La nostalgie étant ce qu’elle est, en ce XXIème siècle, si d’aventure on met la main sur une vieille liste de courses ayant appartenu à Marilyn Monroe, on publie cinq livres, on tourne trois films et on organise une vente aux enchères du bien précieux chez Sotheby’s. Il est paradoxalement curieux qu’il ne se trouve dans ce même temps plus personne pour se souvenir de la fabuleuse Frances Day. Car malgré la tendre admiration que j’éprouve pour notre chère Marilyn, il faut bien admettre que Frances non seulement la précéda dans l’emploi de blonde incendiaire. Elle fut, il faut bien le dire, autrement plus passionnante que notre icône absolue un rien fadasse en comparaison.
Frances Victoria Schenk vint au monde le 16 Décembre 1908 dans le New Jersey, à West Orange, dans une famille d’origine Juive Allemande. La future star ayant fait du brouillage de piste et du mensonge éhonté un véritable sacerdoce, sa date de naissance et sa filiation sont aujourd’hui sujettes à caution. Personne n’a jamais pu mettre la main sur son acte de naissance et on crut longtemps qu’elle était la fille cachée du magnat de l’industrie automobile Horace Dodge bien qu’elle ne condescendit jamais à rouler dans une de ces automobiles bas de gamme. A 16 ans déjà, Frances a déserté son New Jersey natal et se produit en qualité de chanteuse dans un speakeasy New-Yorkais où son franc parler plutôt fleuri fait déjà rougir les oreilles les plus blasées. Parmi les clients du bar clandestin se trouve un soir l’impresario australien Alexandre Beaumont qui considère avoir vu « ce que le sex appeal féminin peut produire de plus sensationnellement explosif » en la juvénile personne de Frances.
Pour des raisons qui demeurent aussi mystérieuses que l’acte de naissance de la principale intéressée, Alexandre Beaumont ayant pris l’artiste sous contrat choisit de l’exiler à Londres, la rebaptisa Frances Day, fit d’elle une blonde platine et se ruina en cours de diction afin d’éradiquer cet infernal accent du New Jersey. Ce nouveau Pygmalion attendra que sa créature ait dix-huit ans pour l’épouser, lui-même étant de dix-huit ans son aîné.
Entretemps il avait fait d’elle la plus fracassante révélation érotico-exotique des cabarets londoniens où elle se produisait dans un tour de chant qui faisait courir tout le pays. Le fait qu’elle se produise en scène seulement vêtue de son boa d’autruche était-il pour quelque chose dans l’engouement provoqué par la chanteuse?
Le couple Beaumont se séparera au bout de trois ans mais ne songera à divorcer qu’en 1938. Frances restera dès lors célibataire pour le reste de sa vie. En 1932, Frances est une star incontournable des nuits Londoniennes et inévitablement, le cinéma s’est penché sur son sulfureux cas. Elle tourne quelques films dès 1928 mais c’est Alexandre Korda qui le premier va faire d’elle un star de l’écran avec sa version de « la dame de chez Maxim’s » en 1933. La caméra va littéralement transcender la beauté de Frances Day qui selon un critique de l’époque « A l’air d’avoir avalé une lampe à incandescence tant elle est lumineuse à l’écran, elle irradie de sensualité« . Sa réputation sulfureuse déjà richement établie fit beaucoup pour la publicité du film, son talent fit le reste. Une star était née. Et quelle star.
Frances va continuer une carrière éblouissante, fascinant les hommes, défiant les femmes qui voyaient en elle une catastrophique menace pour le mariage bourgeois et les bonnes manières. Frances n’en avait cure et cumulait les succès sur scène et à l’écran. Ses disques se vendaient par milliers. Surtout sa fameuse chanson ou elle susurre d’une voix de bébé telle la future Marilyn : »je suis une petite fille qui s’est perdue dans le brouillard en promenant son chien, n’y aurait-il pas un monsieur pour me ramener chez moi? »
Dorénavant, Frances Day serait une star adulée, un scandale perpétuel couvert de diamants par ses amants qu’elle choisit de préférence riches et couronnés, une marotte.
Ainsi si elle fut longtemps la compagne de coeur du futur premier ministre Anthony Eden, de Lord Mountbatten, du Prince de Galles, du duc de Windsor d’Edouard VIII, des princes de Suède et des Pays Bas entre autres dignes célébrités. Ils se partagèrent l’intimité de la belle Frances et contribuèrent largement à une autre de ses marottes: la collection de bracelets de diamants et de rubis. bientôt elle en aurait jusqu’aux coudes! Cette mangeuse d’hommes ne résistait que peu aux charmes féminins et cumula quelques passions avec des femmes aussi célèbres que Tallulah Bankhead ou Marlène Dietrich, mais j’ignore si elles participèrent au cumul de bracelets.
Bien entendu, cette créature fantasque était une actrice difficilement gérable et il lui est arrivé plus d’une fois d’arriver au théâtre alors que la pièce où elle jouait était commencée. Elle montait alors sur scène avec un naturel complet, jetait son vison dans un coin, apparaissant en pyjama ou en chemise de nuit, démaquillée, ébouriffée mais endiamantée jusqu’aux coudes. Elle prenait la pièce en cours avec une totale désinvolture. Un véritable délire d’applaudissements accueillait ces entrées aussitôt légendaires. A la limite, le public était déçu lorsqu’elle était à l’heure!
C’est la guerre qui va porter un premier coup fatal à sa superbe. Follement amoureuse d’un officier de la Royal Air Force, Sam Johnson, elle va littéralement s’effondrer psychologiquement lorsqu’il sera tué au combat alors qu’elle même rentre exténuée d’une tournée en Birmanie pour soutenir le moral des troupes. Elle jouait « Du Barry was a Lady » lorsqu’elle apprit l’effroyable nouvelle. Elle ne laissa rien paraître et continua le spectacle plus démentiellement fabuleuse que jamais. Pourtant de l’avis unanime de ceux qui la connurent, plus jamais elle ne fut la même après la mort tragique de Sam Johnson. le ressort magique s’était brisé à jamais.
Frances est toujours une star à la fin de la guerre, elle tourne toujours des films et joue Peter Pan sur scène. Mais Diana Morgan qui écrit ses chansons dit à son propos « Elle a maintenant l’air d’une flamme qui vacille et va bientôt s’éteindre« Diana ne se trompait pas, dès 1946, pour la première fois, Frances connaît l’insuccès et sa nouvelle comédie musicale s’arrête après une trentaine de représentations; Toutes huées. la star ne surmonte pas la perte de son amour.
Son comportement est de plus en plus décousu, erratique, incohérent. Bientôt les portes se ferment devant cette star que l’on considère perdue. Que l’on s’étonne même de savoir encore vivante. Elle a 40 ans. Elle va alors poursuivre de ses assiduités Georges Bernard Shaw pour qu’il lui écrive une pièce digne d’elle. Le pauvre dramaturge de 92 ans, flatté, s’exécute, mais dès le soir de la première, Frances Day se jette au cou de son jeune partenaire de 27 ans, le bel acteur bisexuel (une autre de ses marottes) Denholm Eliott. Son comportement fantasque et crépusculaire va lui fermer les portes des théâtres et des cabarets. Elle va alors se tourner vers la télévision et même enregistrer des albums de rock qui n’ajouteront rien à sa gloire mais confirmeront son désarroi. Que diable allait donc faire Frances Day dans le répertoire d’Elvis Presley sous le pseudonyme qui ne trompa personne d’Alerte Gale?
Nous étions en 1956, l’année suivante, en 1957 elle est à nouveau frappée au plus fort de ses affections et cette fois ne s’en remettra plus. Sa compagne la scénariste de 46 ans Moie Charles est retrouvée morte dans leur appartement de Chelsea, intoxiquée au gaz. L’enquête conclut un accident, mais le scandale s’en suivit inévitablement, Frances resta prostrée de longs mois, coupant les ponts avec toutes ses relations.
Frances Day tournera encore quelques bouts de rôles jusqu’en 1960 et se produira dans de vagues pièces jusqu’en 1965.
On la verra un jour arriver couverte de peinture dorée et vêtue de cuir noir, juchée à l’arrière d’une moto, clamant au reste de la distribution qu’elle était Frankie Day, la…fille de Frances Day! Les chocs émotionnels avaient fini par avoir raison de son équilibre. Elle rejeta tout son passé, quitta sa maison et ses amis. Elle s’installa sous un faux nom dans une banlieue anonyme ou elle nia toujours farouchement être Frances Day, parfois elle avouait être sa fille.
Le 29 Avril 1984 elle s’éteignait à l’âge de 75 ans, emportée par une leucémie sans avoir jamais admis un seul instant avoir été cette Frances Day.
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1932: The First Mrs Fraser: Avec Joan barry et Henry Ainley
1933: La Dame de chez Maxim’s: Avec Leslie Henson
1934: Temptation: Avec Stewart Rome
1936: You Must Get Married: Avec Neil Hamilton
1937: Who’s your Lady friend?: Avec Vic Olivier, Betty Stockfield et Margaret Lockwood
1957: Il y a Toujours un Jeudi: Avec Charles Victor