Bien sûr, tout le monde se souvient de la si gracieuse Geneviève Grad, puisqu’elle était mademoiselle Cruchot, fille du gendarme du même nom dans la série des « Gendarmes » si chère au cœur des fans de Louis de Funès. Mais cela ne suffit pas pour remplir une vie, ni même une carrière.
Geneviève Gabrielle Grad vient au monde le 5 Juillet 1944 dans un Paris qui se libère de son vert de Gris pour bientôt retrouver ses couleurs cocardières et ses lumières. Son papa est typographe chez « France Soir » et la petite fille grandit sans histoire entre sa famille, l’école et ses cours de danse classique. Comme toute petite parisienne qui se respecte, elle se rêve danseuse étoile.
Elle n’a encore que quinze ans lorsqu’elle est « repérée » par un talent scout. On cherche des adolescentes pour le film italien… »Les Adolescentes ». On peut s’étonner que l’on soit venu dégoter Geneviève au cours de danse à Paris, mais en 1959, le métier de casteur n’existe pas encore en Europe. Pour joindre des acteurs célèbres il y a leurs agents, mais pour débusquer l’inconnue, il faut encore aller là où elle se trouve…les lycées, les cours de danse, au cours Simon ou dans les cafés du « Boul’mich » si on les veut plus affranchies !
Les parents de Geneviève ne virent aucun inconvénient à ce que leur petite merveille s’en aille tenter l’aventure italienne. C’était les vacances, on en profita. Les Grad débarquèrent à Rome et…Geneviève ne fut pas retenue ! Les parents furent sans doute plus déçus pour leur petite fille qu’elle-même qui n’avait encore jamais vraiment songé au cinéma même si elle avait déjà fait une apparition dans « Les Dragueurs » pour Jean-Pierre Mocky. On rentra donc en France, ce fut le retour des leçons et des chaussons. Consolation, cette fois Geneviève se produisait sur scène et la scène de l’Opéra ce n’est pas rien.
Mais le destin veillait, et si on ignore comment, le miracle eut malgré tout bien lieu. Le bout d’essai était tombé sous les yeux de Martine Carol et Michel Boisrond qui préparaient leur film, « Un Soir sur la Plage », où Martine serait pour la première fois maman de deux grands adolescents. Martine, qui, on l’oublie trop souvent, avait déjà repéré une autre adolescente pour « Le Fils de Caroline Chérie » et l’avait imposée à la production en disant « Regardez, prenez cette petite Brigitte Bardot, elle est formidable! » s’enticha de Geneviève et ne voulut qu’elle pour être sa fille à l’écran! Geneviève débuta donc sur la côte d’azur sous le haut patronage de Martine Carol et sous la direction de Michel Boisrond dans « Un Soir sur la Plage ».
Martine sentait déjà alors sa couronne de reine incontestée des écrans français lui échapper inexorablement. Pour un oui ou pour un non elle se drapait dans son vison, plongeait en larmes dans sa Rolls et s’enfuyait se cloîtrer dans sa suite au Negresco, plantant toute l’équipe médusée au milieu du décor pour le reste de la journée. Tout le monde avait les nerfs tendus comme des cordes de piano et seule Geneviève malgré son jeune âge avait trouvé le moyen de circonvenir les humeurs capricieuses de Martine. Admise dans la sacrosainte suite, elle parlait des heures avec l’idole blonde et parvenait à la ramener sur le plateau. Martine se montrait alors radieuse, souriante et ravie comme si rien ne s’était passé. Geneviève était exténuée et une heure plus tard le manège recommençait!
Le film de Boisrond ne fut pas un chef d’oeuvre, mais Geneviève Grad échappa aux foudres des critiques bien trop occupés à écharper Dahlia Lavi qu’ils estimaient la plus mauvaise actrice du système solaire ! Elle ne perdait rien pour attendre, la critique attendait son film suivant « le capitaine Fracasse » pour l’étriller!
Jeune encore, Geneviève porta le comportement erratique de Martine Carol au compte de nerfs ébranlés, ignorant que le cinéma réservait parfois ce sort là à ses plus belles vedettes et que son tour viendrait à elle aussi. Bien assez tôt.
Clouée au pilori par les critiques après « Le capitaine Fracasse », Geneviève accepta les offres italiennes qui affluaient. Elle fit bien. Si elle ne tourna aucun chef d’oeuvre par delà les Dolomites. En 1962, lorsqu’elle reprend au théâtre le rôle d’Isabelle tenu dix ans plus tôt par Brigitte Bardot dans « L’Invitation au Château » d’Anouilh, la presse se fait l’écho de son « retour » et se déclare ravie de la « retrouver », mettant son absence des écrans français sur le compte de tournages italiens. « Cette petite Geneviève Grad, blonde et bien maladroite est rentrée d’Italie où elle a tourné plusieurs films, devenue brune et pleine d’une assurance dont elle avait bien besoin. Maintenant le cinéma français pourra compter sur mademoiselle Grad comédienne ». Aussitôt les films s’enchaînèrent! Geneviève devint à la mode, elle fut la « jeune fille française de bonne famille idéale » et allait le rester des années. Elle allait donner la réplique à quelques grands noms du cinéma hexagonal dont Jean Marais. Mais il faudrait comme on le sait attendre les fameux « gendarmes » pour qu’elle bénéficie d’une véritable notoriété.
Elle devient la fiancée de longue date du comédien Maurice Poli avec qui elle forme une sorte de couple d’amoureux de Peynet bien qu’il soit son aîné de 11 ans. Après qu’ils se soient rencontrés sur le plateau d’un feuilleton TV où ils sont partenaires: « Fréderic le Guardian ».
C’est Maurice Poli qui le premier va se rendre compte qu’il y a quelque chose de grippé dans les rouages de sa carrière. Même s’il est très populaire en ce milieu des années 60, il sent le vent tourner. On lui fait quelques propositions intéressantes en Italie, il s’y engouffre. Il devient une véritable vedette par-delà la frontière et il ne cesse d’inciter Geneviève à suivre le même chemin.
Mais Geneviève refuse. Elle est Française, c’est en France qu’elle veut faire son métier de comédienne, dans son pays, et tous les rôles de Gina de Sophia ou de Silvana peuvent être jetés à ses pieds, cela n’y changera rien. Elle se contentera de faire de fréquents voyages entre Paris et Rome pour voir son cher Maurice le plus souvent possible.
Elle sera même reçue comme une diva à Sao Polo ou elle tiendra le premier role d’un film brésilien, celui d’une jeune française égarée au Brésil avec Luc Meranda et Norma Bengell: « O Palácio dos Anjos ».
Malgré sa renommée internationale, le cinéma peu à peu la boude, les propositions se font plus rares et les films plus médiocres. Alors Geneviève fait du théâtre, de la télévision, elle reprend ses cours de danse, apprend à chanter. Rien n’y fait les caméras peu à peu se détournent.
Pour la Noël de 1967, la comédienne avoue son désarroi. Son amie Martine Carol est morte en Juin le cœur usé. A son tour Geneviève est ébranlée et demande ouvertement au journaliste qui l’interroge « Qu’est-ce que j’ai fait? Pourquoi ne veut on plus de moi? Je suis démodée, on m’a assez vue? Je suis trop vieille? » Elle a 23 ans. Ses parents eux-mêmes avouaient leur inquiétude et se demandaient ce qui pouvait donc bien se passer dans le monde du cinéma qui peu à peu reprenait après avoir tout donné si vite à leur fille si belle.
L’année suivante elle choisit de jouer les starlettes au festival de Cannes. Mais l’année suivante, c’est 1968. Mai 1968. Les « évènements de Paris bousculent le festival. Les jeunes font un sitting devant le palais des festivals, La « nouvelle vague » vocifère et vote l’annulation du festival. Louis Malle barbu comme un homme des cavernes jure qu’il ne fera plus de cinéma mais uniquement des films avec Cousteau. Truman Capote qui présentait son film « Trilogy » voit sa projection annulée et glapit sur les marches à des jeunes qui insultent les CRS, sa vision du monde, du futur, des élections américaines et y va de son complot à propos de l’assassinat de Martin Luther King. Au milieu de toute cette agitation, Geneviève juchée sur un pédalo en mini robe rouge, ses longs cheveux flottant au vent de la contestation semble soudain aussi anachronique que Jayne Mansfield au Vietnam!
Elle avait clamé, un rien pointue, ne plus vouloir faire un autre « Gendarme », mais lorsqu’il est question de tourner « Le Gendarme se Marie » elle en pleure de joie et déclare: « On n’attend plus que l’accord de Louis de Funès, mais quand? Dieu du ciel quand? »
Mais le mariage du gendarme ne fera que ralentir une fin programmée. Au début des années 70 Geneviève a presque complètement disparu du paysage audio visuel . Ses nerfs ont fini par la trahir après que la patience et l’espoir lui aient fait défaut. La romance avec Maurice Poli est terminée, et lui aussi est guetté par l’oubli. Geneviève se réfugie chez des amis dans le Gers, on s’inquiète à peine de ne plus la voir. Elle reviendra, pourtant, et même si on la reverra en quelque rares occasions jusqu’en 1983, elle n’aura pas eu la grande chance qu’elle espérait.
Elle avait fini par travailler pour TF1 où elle était devenue assistante de production et avait vécu une liaison assez longue avec Igor Bogdanoff père de son fils Dimitri. Elle avait ensuite changé d’univers et travaillait pour la mairie de Vendôme. Après 11 années d’une liaison discrète, elle épousait l’architecte Jean Guillaume en 1993 et se fondait tout à fait dans l’anonymat. Il ne fut plus jamais question de cinéma, ce cinéma où il n’était d’ailleurs plus question de la si belle Geneviève.
J’ignore si avec le temps qui est passé, Geneviève Grad a fini par comprendre ce qui lui était arrivé et pourquoi le cinéma était resté si distant avec elle. Je l’espère et j’espère qu’elle n’a ni regret ni rancune.
Pour ma part je continue à ne pas comprendre pourquoi cette si belle actrice a été laissée de côté. Je me pose la même question chaque fois que je dois subir une de ces navrances du cinéma français dites actrices que l’on nous a depuis infligées si souvent au mépris de la beauté, du talent et de toute logique. Au mépris même du prix du billet de cinéma.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1959: Les Dragueurs: Avec Anouk Aimée, Dany Robin et Jacques Charrier
1960: Un Soir sur la Plage: Avec Martine Carol, Jean Dessailly, Michel Galabru et Rellys
1961: Le Capitaine Fracasse: Avec Jean Marais et Gérard Barray
1961: Il Conquistadore di Corinto: Avec John Drew Barrymore et Jacques Sernas
1962: Arsène Lupin contre Arsène Lupin: Avec Françoise Dorléac, Jean-Pierre Cassel et Jean-Claude Brialy
1962: L’Empire de la Nuit: Avec Eddie Constantine et Elga Andersen
1963: Ercole conto Molok: Avec Gordon Scott et Rosalba Neri
1964: Le Gendarme de St Tropez: Avec Louis de Funès, Claude Gensac et Michel Galabru
1964 : Gibraltar : Avec Hildegard Kneff et Gérard Barray
1965: Le Gendarme à New-York: Avec Louis de Funès et Michel Galabru
1966: Su Nombre es Daphné: Avec José Antonio Amor et Michel Subor
1966: Le détraqué: Avec François Gabriel
1968: Le Gendarme se Marie: Avec Louis de Funès et Claude Gensac
1970: Oss 117 Prend des Vacances: Avec Eric Meranda, Edwige Feuillère et Elsa Martinelli
1971: O Palácio dos Anjos: Avec Luc Meranda et Norma Bengell
1977: Le Maestro: Avec Jean Lefèbvre et Sophie Desmarets
1980 : Voulez-vous un Bébé Nobel? Avec Jean-Pierre Marielle, Marion Game, Darry Cowl et Dniel Prévost