Les cinéphiles du monde entier se souviennent d’Hedda Hopper comme d’une redoutable commère dont les potins tétanisaient d’effroi tout le gotha Hollywoodien. C’est que les persiflages écrits ou radiodiffusés de la dame étaient aussi bien informés que malveillants et pouvaient menacer les réputations les plus solides et les mieux établies. Mais cette fille de boucher allemand et frère baptiste convaincu fut d’abord et avant tout une actrice. Une actrice ratée qui puisait probablement le fiel de ses rubriques dans l’amertume d’une carrière échouée.
Miss Hopper la redoutée naît le 2 Mai 1885 à Holliday burg en Pennsylvanie sous le patronyme d’Helda Furry. La famille Furry aura sept enfants et s’installera à Altoona d’où la jeune Helda s’enfuira, encore adolescente pour s’en aller tenter sa chance à Broadway. Malgré un ou deux succès sur les planches, la nouvelle venue ne convainc que peu les producteurs, qu’elle joue, chante ou danse.
Elle épouse un acteur qui a la chance d’être plus célèbre qu’elle, William Dewolf Hopper, un mètre 96 sous la toise. En 1915, Hedda met au monde William Dewolf Hopper jr. William Dewolf Hopper est nettement plus âge que son épouse, il est né le 30 Mars 1858, ce qui fait de lui un heureux jeune père de 58 ans à la naissance de son fils.
Devenue Hedda Hopper, la jeune mère fera ses débuts au cinéma dès l’année suivante, en 1916, où ses prestations ne sont guère il faut bien le dire plus remarquées. Bien que ces premiers films soient muets, Hedda Hopper se spécialise déjà dans les personnages de mondaines persiflantes et en 1922 elle choisit de divorcer de son vénérable mais non moins célèbre mari, ne gardant de son mariage qu’un nom de scène et bien entendu son fils, la prunelle de ses yeux. Souvent hélas, ses apparitions se font à l’ombre des plus somptueuses créatures de l’écran dont Constance Bennett, Joan Crawford, Norma Thalmadge ou Greta Garbo à côté de qui elle n’a aucune chance de briller.
Hedda Hopper s’acharnera pourtant près d’un demi siècle pour devenir une étoile qui compte. Toujours en vain malgré une liste particulièrement longue de films à son actif…Plus de 120!
Bien qu’elle soit divorcée et qu’il soit remarié de son côté, Hedda Hopper n’en a pas fini d’entendre parler de son mari. Issu d’une solide famille d’avocats réputés, il rêvait de grands rôles dramatiques mais sa taille rocambolesque l’en a privé. Imagine-on un Hamlet ou un Roméo de deux mètres? Il s’agit d’escalader le balcon de la belle italienne, pas de se pencher dessus. William Dewolf Hopper fera une carrière prestigieuse mais dans l’emploi résolument comique, portant même quelques chansons « polissonnes » au triomphe. Mais si sa carrière est prestigieuse, il aura mené plus de 30 productions à Broadway au succès, l’homme est malgré tout frustré des rôles qu’il n’ a pas tenu. Le titre de son autobiographie est assez révélateur: « Clown un jour, clown pour toujours »
S’il se rappelle au bon souvenir d’Hedda, c’est que leur fils William Jr est devenu un jeune homme à la beauté absolument époustouflante. Il est peut-être bien un des plus beaux spécimens humains mâles de son temps. Et chose non négligeable, cette beauté divine se double d’une distinction racée et d’une élégance parfaite héritées de son père. Hedda ne pouvait qu’inciter son fils sublime à suivre les traces parentales et Paramount se fit un plaisir d’offrir au jeune homme un contrat en or.
Mais à cette heure là, William Dewolf Hopper premier du nom sombre dans la folie complète. Son aliénation mentale se sait, Hedda et son fils craignent que la folie du père n’entache leur propre carrière et a fortiori celle du rejeton. Il aura la prudence de quitter Paramount pour First Republic et de perdre en chemin la moitié de son patronyme, devenant tout simplement William Hopper!
En 1937, la carrière d’Hedda est en complète capilotade, à un point tel qu’il devient urgent pour l’actrice de se trouver une nouvelle source de revenus. First Republic va mettre en chantier un film uniquement destiné à faire de son fils une star et peut-être est-ce là la fin de leurs difficultés. Malheureusement, la petite starlette louée à vil prix chez Warner pour épouser le beau William à l’écran va en profiter pour se faire remarquer et devenir Jane Wyman! Tout ce que le beau William aura gagné dans l’aventure c’est l’opportunité de quitter Republic pour Warner sur la recommandation de miss Wyman.
Hedda de son côté se voit offir la rubrique cinématographiquement mondaine dans le Los Angeles Times et en quelques semaines ses révélations scabreuses sur la vie privée des stars les plus en vue font exploser les ventes du journal. Tous les matins, acteurs et actrices se jettent sur sa rubrique, terrorisés à l’idée d’être la nouvelle cible de la redoutable Hedda. Ayant commencé sa rubrique de méfaits épistolaires en 1938, elle est déjà si célèbre l’année suivante qu’on l’aperçoit dans « the Women » de Georges Cukor, surgissant d’un night club et clamant scandalisée »Il n’y a rien pour moi ici, les gens se tiennent trop bien, ce soir! »
C’est elle qui dévoilera la relation extra conjugale de Spencer Tracy avec Katharine Hepburn, lequel Tracy la remerciera d’un légendaire coup de pied au cul qui enverra la potinière valser au milieu du parquet avec son carnet de notes lors d’une réception. Redoutée comme la peste, tout Hollywood la courtise. Parce qu’elle affectionne les chapeaux spectaculaires, elle en reçoit des dizaines par jour en cadeau, sa maison en est remplie. Elle sera la première à dévoiler l’homosexualité des stars, chose alors jalousement respectée des studios et de la presse. Nombreux furent ceux qui l’attaquèrent en diffamation, mais la roublarde était bien informée et seul Michael Wilding aura gain de cause. Cary Grant sortira indemne de ses attaques aux yeux du public. Mais un acteur comme Rex Harrison s’est vu menacé de rupture instantanée de contrat simplement parce qu’il avait affirmé ne pas souhaiter la recevoir. La vengeresse le rebaptisa « Sexy Rexy » dans sa rubrique jusqu’à ce que l’acteur se traine à ses pieds. Cette dénomination ridiculisait l’acteur jouant la carte de la distinction british.
Dans la foulée, tous les journaux s’offrirent le services d’une commère attitrée. Une guerre ouverte se déclara entre Hedda aux chapeaux tumultueux et Louella Parsons qui l’avait pourtant précédée dans le métier et même quelque peu aidée à ses débuts.
La guerre fit rage, les stars tremblèrent, la presse people naquit.
Ces dames avaient leurs têtes, Hedda s’en prit sans relâche à Charlie Chaplin à qui elle valut tous ses ennuis avec le gouvernement Américain. Et si elle s’enticha curieusement d’une petite débutante nommée Marilyn Monroe, elle se déchaîna contre la pauvre Deanna Durbin, contre Alice Faye, cible favorite de ces dames, ou encore Joan Fontaine, Randolph Scott, Rex Harrison ou Paul Newman. Elle avait malgré tout quelques relations prudentes qui appréciaient sa compagnie, tels Lucille Ball, Gloria Swanson ou Anthony Perkins. Elle aura également la grande sagesse de ne jamais vanter les talents très relatifs de son fils acteur qui délasserait bientôt sa carrière pour vendre des voitures d’occasion.
Lorsque son fil passait des castings, avant de partir il glapissait « Vous ne me donnerez pas ce rôle parce que vous détestez ma mère! » Un jour qu’il auditionne devant Gail Patrick pour un rôle dans Perry Mason et qu’il lui joue sa petite scène habituelle, elle lui répond d’un calme olympien « Oui c’est vrai, je déteste votre mère pour ce qu’elle représente mais vous, je vous ai trouvé très bien »
Hedda devint si célèbre avec ses chapeaux tapageurs qu’elle revint à l’écran pour y interpréter son propre personnage. C’est ainsi qu’on peut la retrouver dans « the Women » mais aussi »Sunset Boulevard » de Billy Wilder, s’interprétant elle-même. Hedda ne reçut pas que des chapeaux par la poste, ses victimes lui firent également parvenir des mygales, des vipères, des scorpions ou des putois, ce qui ne faisait que donner plus de crédit et de prestige à ses rubriques assassines. La mygale de Paul Newman l’impressionna tout particulièrement et Hedda porta plainte pour tentative d’homicide! Après examens de l’objet du litige, il s’avéra que cette variété de mygale était en effet dangereuse. Newman se répandit en excuses, argumentant de son inexpérience arachnéenne.
Ne craignant rien ni personne à part les araignées, Hedda Hopper sévit jusqu’à sa mort, clamant haut et fort son mépris pour l’homosexualité et les aventures extra-conjugales. Elle aura l’excellente surprise quoi qu’un peu tardive d’avoir vu son fils se conduire en héros à la guerre. Puis, le temps des tempes grises venu mais toujours aussi beau il reprendra contre toute attente sa carrière d’acteur, se prenant enfin au jeu et faisant même partie de la distribution de » La Fureur de Vivre ». Il finira bien connu des fans de Perry Mason. Gail Patrick lui avait en effet donné le rôle « malgré sa mère ».
Hedda Hopper s’éteignit à l’âge vénérable de 80 ans, emportée par une double pneumonie malgré sa plume restée alerte.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1918: The Trailor Beloved
1918: By Right of Purchase: Avec Norma Thalmadge
1918: Virtuous Wives: Avec Anita Stewart
1919: The Isle Of Conquest
1921: Fatuité
1923: Reno
1924: Miami
1924: Another SCandal: Avec Loïs Wilson
1925: Dangerous Innocence
1926: Dance Madness
1926: Le Trésor en Argent
1927: Vénus de Venise
1927: Adam et le Diable
1927: Dressing Français
1927: Children of Divorce: Avec Clara Bow, Esther Ralston et Gary Cooper
1928: The Kid Chorus
1929: Girls Gone Wild
1929: A Song of Kentucky
1929: The Rackeeter: Avec Carole Lombard et Robert Armstrong.
1929: His Glorious Night: Avec John Gilbert et Nance O’Neil
1929: The Last of Mrs. Cheyney: Avec Norma Shearer et Basil Rathbone
1930: Let Us Be Gay: Avec Norma Shearer, Marie Dressler et Rod La Roque
1930: Our Blushing Brides: Avec Joan Crawford et Anita Page
1930: Holiday: Avec Ann Harding et Mary Astor
1930: War Nurse: Avec Anita Page, Robert Montgomery et Marie Prevost.
1931: Men Call It Love
1931: Rebound
1931: The Common Law: Avec Constance Bennett et Joel MacCrea.
1931: Speak Easy: Avec Thelma Todd, Jimmy Durante et Buster Keaton
1932: L’Homme qui Jouait à être Dieu: Avec Bette Davis
1932: Downstairs: Avec Virginia Bruce et John Gilbert
1932: Nuit Mondiale: Avec Boris Karloff
1932: Skyscraper Soul: Avec Maureen O’Sullivan, Anita Page et Warren Williams
1932: Comme tu me Veux: Avec Greta Garbo
1932: The Unrwitten Law
1934: Bombay Mail
1935: Lady Tubbs
1935: Ship Cafe
1936: Bunker Bean: Avec Louise Latimer et Lucille Ball
1937: You Can’t buy Lucky
1937 Nothing Sacred: Avec Carole Lombard et Fredric March
1937: Artists & Models: Avec Ida Lupino et Jack Benny
1938: Maid’s Night Out: Avec Joan Fontaine et Allan Lane
1938:Dangerous to Know: Avec Gail Patrick et Anna May Wong
1939: Midnight: Avec Claudette Colbert
1939: The Women: Avec Joan Crawford et Norma Shearer
1940: Cross-Country Romance: Avec Wendy Barrie et Gene Raymond
1942: Reap the Wild Wind: Avec Paulette Goddard, Susan Hayward, John Wayne et Ray Milland
1950 Sunset Boulevard:Avec Gloria Swanson
1966: L’Oscar: Avec Elke Sommers, Eleanor Parker et Stephen Boyd