Jany Holt fut un incontestable grand nom du cinéma et un non moins incontestable « cas ». Physiquement d’abord avec une tignasse d’un roux flamboyant, un nez Aigu aux narines pincées et aux sourcils en ailes de papillon qui s’envolaient parfois loin au dessus de leurs arcades natales. Elle pouvait jouer les ensorcelantes à la Marlène Dietrich ou les pauvres petites mômes malmenées de misère à la Edith Piaf avec une même évidence. Une seule chose reliait ses personnages entre eux: Leur folie! Jany Holt incarna toute une ribambelle de perchées en tous genres; hautes en couleurs de déraison, toujours aux portes de la folie et de l’effroi et donc…Capables de tout! Un emploi qu’elle était seule à tenir, voire à oser tenir et qui soyons justes en aurait fait déraper plus d’une dans les gouffres du grotesque…Jany Holt elle-même se tint plus souvent qu’à son tour très près du bord des abîmes.
Jany Holt vint au monde en Roumanie, à Bucarest, le 11 mai 1911 (ou 1909, c’est selon) de Marin Vladesco Olt, avocat de son état, et de Lucretia Penesco sa belle épouse. Elle est pour l’état civil accueillie en qualité de Ruxandra Ecaterina Vladescu Olt. Comme il sied à une famille de haute bourgeoisie balkanique, on parle le français à table et la petite rouquine au visage constellé de taches de son ira parfaire son éducation chez ces bonnes âmes francophone du couvent Notre Dame de Sion à Bucarest.
Elle a 15 ans, lorsque sa mère décréta que c’est à Paris que sa fille chérie devait passer son bac et poursuivre des études de commerce.
Etrange décision que Ruxandra se garda bien de contester! Paris! La belle enfant rêvait en secret de théâtre et voilà qu’on l’envoyait à Paris! Paris! Paris la patrie de Molière pour y apprendre à rédiger des bons de commande et des factures? La bonne blague!
Si elle passa son bac, inutile de dire qu’on ne la vit jamais à l’école de commerce et qu’elle se rua d’emblée aux cours de Charles Dullin!
Et la jolie Roumaine va rapidement bénéficier d’un joli coup de pouce du destin. La révolution à jeté dans l’exil des milliers de Russes. Les Russes blancs qui hantent désormais Biarritz et Paris à défaut des rives de la Volga. Il n’y a plus un chauffeur de taxi, plus un portier d’hôtel, un majordome ou une femme de chambre qui ne soit un exilé russe, de préférence titré. L’âme russe est à la mode! Ivan Mosjoukine est le chéri de ces dames! Bientôt le cinéma parlera et Paris s’entichera des roucoulades ensoleillées d’une Elvire Popesco, de la grâce hautaine d’une Vera Korène, de l’autorité d’une Natalie Lisenko, de la grâce primesautière d’une Alice Cocéa. Celle qui est devenue Jany Holt ne pouvait mieux tomber! Paris s’est entiché de l’âme slave et qu’importe si Bulgarie n’est pas Russie!
Après d’intéressants débuts au théâtre avec les Pitoëff, Jany s’engouffre au cinéma. Et si tous ses biographes s’appliquent à la faire débuter en 1936 dans « Le Golem » de Duvivier, force est de de la reconnaître dès 1931 dans « Un Homme en Habit » entre Suzy Vernon et Fernand Gravey. Dès le film de Duvivier, Jany Holt s’impose comme l’incarnation de l’âme slave telle que l’imagine la France et il devient aussitôt impensable de songer à des films tels que « Troïka sur la piste blanche », « La Tragédie Impériale » ou « Les Bas Fonds » dont le scénario est une adaptation de Nicolas Gogol sans avoir Jany Holt au générique! D’emblée, Jany Holt donne à ses personnages un souffle tourmenté, épique, inquiétant et fascinant. D’emblée le cinéma la confronte à des partenaires plus « grands que nature ». Harry Baur, Erich von Stroheim, Pierre Renoir, Gabin, Jouvet, Pierre Richard Wilm. Il faut une certaine puissance, un certain sens de la démesure du personnage pour « tenir » face à Jany Holt.
Un critique dira d’elle: « Jany Holt est une énigme, une double énigme! Ses yeux, ses lèvres tout son visage brûle d’une passion contenue qui semble lui brûler l’âme comme si elle n’aspirait qu’à se faire dévorer par toutes les flammes de l’enfer qui seules pourraient l’apaiser enfin. L’énigme étant que ce visage où flamboient mille passions est étrangement fiché au somme d’un corps qui semble taillé dans un bois de cercueil. Comme si la chair dont il est fait n’aspirait en rien aux passions qui flamboient dans l’âme de l’actrice. »
Allant de chef d’oeuvre en grand film, menant sa carrière avec une exigence encore jamais vue, Jany Holt est en bonne vie pour atteindre les plus prestigieux sommets de sa discipline artistique. Et ce, même si elle est assez difficile à distribuer, Jany Holt étant inenvisageable dans une quelconque comédie ou bluette à happy end. Et puis arriva l’impensable!
Jany Holt vit depuis quelques temps une passion toujours compromise avec l’acteur Marcel Dalio. On s’aime ou se quitte, on choisit de se marier mas les parents de l’actrice exigent de Dalio une conversion immédiate au catholicisme ce que l’acteur refuse. « Je n’ai qu’un seul dieu, le théâtre! » Ceci déplut!
Une autre fois, le couple se sépare parce qu’avant de se décider une nouvelle fois pour le mariage. Marcel Dalio avait, selon Jany cette fois: « Eu la stupidité de lui demander toute la vérité! » Chose qui selon Jany était facile à dire et difficile à entendre! Marcel Dalio a finalement réussi à traîner Jany Holt devant monsieur le maire en 1936. C’est trop tard. L’actrice est déjà tombée amoureuse de l’écrivain Jacques Porel. Elle divorcera de Marcel Dalio en 1939 pour épouser Jacques Porel en 1940.
Mais l’impensable n’est pas là! L’impensable, c’est qu’entre son divorce et son remariage, les Teutons avaient envahi et occupaient Paris! Et ça, c’était tout bonnement in-to-lé-ra-ble!
Jany n’est parisienne que d’adoption elle n’est pas française mais qu’importe! Paris était la ville de tous ses rêves et la ville qui lui avait offert toutes les gloires et permis toutes les conquêtes. Elle n’allait pas se débiner comme le tout cinéma français! Les boches allaient savoir de quel bois elle se chauffait.
Jany Holt s’engouffra dans la résistance séance tenante et si elle revint au cinéma sous l’occupation c’était parce qu’il était plus difficile de déporter une grande vedette qu’une anonyme, pour donner le change à l’occupant et puis surtout parce que l’ennemi tenait le cinéma sous sa coupe. Jany n’avait plus qu’à laisser traîner ses charmantes oreilles pour glaner de précieuses informations de première main, les hauts dignitaires des forces d’occupation adorant traîner leurs bottes vernies dans les studios de cinéma. A la libération de Paris le général de Gaulle n’aura rien de plus pressé que de lui décerner la croix de guerre pour ses hauts faits de résistance. Ce qui la met sur le même rang que Joséphine Baker, Silvia Monfort et la mère de Juliette Gréco!
Jany restera une très grande vedette admirée et respecté de la France libérée, découvrant en Pierre Brasseur un nouveau partenaire à sa mesure, la gestapo s’étant chargée de priver le cinéma français de son cher Harry Baur. Mais au début des années 50, tout change. Le pessimisme et la gravité qui avaient baigné le cinéma français du front populaire à l’occupation passe de mode avec les tickets d’alimentation et les semelles de bois. La France veut vivre et oublier! A elle les opérettes Francis Lopez, à elle le « Chanteur de Mexico ». On a assez souffert que pour encore aller s’en faire au cinéma pour des héroïnes tourmentées. Bref la France tourne la page et veut écrire son nouveau chapitre dans la joie…Or Jany Holt ne sera jamais la partenaire d’un Fernand Raynaud ou d’un Fernandel, qui croirait en une telle rencontre?
Jany Holt que ni l’exil ni la guerre n’avaient pu ébranler se fait balayer par une chose aussi idiote que la mode! Celle de Martine Carol, celle de Gina Lollobrigida! Jany a, en quelques mois, l’air de sortir des pages les plus sombres d’un livre d’histoire.
Dès 1950 elle bascule dans les seconds rôles et parce qu’elle reste aussi intransigeante sur le choix de ses films qu’Arletty sur le montant de ses cachets, C’en est trop d’une main pour compter ses films de la décennie. Et sur ce maigre bilan on ne peut guère épingler que « Gervaise » où elle est la soeur revêche de François Périer. C’est peu.
A l’avènement des années 60, Jany Holt semble perdue pour le cinéma et tourne quelque peu pour la télévision. Elle n’est pas la seule vedette de l’occupation à avoir déserté les écrans et les années 60 se souviennent à peine de Michèle Alfa, Yvette Lebon ou Madeleine Sologne.
Et puis, en 1972, on la retrouve en mère de Philippe Noiret dans « A Time for Loving ». Une nouvelle génération de cinéastes qu’elle a fait rêver dans les films qui ont suscité leur admiration et leur vocation tremblent rien qu’à l’idée de l’entendre au téléphone. Alors…La faire tourner…
Jany Holt, la soixantaine venue reprend du service, commence un nouvelle carrière, une carrière de prestigieuse vétérane ! Une carrière qu’elle terminera en 1995 chez Jean-Pierre Mocky entre Jane Birkin et Sabine Azéma!
Jany Holt tira sa révérence après 64 ans de carrière.
On apprenait sa fin paisible le 26 Octobre 2005. Elle avait 94 ans et peut-être bien 96.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1931: Un homme en habit: Avec Suzy Vernon et Fernand Gravey
1935: Le Domino Vert: Avec Danielle Darrieux
1936: Le golem: Avec Harry Baur
1936: Un grand amour de Beethoven: Avec Harry Baur et Annie Ducaux
1936: Les bas-fonds: Avec Jean Gabin et Suzy Prim
1937: Courrier Sud: Avec Pierre Richard Wilm
1937: Troïka sur la piste blanche: Avec Charles Vanel et Jan Murat
1937: L’Alibi: Avec Albert Préjean et Erich von Stroheim
1938: La tragédie impériale: Avec Marcelle Chantal, Harry Baur et Pierre Richard Wilm
1938: La maison du Maltais : Avec Viviane Romance, Pierre Renoir et Louis Jouvet
1942: Andorra ou les hommes d’Airain: Avec Jean Chevrier
1943: Les anges du péché: Avec Renée Faure et Sylvie
1943: Le baron fantôme: Avec Odette Joyeux et André Lefaur
1946: Mission spéciale: Avec Pierre Renoir
1946: Le pays sans étoiles: Avec Gérard Philipe et Pierre Brasseur
1949: Mademoiselle de la Ferté: Avec Jean Servais
1950: Le furet: Avec Pierre Renoir et Colette Darfeuil
1956: Gervaise: Avec Maria Schell et François Périer
1972: A Time for Loving: Avec Britt Ekland et Johanna Shimkus
1978: Die linkshändige Frau: Avec Edith Clever et Brun Ganz
1988: La passerelle: Avec Mathilda May et Pierre Arditi
1993: Café au Lait ( Métisse) Ave Mathieu Kassovitz et Vincent Cassel
1995: Noir comme le souvenir: Avec Jane Birkin et Sabine Azéma