La délicieuse Geneviève Kervine fut une « jeune première » de comédies populaires comme on n’en fait plus. Et comme diront certaines mauvaises langues, comme on n’aurait jamais dû en faire!
Geneviève est en effet un des ravissants minois de films sans prétention autre que de ramener la famille du dimanche au cinéma pour une partie de rigolade à la bonne franquette. Inutile de chercher dans la filmographie de Geneviève l’oeuvre d’un quelconque génie autoproclamé ou d’un partenaire à l’auguste talent forçant l’admiration des « cahiers du cinéma » ou des abonnés à la comédie française.
Geneviève c’est la partenaire gracieuse de Jean Richard, Jean Tissier, Luis Mariano, de Bourvil, de Fernand Raynaud ou de ses « grands copains » Roger Pierre et Jean-Marc Thibault. Et tant pis pour la nouvelle vague qui lui manifestera un mépris souverain. Geneviève a trouvé son bonheur et son public en tournant « Pas de souris dans le commerce », « L’auberge en folie », « Amour, autocar et boîtes de nuit », « Callaghan remet ça » ou « Soupe au lait »!
Geneviève Kervine naît sous le patronyme de Geneviève Marie Antoinette Kervingant le 27 juin 1931 à Dakar au Sénégal. Son père Maurice est médecin colonel de l’ armée française et a pour habitude d’emmener a famille au gré de ses affectations. Geneviève a deux sœurs: Jacqueline son aînée et Nicole sa cadette. Elle a aussi un frère: Gildas. Tout ce petit monde vivra tantôt au Congo, en Nouvelle Calédonie puis à Hanoï où on retrouve Geneviève petit rat à l’opéra. C’est en Indochine que le destin de la famille Kervingant va basculer. Basculer dans la guerre. Au printemps 1945 le Japon envahit l’Indochine. Le père est arrêté, sa famille mise en résidence surveillée. Ils regagneront Paris saints et saufs après la capitulation du Japon.
Étrangement, après être rentrée en France, Geneviève se détourne de la danse pour se diriger vers l’art dramatique. Elle suit avec beaucoup d’application les cours de Charles Dullin et ne tarde pas à débuter au théâtre.
Geneviève qui a aménagé son patronyme en « Kervine a plus d’un atout dans son jeu. Tout d’abord, commençons par là, elle est ravissante. Un vrai physique de pin-up qui fera les délices du photographe Sam Lévin dont elle est un des sujets préférés. Son apprentissage de danseuse lui donne une grâce que n’ont pas forcément d’autres nouvelles venues d’après-guerre.
Et puis Geneviève est non seulement ravissante mais son physique ne la cantonne pas à un type de personnages. Elle est parfaite en oie blanche débarquant de ses confins comme en vamp de casino. De Bécassine à Messaline elle pourrait tout tenter en étant crédible. Et puis elle a du talent, ce qui me paraît être quand même un certain atout pour une comédienne. Du talent et ce qui est nettement plus rare, le sens du comique. Dès 1949, Geneviève se fait un petit nom au théâtre. La critique la remarque pour la première fois dans « Phi-Phi » en 1949. Une opérette bien désuète aujourd’hui mais dans le marasme économique de la France de la fin des années 40 où on manque encore de tout et où les tickets d’alimentation continuent de sévir, « Phi-Phi », ça fait du bien.
Et puis, pour s’être baguenaudée à travers le monde dans la trousse de médecin de papa Geneviève raffole d’un chose que pas mal de comédien détestent: la vie de tournée! Chaque soir une ville, un public, un hôtel, un lit différent, ça ne plaît pas à tout le monde! Geneviève, elle, adore! Elle devient une fidèle des tournées en province où elle reprend des rôles créés à Paris par d’autres actrices. Geneviève devient une comédienne de « boulevard ». Genre typiquement français dont raffole la province. Genre où les portes claquent, les quiproquos s’enchaînent et où tout le monde ment en dépit de toute vraisemblance. Geneviève se sent comme un poisson dans l’eau dans le genre. Ses partenaires deviennent ses amis les plus chers et elle forme avec Jean Richard, Roger Pierre et Jean-Marc Thibault une bande d’inséparables joyeux farceurs à la ville et sur les planches.
C’est d’ailleurs grâce à eux qu’elle va faire ses vrais débuts au cinéma.
En 1949, Maurice Mesle, parton d’un petit cabaret fort peu couru avait engagé pour un mois le trio de fantaisistes Pierre Richard, Roger Pierre et Jean-Marc Thibault. L’Amiral, le cabaret en question est si peu à la mode que les trois joyeux compères, le spectacle terminé se dépêchent de venir à la rencontre du rare public. Officiellement pour recueillir leurs impressions, officieusement dans l’espoir de se faire raccompagner pour économiser un taxi et sauver ainsi le jambon-beurre du lendemain. Roger Pierre et Jean-Marc Thibault interprètent deux officiers de sa majesté le roi Louis XV aux mœurs plutôt équivoques et le rare public hurle de rire! Il hurle d’ailleurs si fort que quatre ans plus tard, l’Amiral est le cabaret le plus couru de Paris! On fait salle archi-comble tous les soirs! Salle qui a été agrandie pour doubler le nombre de places, ce qui reste très insuffisant. Brassens qui chante au cabaret voisin se faufile par les coulisse communicantes pour venir tous les soirs les applaudir. Bruno Coquatrix fait de même, il a sa table réservée au mois au premier rang! Le roi Farouk, la princesse Margaret, tout le gotha s’agglutine. Dehors il faut un service d’ordre fourni par la municipalité pour endiguer le flot des « recalés ».
Les spectacles de cabaret ont ceci de particulier qu’ils ne sont pas gravés dans le marbre et que chaque représentation peut être différente de la précédente, donc on revient, encore et encore, soir après soir. Le succès fulgurant du spectacle qui fera de Roger-Pierre et Jean-Marc Thibault des stars à vie du spectacle français va également déclencher le vedettariat de Geneviève Kervine. Le spectacle entame sa troisième année lorsque la jeune comédienne rejoint le joyeux trio à l’Amiral. A qui auraient-ils pu proposer de partager avec eux une loge d’un mètre cinquante sur deux mètres trente si ce n’est à leur copine Geneviève? Le réalisateur Jean Boyer fait lui aussi le siège des trois humoristes pour les convaincre d’accepter de tourner pour lui. Mais dès qu’il voit Geneviève entrer en scène (Je devrais dire « monter sur l’estrade ») il est subjugué et l’engage séance tenante pour rejoindre le plateau de son film en cours « Cent francs par seconde ». Estampille « jeune première de comédie », Geneviève va tourner avec tous les grands noms du genre et de l’époque.
Lorsqu’elle rejoint enfin ses joyeux comparses devant la caméra de Jean Boyer pour « Une vie de garçons », elle en est à son quatrième film et elle est une « nouvelle vedette ».
Avec ses cachets de l’Amiral, Jean Richard s’achète sa propriété d’Ermenonville où il créera son cirque Jean Richard. Geneviève assiste à la naissance du rêve de toute une vie et chaque dimanche, elle vient, comme le reste de l’équipe du film, s’y délasser avec son mari le comédien Alfred Pasquali de trente ans son aîné.
Le couple Pasquali évoque le couple que formaient avant guerre Danielle Darrieux et Henri Decoin. La ravissante jeune première avec le vétéran du spectacle. Mais dès l’année suivante, le couple va voler en éclats.
Geneviève se prépare à tourner » Ma petit folie » avec Jean Bretonnière qu’elle n’a jamais rencontré. Un comble! Ils ont tous leurs amis en commun. Alors évidemment tous leurs amis ont dit à Geneviève à quel point Bretonnière est un type formidable et à celui-ci, à quel point Geneviève est sensationnelle! Ce sera la douche froide généralisée! Bretonnière la trouva vraiment trop petite oie blanche et elle le trouva vraiment trop prétentieux! D’autant que Jean Bretonnière trouve à ses côtés son premier vrai rôle et qu’elle est déjà vedette!
A la fin du tournage ils seraient amoureux fous l’un de l’autre, l’amour d’une vie. Mariés chacun de leur côté, ils divorceront de leur conjoint respectif et songeront à légaliser leurs amours…treize ans plus tard! Le couple aura un petit garçon: le futur comédien Mac Bretonnière. Jean Bretonnière, comédien portant beau et avec élégance avait quelque chose qui empêchait qu’on le prenne tout à fait au sérieux. Un peu comme Frank Villard qui n’est jamais aussi parait que lorsqu’il est le dindon de la farce. Mari trompé, notaire grugé, il est l’amant qui voit repartir ses conquêtes vers leur légitime à la fin de la pièce ou du film! Son rôle le plus mémorable sera peut-être celui du chanteur dont Brigitte Bardot s’entiche dans « Cette sacré gamine ». Le film est à la fois loin d’être un chef d’oeuvre du septième art et plus loin encore de devoir sa modeste postérité à Jean Bretonnière!
Geneviève Kervine et Jean Bretonnière tourneront six films ensemble Aucun ne mérite vraiment que l’on s’y intéresse pour une raison autre que d’y retrouver ce charmant couple. Mais c’est assez dire leur popularité. En 1956, Geneviève trouve enfin avec » Parce que je t’aime », un rôle qui la sortira du carcan « jeune première », un rôle de garce entre Charles Vanel et Fernand Gravey. Malheureusement pour elle, faute de capitaux suffisants, le film reste inachevé. Elle se consolera la même année en recevant le très prestigieux prix Suzanne Bianchetti.
Si Geneviève reste une vedette de cinéma jusqu’en 1962, la carrière de Jean Bretonnière est moins éclatante. C’est que voyez-vous, il n’aime rien tant que de s’occuper de son camping! L’été venu, il est hors de question d’en confier la gestion et l’animation à qui que ce soit d’autre! En bref il est indisponible de la fin mai au début octobre!
En 1962, la nouvelle vague et avec elle toute une presse pseudo intellectuelle a voué aux gémonies le cinéma populaire français et la télévision confisque de plus en plus le public des familles qui restent rivées devant Catherine Langeais le dimanche soir plutôt que d’aller voir Annette Poivre et Raymond Buissières au cinéma du coin qui ne va pas tarder à devenir un parking. Geneviève bouclait sa carrière au cinéma en se faisant l’interprète de celui qui l’avait faite débuter dix ans plus tôt: Jean Boyer.
Geneviève revient à ses grandes amours avec le théâtre. Un retour triomphal. Elle reprend le rôle créé par Danièle Delorme dans « Mon Faust » de Paul Valéry entre Pierre Fresnay et Pierre Dux. Sa prestation est à couper le souffle et la critique, l’estimant « meilleure que Delorme » s’estimera outragée par la mièvrerie des rôles que le cinéma a osé donner à une telle comédienne. Geneviève n’est pas du genre à prendre la grosse tête pour si peu. Elle retrouve ses pièces de boulevard et ses tournées. Pourquoi diable regretterait-elle le cinéma alors qu’elle fait se tordre de rire toute la France avec « Peau de Vache », « Folle Amanda » ou « La Vie Parisienne »? Ah les tournées avec Line Renaud ou Sophie Desmarets!
Mais en 1989, tout s’arrête. Geneviève vient de terminer les représentations de la pièce de Frédéric Dard: « Les Brumes de Manchester » lorsqu’elle succombe à un rupture d’anévrisme. C’était le 5 Septembre 1989. Geneviève avait fêté ses 58 ans deux mois plus tôt.
Elle avait souhaité que ses cendres soient dispersées par dessus la forêt d’Ermenonville où elle avait connu tous ses bonheurs et où vivaient la plupart d ses amis de toujours.
Jean Bretonnière la rejoindra dans la mort 12 ans plus tard. 12 années à pleurer son grand amour sans jamais dompter son chagrin.
Celine Colassin
QUE VOIR?
La filmographie de Geneviève Kervine ci-dessous est, à ma connaissance, complète
1953: Cent francs par seconde : Avec Jeannette Batti et Henri Genès
1953: Virgile (Coup de Veine) Avec Robert Lamoureux
1953: Belle Mentalité Avec Jean Richard et Michèle Philippe
1954: Une vie de garçons: Avec Roger Pierre et Jean-Marc Thibault
1954: Ma petite Folie: Avec Jean Bretonnière
1954: Le Fil à la Patte Avec Suzy Delair, Bourvil et Noël-Noël
1955: Dix-huit heures d’escale: Avec Jean-Pierre Aumont et Georges Marchal
1955: La villa Sans-Souci (Mes petites amies et moi) : Avec Jean Bretonnière
1955: Les nuits de Montmartre: Avec Jean-Marc Thibault
1955: Pas de souris dans le business: Avec Howard Vernon, Dora Doll et Robert Dalban
1955 Quatre Jours à Paris: Avec Luis Mariano et Jane Sourza
1956: Pitié pour les Vamps: Avec Viviane Romance et Giselle Pascal
1956: Alerte au deuxième bureau: Avec Frank Villard
1957: Huit femmes en Noir (La nuit des suspectes) Avec Elina Labourdette et Christine Carère
1957: Paris Music Hall: Avec Charles Aznavour et Jean Bretonnière
1957: L’auberge en Folie: Avec Rudi Hirigoyen
1957: Cinq millions comptant : Avec Jane Sourza, Jean Bretonnière et Darry Cowl
1957: Une gosse ‘sensass’: Avec Jean Bretonnière, Annette Poivre et Raymond Buissières
1958: Un certain monsieur Jo: Avec Michel Simon
1959: Soupe au lait: Avec Jean Bretonnière
1960: Amour, autocar et boîtes de nuit : Avec Danielle Godet, Alain Bouvette et Robert Dalban
1960: Vers l’extase: Avec Pascale Petit et Giani Esposito
1961: Callaghan remet ça: Avec Tony Wright et André Luguet
1961: Es muß nicht immer Kaviar sein: Avec Eva Bartók et Senta Berger
1961: Diesmal muß es Kaviar sein: Avec va Bartok et Santa Berger
1962: La Traversée de la Loire: Avec Henri Vilbert et Georges Chamarat
1962: C’est pas moi, c’est l’autre: Avec Jean Poiret, Fernand Raynaud et Micheline Dax