C’est un hasard qui fit naître à Lille cette très belle lyonnaise le 25 Septembre 1935. La jolie demoiselle, fille unique de marchands de meubles, après de solides études dans une institution religieuse (dont elle ne sortira qu’à quinze ans) deviendra « Miss Côte d’Azur » en 1953 et Miss France en 1954.
Mais la jeune fille qui cumule les couronnes et les écharpes tricolores n’est déjà plus tout à fait une débutante! Il y a belle lurette qu’au pays on s’est habitué à voir sa beauté altière et sportive vanter sur les « réclames » le confort des gaines et des maillots, la qualité d’écoute des TSF dernier cri ou la solidité des machines à laver automatiques!
Bien qu’ élevée au pensionnat, la petite Irène était l’enfant chérie, voire adulée de ses parents, lesquels, chose rarissime à l’époque lui offrirent une voiture pour ses dix-huit ans! Irène se toque immédiatement de vitesse, utilise plus souvent son avertisseur que ses freins et affichera toujours un désintérêt complet pour le contraignant code de la route!
Dès qu’elle fut sacrée « Miss », le cinéma s’intéressa à elle. C’est l’Italie qui fut la plus rapide et Irène commença sa carrière d’actrice en 1954 dans » Camilla ». Le temps de se rendre compte qu’il ne suffit pas d’être jolie pour être une actrice digne de ce nom, elle réintégra la France. Elle se fixa à Paris, devint mannequin et une des élèves les plus assidues du cours d’art dramatique dispensé par Françoise Rosay.
Sa beauté lui ouvrit bientôt les portes des plateaux du cinéma national où Irène alla de petit rôle en petit rôle sans rien trouver de bien palpitant à se mettre sous le talent. Pire encore, sa distinction naturelle n’inspire pas les « chasseurs de starlettes » qui lui préfèreront toujours Nadine Tallier, France Anglade ou Véronique Vendell.
En 1958, Irène rencontre et épouse le réalisateur belge Yvan Govar. Bien oublié aujourd’hui, Govar s’était trouvé dans le cinéma des années 50-60 un créneau bien à lui: De petits films noir et blanc à petit budgets, des scénarii tirés de séries noires à bon marché mais avec à l’affiche de ces petits films « de complément » des génériques alléchants réunissant Michel Simon à Pierre Brasseur, Jean-Pierre Marielle à Jacqueline Maillan ou Michel le Royer à Annette Stroyberg Vadim! Des titres enfin qui furent autant de trouvailles « Que Personne ne Sorte », « Ce Soir on Tue », « Une Heure à Tuer ».
le couple est donc bel et bien un couple « de cinéma » jusqu’à ce jour funeste où Irène choisit de reprendre sa liberté. Elle avait fait la connaissance du prince Orsini dont la romance à scandale et à rebondissements avec Belinda Lee passionnait le public, ébouriffait jusqu’au pape et avait déjà donné lieu à deux divorces et deux tentatives de suicides. Elle quitta Govar, s’engouffra dans un taxi, direction Orly. Avant d’embarquer elle fut appelée au téléphone, Yvan Govar avait voulu se donner la mort et avait été emmené dans un état grave à l’hôpital. Lorsqu’Irène arriva dans la chambre du réalisateur, il était réveillé, cerclé de reporters et de photographes. C’est ainsi que quelques jours plus tard, on vit dans la presse, dans le décor d’une chambre d’hôpital où gisait Govar, la belle Irène, dans un strict tailleur de voyage Dior, les cheveux ramenés en un superbe chignon banane, les faux-cils ombrant somptueusement son sombre regard, et ses trois rangs de perles précédent son mouvement lorsqu’elle se penchait, toute de sollicitude lointaine, sur le réalisateur en perdition.
Je jure de ma vie n’avoir jamais rien vu d’aussi chic sur une photo de paparazzo qu’Irène Tunc, son chignon, ses perles et son tailleur face à celui qui n’était déjà plus rien pour elle.
La belle ne changea pas d’avis malgré ses élégances. Le couple divorça. Entretemps, bien entendu, Belinda Lee avait remis le grappin sur son beau prince italien qui resterait défiguré à le suite d’un coup de cravache. Il avait voulu corriger un mauvais plaisant qui avait osé critiquer Belinda, et ce alors qu’Irène était pendue à son bras!
Plus tard, remise de ses émotions, Irène Tunc épouserait un autre réalisateur: Alain Cavalier.
Irène connaîtra enfin sa vraie chance au cinéma; elle tourne nue pour affoler un Jean Paul Belmondo ensoutané dans « Léon Morin Prêtre » de Jean-Pierre Melville. Si l’exhibition de charme d’Irène mourut sur le plancher de la salle de montage, elle restait dans le film, étrangement funèbre et solaire à la fois. Le public découvrait pour la première fois son timbre de voix si particulier et son phrasé qui l’était encore plus et qui n’appartenait qu’à elle. Comme si le sens de la parole chez l’actrice avait une once de retard sur les autres et allait à une lenteur mécanique aux intonations justes mais absentes de l’action.
Hélas pour Irène, non seulement « sa » séquence forte était coupée mais Emmanuelle Riva profita du film pour livrer au monde une interprétation aussi bouleversante que saisissante qui restera à jamais dans les anales du septième art. « Léon Morin, Prêtre » fit d’elle une actrice de premier plan et dans le film elle éclipsa tout, à commencer par Belmondo soi-même.
Reste une séquence sublime où Irène et Emmanuelle sont collègues de bureau. Irène tente de dominer Emmanuelle. Celle-ci lui colle une gifle magistrale et a le temps de faire volte face et de quitter la pièce en prenant ses affaires avant qu’Irène ne porte la main à la joue et dise « Ca a claqué! » de son ton à la lenteur inimitable et…parfaite.
Dès lors Irène Tunc prendra du galon et tournera pour Lelouch, le Chanois, Truffaut, Resnais, Robert Enrico et bien sûr Alain Cavalier qui lui offre le rôle principal de « Mise à Sac ». Irène espère bien qu’il lui confiera encore le rôle de son prochain film « La Chamade ». Mais mademoiselle Catherine Deneuve est évidemment plus commerciale. Irène se contentera dans le film, superbement habillée, de se faire piquer son amant, le belge Roger Van Hool par Catherine.
A tout prendre, les choses vont plutôt bien pour le couple Cavalier. Les films du réalisateur fonctionnent et la cote de l’actrice grimpe.
Tout va hélas s’arrêter de la manière la plus brutale qui soit. Le 16 Janvier 1972, Irène, toujours pressée, s’engouffre dans sa mini Cooper rouge, flanquée de son inséparable basset artésien qu’elle adore. Elle se tue sur la route de Versailles quelques minutes plus tard.
Irène Tunc n’avait que 36 ans.
Alain Cavalier fut complètement anéanti par la mort d’Irène Tunc et vivra le reste de sa vie dans le souvenir obsédant de son amour disparu, l’adorant et la haïssant d’être morte. Il finira par faire de son obsession morbide un film: « Irène » sorti confidentiellement en 2009.
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1954: Operazione Notte: Avec Corinne Calvet
1955: Vous Pigez?: Avec Eddie Constantine et Roger Hanin.
1956: Les Truands: Avec Eddie Constantine, Noël-Noël et Junie Astor.
1956: Si Paris nous était Conté: Elle est la comtesse de Mazalet
1956: Camilla: Avec Luciana Angiolillo et Gabriele Ferzetti
1957: Vacances Explosives: Avec Arletty, Ginette Pigeon et Marthe Mercadier.
1957: Une Parisienne: Avec Brigitte Bardot et Henri Vidal
1958: Afrodite, dea dell’amore: Avec Isabelle Corey et Anthony Steffen
1959: Katia: Avec Romy Schneider et Curd Jurgens
1960: Il Conquistadore Dell’Oriente: Avec Gianna Maria Canale.
1960: Noi Siamo Due Evasi: Avec Magali Noël et Ugo Tognazzi
1960: La Contessa Azzurra: Avec Zsa-Zsa Gabor et Amedeo Nazzari.
1960: Il Genitori in Blue Jeans: Avec Sylva Koscina, Scilla Gabel et Ugo Tognazzi
1961: Léon Morin Prêtre: Avec Jean-Paul Belmondo et Emmanuelle Riva
1963: Dragées au Poivre: Avec Guy Bedos, Sophie Daumier, Valérie Lagrange, Alexandra Stewart et Elizabeth Wiener
1966: Le Jardiner d’Argenteuil: Avec Jean Gabin et Curd Jurgens
1967: Les Aventuriers: Avec Johanna Shimkus, Alain Delon et Lino Ventura
1967: Mise à Sac: Avec Daniel Ivernel, Michel Constantin et Franco Interlenghi
1967: Vivre pour Vivre: Avec Yves Montand
1968: La Chamade: Avec Roger Van Hool, Michel Piccoli et Catherine Deneuve
1968: Je t’aime, Je t’aime: Avec Olga Georges Picot et Claude Rich
1971: Les Deux Anglaises et le Continent: Avec Jean-Pierre Léaud