robson
1945: Wateloo Road: Avec Joy Shelton, John Mills et Stewart Granger.
1945: The Wiked Lady: Avec Margaret Lockwood, James Mason, Patricia Roc et Michael Rennie
1945:Madonna of the Seven Moons: Avec Phyllis Calvert, Patricia Roc et Stewart Granger
1946: The Magic Bow: Avec Phyllis Calvert et Stewart Granger
1946: Caravan: Avec Stewart Granger et Anne Cawford
1947: The man Within: Avec Michael Redgrave et Joan Greenwood
1947: The Loves of Joanna Godden: Avec Googie Withers et John McCallum
1947: Good Time Girl (Les Ailes Brisées): Avec Herbert Lom et Griffith Jones
1948: Good Time Girl: Avec Herbert Lom, Flora Robson et Diana Dors
1948: Bond Street: Avec Roland Young
1949: Trottie True: Avec James Donald et Hugh Sinclair
1950: The Reluctan Widow: Avec Guy Rolfe et Paul Dupuis
1954: Before I Wake: Avec Mona Freeman et Maxwell Reed
1957: Le Prince et la Danseuse: Avec Marilyn Monroe et Laurence Olivier (Jean est Maisie Springfield)
1958: Bonjour Tristesse: Avec Jean Seberg, Deborah Kerr et David Niven
1958: Grip of the Strangler: Avec Boris Karloff
1959: Beyond this Place (Le Fils du Forçat): Avec Van Johnson.
1960: Bluebeard’s Ten Honeymoons: Avec Corinne Calvet, Patricia Roc et Georges Sanders
1960: Please, Turn Over: Avec Ted Ray.
1976: Shout at the Devil: Avec Barbara Parkins Roger moore et Lee Marvin