« C’est la plus grande chanteuse au monde parmi toutes les chanteuses qui n’ont pas de voix ». Ainsi parlait Ella Fitzgerald d’Hildegard Knef. Elle ne mentait pas. Souvent comparée vocalement du moins à sa grande amie Marlène Dietrich, on avait inventé pour Hildegard le terme de « voix fumée ». C’était assez juste.
23 albums et 230 chansons dont 130 écrites par ses soins. Une passion pour les notes et les mots nées de sa passion-liaison avec Boris Vian.
Mais nous, francophones ignorons tout de la carrière chantée d’Hildegard Knef, ne savons que peu de choses de sa carrière d’actrice, si ce n’est qu’elle échappe de justesse à la cuisinière du Landru de Chabrol. Et puis surtout nous ne savons rien de cette vie de femme dont le parcours vaut bien la plupart des scénarii que le cinéma nous a donné à voir.
Hildegarde Frieda Albertine Knef naît à Ulm dans le sud de l’Allemagne, le 28 décembre 1925. Son père Theodor Knef est un ancien militaire de la grande guerre, il est rentré du font décoré d’une syphilis qui le ronge et qui l’emportera alors que Hildegard n’a que six mois.
Sa mère plie bagage et gagne Berlin où elle trouve à s’engager en usine.
Toute bambine, Hildegard rêve de cinéma. C’est l’âge d’or de l’impressionnisme allemand qui a de quoi frapper les imaginations. A 14 ans elle tente l’examens d’entrée à l’école de cinéma de Babelsberg, le royaume de la toute puissante UFA.
Nous sommes en 1940 lorsque Goebbels en personne s’intéresse à cette juvénile créature et l’invite officiellement à un entretient pour « parler de sa future carrière ». Trop jeune pour avoir la moindre conscience politique, Hildegard se sent bénie des dieux. Mais son entourage la persuade d’éluder aussi diplomatiquement que possible la prestigieuse invitation du ministre chéri d’Hitler, le ministre de la propagande que la jeune étourdie traduit en « chef de la publicité ».
Hildegarde n’est pas idiote. Elle sait bien qu’il y a la guerre. Mais elle est allemande, fille de soldat allemand, comme le reste de la nation, elle est lobotomisée à force de discours et de propagande. Lorsqu’elle tourne ses premiers films, c’est au son des fanfares du troisième Reich et c’est normal. C’est normal que d’être une Allemande en Allemagne. Alors, lorsqu’elle tombe amoureuse, follement, éperdument, c’est d’un nazi. C’est normal. L’Allemagne est nazie.
A la défaite de 1945, c’est la prise de Berlin par les alliés. Son amant Erwald von Demandowsky était chef de production cinématographique à Babelsberg. C’est lui qui autorisait les tournages et les refusait aux scénarii insuffisamment pro-nazis. Il prend la fuite. Hildegard, éperdue d’amour s’habille en homme pour le suivre. Ne voulant pas lui faire courir un tel risque, Erwald von Demandowsky préfère se rendre. Il est emprisonné puis libéré. Mais en 1946, les forces d’occupation soviétiques l’arrêtent à nouveau et le passent par les armes pour crime de propagande de guerre fasciste. Il est fusillé le 7 octobre 1946.
Erwald von Demandowsky a eu le temps de mettre Hildegard à l’abri et l’a recommandée à un directeur de théâtre de ses amis qui prendra soin d’elle. Il la dirigera dans des adaptations de Shakespeare comme de Marcel Pagnol.
Il semble que la version selon laquelle le couple ait été arrêté et emprisonné en Pologne et qu’Hildegarde se soit évadée pour retourner à Berlin soit quelque peu exagérée. Même si Erwald von Demandowsky a effectivement transité par une prison polonaise après s’être rendu, il était rentré libre à Berlin.
Dans le tumulte qui succède à la guerre dans une Allemagne en ruines, morcelée, occupée et privée de tout, les premiers films ressortent et on se fiche bien de savoir s’ils ont été tournés avant ou après la déculottée hitlérienne.
Le public découvre, émerveillé, la jeune Hildegard Knef. Et il y a de quoi être ébloui même si dans son désespoir il se serait émerveillé d’un pot de chambre pourvu que l’on y fiche une pâquerette.
En 1946, la jeune Allemande naïve que l’on voit encore sur les écrans n’existe plus. Elle a fait place à une comédienne aguerrie que les tragédies de la vie ont exagérément mûrie. Et surtout, elle a gagné une conscience politique qui la dévaste. Elle est Allemande. Elle est née elle a vécu et elle a aimé dans cette Allemagne qu’elle a aimée. L’Allemagne de la haine, de la honte, de la mort.
Elle tournera le premier film d’après-guerre. Un premier pamphlet d’une grande violence contre l’Allemagne nazie : « Les Assassins sont parmi nous ». Le premier film à parler ouvertement des déportations. Hildegard est la première actrice, allemande de surcroît à interpréter à l’écran le rôle d’une déportée. Le choc est rude. Elle n’en a pas fini d’assaisonner le public Allemand. Dès son film suivant elle tourne nue. Le scandale est colossal. Elle ne se démonte pas : « L’image de mes fesses vous scandalise ? C’est curieux, On ne vous a pas entendus hurler autant votre indignation devant les photos des camps de la mort ! ».
En 1947 elle épouse un américain d’origine allemande : Kurt Hirsch qui est alors officier de liaison et d’information dans l’Allemagne encore occupée. Ils divorceront en 1952.
En 1950 le scandale de la scène de nu perdure et le pape s’en mêle. Hildegard s’en tamponne comme de son premier peigne. Se fichant comme d’une guigne de tout ce tapage qui n’est pas étranger à sa célébrité, Hildegard enchaîne les tournages et en 1948 elle est sacrée meilleure actrice au festival de Locarno. La France la sollicite. Elle enchaîne les tournages et les rôles de filles de joie fatales et désabusées. Elle semble abonnée aux rôles calqués sur ceux de Marlène Dietrich. Elle endossera même à son tour les atours de Catherine de Russie. Elle ne s’en offusque pas. Elle est une actrice de cinéma, elle tourne des films, quoi de plus normal ?
En 1951, elle répond aux sirènes Hollywoodiennes. Son film rebaptisé « La Pécheresse » n’est toujours pas distribué en Amérique. La censure s’affole à l’idée de cette auguste paire de fesses gambadant librement sur les prudes écrans américains. Et ce, même si Hedy Lamarr a créé un fâcheux précédent. Finalement la scène sera coupée.
Hildegard arrive avec Oskar Werner pour « Decision Before Dawn ». Un film qu’ils tourneront en partie en Autriche ce qui fera repartir Oskar Werner dès le lendemain de son arrivée vers son lieu de départ ! On en profitera pour faire d’Hildegard Knef Hildegard Kneff et prétendre qu’elle est autrichienne plutôt qu’Allemande. L’actrice s’était instantanément faite remarquer par la Century Fox en refusant de devenir Gilda Christian. Le film est une réussite absolue et on crut longtemps qu’il raflerait l’Oscar du meilleur film jusqu’à ce qu’un tramway nommé désir passe par là.
Hildegard n’entend pas s’éterniser aux Etats-Unis. Prétextant une bougeotte qui alimente son jeu d’actrice elle déclare « A rester au même endroit à travailler avec les mêmes personnes, on devient comme du vieux pain rassis. Dès que je termine mon film avec Linda Darnell et Tyrone Power je rentre chez moi ». Linda Darnell sera remplacée au dernier moment par Patricia Neal. Une habitude qu’avait prise la Fox. En réalité, sa carrière américaine sera souvent entachée par des remugles de presse à scandale concernant ses amours nazies, ses films tournés sous le troisième Reich et quelques autres aide-mémoires du genre.
Elle reviendra pourtant régulièrement et donnera un de ses ultimes baroud d’honneur sous la direction de Billy Wilder en personne.
Au milieu des années 60, un peu comme toutes les grandes vedettes de sa génération, Hildegard voit sa carrière ralentir. Le monde change et sa collaboration avec Chabrol ne lui ouvre pas les portes de la nouvelle vague française. Le cinéma allemand n’est plus que l’ombre de lui-même et les grands studios américains boivent la tasse. La Century Fox avec qui Hildegard était sous contrat à raison d’un film par ans lutte pour survivre, Bientôt la MGM soi-même liquidera ses avoirs et fermera ses augustes portes.
Hildegard fait donc de la télévision, faute de mieux. Mais surtout elle se lance, enfin, dans la chanson. Son second mari, David Anthony Palastanga qu’elle épouse le 30 juin 1962 est producteur de disques et c’est lui qui l’incite à se lancer enfin dans cette carrière qui la taraude depuis si longtemps. Le couple aura une fille : Christina. C’est pour elle qu’Hildegard commencera à écrire. Une autre passion qui ne la quittera plus. Les souvenirs qu’elle voulait raconter à sa fille finiront en Best seller.
Une réussite peut-être plus aboutie encore que sa carrière cinématographique. Elle tiendra l’affiche à Broadway avec « Silk Stocking » de Cole Porter près de 700 représentations. Et là encore l’usage sera de la comparer à l’incontournable Marlène. Ces deux-là s’entendent comme larronnes en foire et ne songent pas à s’en offusquer. Marlène a déjà suffisamment de bêtes noires à étriller sans s’en prendre à ses chères compatriotes à qui elle passe tout.
Mais le destin va frapper de plein fouet. Hildegard Knef est diagnostiquée souffrant d’un cancer du sein. Elle refuse ce qu’elle appellera dans son livre « le verdict » et entame une longue lutte contre la maladie dont elle ne laisse rien ignorer à son public. Hildegard Knef subira près de 70 opérations sans jamais réussir à triompher totalement du mal qui la ronge. La lutte est trop dure, Hildegard résiste mais sombre peu à peu dans le mal être, la drogue et l’alcool. La cigarette avait déjà fragilisé cette fumeuse invétérée.
Ce sont des années de dérive qui ne disent pas leur nom. Souvent contrainte à la perruque à cause de ses traitements, l’actrice se fait l’égérie de la chirurgie esthétique et ne se montre qu’affublée d’invraisemblables faux-cils qu’elle semble acheter au poids.
Hildegard se révèle une lutteuse acharnée avec l’énergie qui dépasse celle du désespoir. Elle veut, elle doit rester active. Active pour vivre, vivre pour survivre.
Le 1 Février 2002 elle perd tous ses combats et laisse inachevé le téléfilm qu’elle tournait pour la télévision allemande. Divorcée de David Anthony Palastanga, elle avait auprès d’elle à l’heure de son décès sa fille et son troisième mari Paul von Schell. Elle avait 76 ans depuis un mois. Et, ultime victoire sans doute, ce n’est pas le cancer contre lequel elle avait tant lutté qui l’emporte mais une infection pulmonaire.
Celine Colassin
QUE VOIR ?
1945 : Die Brüder Noltenius : Avec Hilde Weissner et Karl Mathias
1946 : Die Mörder sind unter uns : Avec Elly Burgmer
1948 : Film ohne Titel : vec Irène von Meyendorff
1951 : Es geschehen noch Wunder : Avec Willy Forst
1951 : Decision Before Dawn : Avec Gary Merrill et Oskar Werner
1952 : The Snows of Kilimandjaro : Avec Gregory Peck
1952 : Nachts auf den Straßen : Avec Hans Albers et Lucie Mannheim
1952 : Diplomatic Courier : Avec Patricia Neal et Tyrone Power
1952 : Night Without Sleep : Avec Linda Darnell et Garry Merrill
1952 : La fête à Henriette : Avec Dany Robin et Michel Auclair
1952 : Illusion in Mol : Avec Hardy Krüger
1953 : The Man Between : Avec Claire Bloom et James Mason
1954 : Eine Liebesgeschichte : Avec O.W. Fischer
1954 : Svengali : Avec Terrence Morgan
1958 : La fille de Hambourg : Avec Daniel Gélin
1958 : Madeleine und der Legionär : Avec Bernhard Wicki
1959 : Subway in the Sky : Avec Van Johnson
1962 : Lulu : Avec Nadja Tiller
1963 : Caterina di Russia : Avec Sergio Fantoni
1963 : Landru : Avec Charles Denner
1963 : Ballade pour un voyou : Avec Laurent Terzieff et Philippe Noiret
1963 : Das Große Liebesspiel : Avec Lilli Palmer et Daliah Lavi
1964 : Wartezimmer zum Jenseits : Avec Götz George et Klaus Kinski
1964 : Gibraltar : Avec Gérard Barray et Geneviève Grad
1968 : The Lost Continent : Avec Eric Porter et Suzanna Leigh
1976 : Jeder stirbt für sich allein : Avec Carl Raddatz et Brigitte Mira
1978 : Fedora : Avec Marthe Keller
1980 : Warum die UFOs unseren Salat klauen : Avec Thomas Piper et Curd Jürgens
1988 : La casa 4 : Avec Linda Blair et David Hasselhoff
1999 : Eine fast perfekte Hochzeit : Avec Elfi Eschke