On n’a pas fini de parler du concours de « Miss Italie » 1947 et c’est fort bien ainsi.
Recalée, Silvana Mangano voit triompher Lucia Borloni, future Lucia Bose, ornée de sa première dauphine Gianna Maria Canale et de sa seconde dauphine Gina Lollobrigida.
Cinq ans plus tard, aucun producteur au monde ne sera plus assez riche pour réunir un tel casting ! Gianna Maria Canale, la première dauphine qui nous intéresse aujourd’hui est née en Calabre le 12 Septembre 1927. Jeune adolescente durant la guerre elle est à la fin des hostilités une très belle jeune femme avide enfin de vivre sans peur et sans honte. Elle fait partie de toute une génération assoiffée de vivre après les horreurs d’une guerre meurtrière et perdue. Sur le terreau d’une Italie en sang et en cendres Gina Lollobrigida, Sophia Loren et toutes les déesses de la décennie future se battent pour vivre après s’être battues pour simplement survivre.
Et Gianna, comme tant d’autres rêve à cette nouvelle gloire qui semble à portée de beauté, la gloire des fumetti, la gloire du cinéma.
Elle a été élue miss Calabre, c’est à ce titre qu’elle doit sa participation au concours de Miss Italie, Gianna a vingt ans. Elle a vingt ans et une beauté sidérale qui se double d’une classe innée qui vaut largement celle des icônes de VOGUE ou de Harper’s Bazaar.
Bientôt on considérera qu’elle symbolise magnifiquement la beauté romaine bien plus que la beauté italienne entachée paraît-il d’une certaine paysannerie que n’ont pas les déesses de la capitale.
Et lorsque Gianna rétorque qu’elle est calabraise on croit à une blague et on lui demande de ne pas proférer de telles sottises !
Lorsque Lucia fut couronnée miss Italie, il y eut un véritable tollé dans la salle car Gianna avait déjà des fans éblouis qui crièrent à l’outrage de concert avec ceux que Gina avait fascinés. Et parmi les défenseurs les plus acharnés de Gianna se trouvait le cinéaste Riccardo Freda.
Freda, né en 1909 en Egypte est un des faiseurs les plus actifs du cinéma populaire italien. Scénariste, acteur, réalisateur, producteur, il est respecté dans toutes ces disciplines comme un des meilleurs et ne se souciera jamais de l’avis des intellectuels de tous bords. Pour lui un film n’est réussi que si la salle est pleine ! Il préférera toujours un péplum ou un film de vampires à un quelconque chef d’œuvre masturbatoire fut-il signé Antonioni.
Fasciné par « la belle au profil de médaille », il la prend sous son aile et fait d’elle sa muse et sa compagne malgré leurs dix-huit ans de différence d’âge.
« Je défie qui que ce soit de continuer à manger lorsque Gianna Maria Canale entre dans un restaurant » ainsi s’exprimait monsieur Freda, qui comme on le voit était également un excellent agent de publicité !
Ils tourneront treize films ensemble et ces treize films font l’essentiel de la carrière de Gianna.
Attention, lorsque je dis ceci, il ne faudrait pas croire que Gianna Maria Canale ait été une actrice chichiteuse ne daignant sortir de son lit en or qu’une dizaine de fois dans toute sa vie! Elle sera une actrice très prolifique et tout aussi populaire malgré cette beauté que l’on qualifiera souvent de « glaciale » ou « hautaine ». Elle va durant toute une décennie tourner des films très importants au rythme d’un film environ tous les trois mois!
Ce que je veux dire c’est que la sublime Gianna Maria, façonnée par Freda comme une sorte d’Hedy Lamarr italienne fera pour les autres réalisateurs qui feront appel à ses services, le travail que son mentor lui a montré et appris. Elle ne s’aventurera jamais sur les pentes savonneuses du film d’auteur ou de grand génie. Elle n’est pas une actrice « d’art et d’essai » Gianna Maria paraît dans les grandes épopées bibliques ou péplumesques en technicolor, dans de tristes mélos intimistes où elle est belle est courageuse en noir et blanc et ne déteste pas s’afficher avec quelques vampires ou quelques espions. Peut-être ferons nous exception pour son rôle de bourgeoise assoiffée de mondanités au point que son mari doive vendre un œil pour couvrir ses « menus frais » dans « Il Boom ». Rôle que lui offre Vittorio de Sica.
Si on ne la retrouve pas chez Fellini ou Godard, on la retrouve dans « Madame du Barry » de Christian Jacque ou dans Napoléon de Guitry. Elle est et entend rester une actrice de prestige dans des films qui feront courir le public et ne dérogera jamais à cette règle. Qu’elle tourne pour le cinéma italien, français, allemand ou américain et dans des rôles de grandes dames ou de beautés fatales uniquement. Ce n’est certes pas un hasard si elle sera la reine des amazones…deux fois!
Gianna Maria Canale avait déjà tourné pour le cinéma avant le concours de « Miss Italie ». Elle apparaissait dans « L’Aigle Noir » dont les vedettes étaient Rossano Brazzi et Irasema Dilian, mais Freda préférera toujours clamer l’avoir découverte. Ceci explique que bon nombre de filmographies de la belle Gianna débutent avec son film suivant: » Guaramy » où Freda la dirige personnellement face à Antonio Villar et Mariella Lotti.
Après quelques films de « mise en bouche », histoire de lui apprendre son métier et ne pas afficher une réussite trop insolente, Freda fait de Gianna Maria Canale une tête d’affiche dès 1950 et elle le restera toute la décennie.
En 1954 elle est reçue par la reine d’Angleterre à l’égale de Sophia Loren, Gina Lollobrigida et Eleonora Rossi Drago!
L’actrice est installée par les bons soins de son mentor dans une des plus somptueuses villas de la Via Cassia, le Sunset Boulevard romain à deux pas de Cinecitta et elle ne la quittera qu’au début des années 60, lorsqu’ayant repris sa liberté professionnelle et sentimentale elle s’installe dans un vaste appartement via Babuino en plein centre historique de Rome. Un cadre qui sied mieux à sa collection d’antiquités rares, son péché mignon avec les collections Dior et Chanel!
Ainsi, lorsque Gianna Maria reçoit quelques privilégiés, elle ouvre la porte diorisée de la tête aux pieds, elle vous fait passer devant son fauteuil Louis XIII, « un des trois qui existent encore au monde » et qui voisine avec un buffet « offert par Marie Antoinette à son ambassadeur à Rome ». On passe ensuite à la salle à manger en « Vénitien XVIIème » où pour casser la croûte vous pouvez faire face à « ses deux petits Breughel l’ancien » qu’elle adore » ou à sa collection d’assiettes du service de campagne de madame de Pompadour ».
En 1964, Gianna termine en grande vedette le tournage du « Pont des Soupirs » et s’enferme parmi ses antiquités rares, faisant de son appartement romain sa tour d’ivoire. Sans même se fendre d’une déclaration elle se retire définitivement de la vie publique.
Elle sera une des rares véritables retirées en pleine gloire du cinéma. Gianna Maria Canale ne fut pas de ces stars retirées des affaires qui se forgèrent une silhouette reconnaissable entre mille et hantant les rues et les aéroports 24 h sur 24 se plaignant d’être repérées par des importuns.
Elle ne dérogera jamais à sa règle de l’ombre et du silence jusqu’à sa fin forcément discrète le 13 Février 2009 dans le petit village de Sutri.
Celine Colassin
QUE VOIR ?
1946 : L’Aigle Noir : Avec Rossano Brazzi et Irasema Dilian
1948 Guaramy : Avec Antonio Villar et Mariella Lotti
1948 : Le Chevalier Mystérieux : Avec Maria Mercader ; Yvonne Sanson et Vittorio Gassman
1949 : Il bacio di una morta : Avec Virginia Belmont
1950: Le Fils de d’Artagnan: Avec Carlo Ninchi
1951: Le Passé d’une Mère: Avec Renato Baldini
1951 : La Vendetta di Aquila Nero : Avec Rossano Brazzi
1951: Go for Broke : Avec Van Johnson
1953: Le Secret de la Casbah (The Man from Cairo): Avec George Raft et Irène Papas
1953: Alerte au Sud: Avec Jean-Claude Pascal et Erich von Stroheim
1953: Spartacus: Avec Massimo Girotti et Ludmilla Tcherina
1954: Théodora, Impératrice de Byzance: Avec George Marchal et Irène Papas
1954: Madame du Barry: Avec Martine Carol et Daniel Ivernel
1955: Napoléon: de et avec Sacha Guitry, Gianna est Pauline Borghèse.
1955: La Châtelaine du Liban: Avec Jean-Claude Pascal et Jean Servais
1956: Les Vampires: Avec Carlo d’Angelo
1956: Sous le Signe de la Croix: Avec Jorge Mistral et Marisa Allasio
1958: La Révolte des Gladiateurs: Avec George Marchal et Ettore Manni
1958: Les Travaux d’Hercule: Avec Steve Reeves et Sylva Koscina
1958: L’Ennemi Silencieux: Avec Dawn Addams et Laurence Harvey
1958: The Whole Truth (Le Crime était Signé) Avec Stewart Granger et Donna Reed
1958: la Muraille de Feu: Avec Sylva Koscina et Francisco Rabal
1959: La Belle et le Corsaire: Avec Ingeborg Schöner et John Derek
1960: Le Conquérant de l’Ouest: Avec Rik Battaglia et Irène Tunc
1960: Les Nuits de Raspoutine: Avec Edmund Prudom et John Drew Barrymore
1960: La Reine des Pirates: Avec Massimo Serrato et Scilla Gabel
1960: La Reine des Amazones: Avec Rod Taylor, Dorian Gray et Daniela Rocca
1961: Maciste contre le Fantôme: Avec Leonora Ruffo, Gordon Scott et Jacques Sernas
1961: Le Secret de Monte Cristo: Avec Rory Calhoun
1961: La Bataille de Corinthe: Avec Jacques Sernas et John Drew Barrymore
1962: Le Chevalier de Pardaillan: Avec Gérard Barray
1963: Scaramouche: Avec Gérard Barray et Michèle Girardon
1963: le Lion de Saint Marc: Avec Gordon Scott
1963: Il Boom: Avec Alberto Sordi
1964: Il Treno del Sabato: Avec Claudio Gora et Georgia Moll
1964: Le Pont des Soupirs: Avec Brett Halsey et Jean Murat