Peu nombreux parmi les cinéphiles qui me lisent auront un souvenir très précis de la gracieuse France Anglade. Et ils auraient sans doute été surpris d’apprendre, bien que le temps ait arrondi ses courbes que ses vingt ans avaient connues parfaites (1mètre 68, 90-50-90), que la toujours gracieuse France Anglade était toujours comédienne, avait toujours un agent, et se tenait prête, le cas échéant à « reprendre du service », si un rôle qui lui plaisait et qui en valait la peine venait à se présenter. Elle restera sur le pied de guerre jusqu’à sa fin survenue le 28 août 2014. Elle avait fêté ses 72 ans quelques semaines plus tôt.
Notre ravissante héroïne naît le 17 Juillet 1943 sous le patronyme de Marie-France Anglade à Constantine en Algérie. Ses parents ne s’y attarderont plus très longtemps et regagneront Châlons sur Marne. C’est là qu’elle passera une joyeuse enfance et que naîtront sa petite soeur et ensuite son petit frère. La petite Marie-France avait fait preuve dès son plus jeune âge d’un coup de crayon très sûr, et en grandissant, son don pour le dessin ne laissa plus de doute à personne. Ni à ses parents somme toute assez fiers ni à Marie-France elle-même qui se rêvait dessinatrice de mode.
Oui Mais…Il y eut l’été 58 et un intermède somme toute banal mais qui allait modifier cette vue de l’esprit. Rien de bien palpitant en soi: le tournage de « Guinguette » avec Zizi Jeanmaire qui passe par là. Marie-France va y fourrer son nez mignon, histoire de voir « A quoi ça ressemble, le cinéma ». En fait, ce fut un des assistants de Jean Delannoy qui vit très bien ce à quoi les 15 ans de Marie France pouvaient ressembler à l’image. On avait déjà croisé ce genre de frais minois au cinéma. Ceux de filles nommées Brigitte Bardot ou Mylène Demongeot. Le nec le plus ultra de la beauté féminine de l’époque. Marie-France, toute épatée d’elle-même intégra la figuration et fut payée pour voir de près Zizi Jeanmaire et Jean-Claude Pascal. Il n’en fallu pas plus pour chambouler cette jeune cervelle, car après tout, n’avait-elle pas été « repérée » comme on lit dans « Cinémonde ». Le don pour le dessin trouva là sa plus grande utilité. Il servit de prétexte à la jeune demoiselle pour gagner Paris dès la rentrée pour s’y inscrire aux beaux arts et le prétexte passa comme une lettre à la poste!
Après avoir été « repérée », Marie-France gagnerait Paris et y serait « Découverte », la suite logique de tous les grands destins d’actrices!
Sauf qu’à Paris, personne ne l’attendait. Pire, les aspirantes à la gloire, toutes calquées sur le moule BB-Mylène faisaient des couloirs de la moindre maison de production de vrais wagons de métro aux heures de pointe. La « Pin-Up » était alors un vrai phénomène de société. Ce qui vaudra cette remarque désabusée à la jeune fille un rien échaudée: « Pour être repérée là dedans, vaudrait encore mieux être laide! »
Ne l’étant pas comme on s’en doute, elle tenta l’opération « cover girl » et se rendit compte à son grand dam que les encombrements n’étaient pas moindres au portillon. Elle n’était pas loin de déclarer forfait lorsqu’une amie de fraîche date, la ravissante Geneviève Grad lui vint en aide. Car non seulement mademoiselle Grad avait une chambre à partager mais elle avait aussi ses entrées chez « ELLE » qui raffolait de son côté jeune fille. « ELLE » où je le rappelle, avait éclos pour la première fois offerte à la convoitise du public, le bouleversant sourire de mademoiselle Brigitte Bardot jeune fille. On connaît la suite devenue un grand classique: un agent va « découvrir » Marie-France dans « ELLE », la convoquer, prendre sa carrière en main. Mais si les choses ont l’air simples résumées par moi, il faut savoir que pour être arrivée à Paris fin 1958, Marie-France ne se retrouvera nez à nez avec une caméra qu’en…1961. Et encore…Starlette stéréotypée dans le moule BB, elle n’aura rien de très probant à faire à part perdre ses vêtements en poussant de petits cris mutins pour la plus grande joie de quelques comiques franchouillards durant quelques années.
Devenue France Anglade pour faire court, Tout le monde crut que l’année 1963 serait SON année. L’année France Anglade. Elle avait enfin obtenu un premier rôle, celui de « Clémentine Chérie » dans le film éponyme. Bien avant que France n’obtienne le rôle, la casting faisait grand bruit! Clémentine chérie était, telle Barbarella, un personnage de bande dessinée créé par Bellu. Or, ledit Bellu récusait une à une toutes les comédiennes de Paris, les jugeant indignes de sa Clémentine jusqu’à ce qu’il valide France Anglade. Seules Pascale Petit et Dany Carrel avaient eu l’honneur d’être « validées ». Pascale préféra devenir Cléopâtre en Italie et Dany Carrel ne voulut rien savoir.
Tout le monde était donc persuadé du succès fulgurant qui attendait France. Tout le monde sauf elle. Ayant gardé la tête aussi froide que possible, elle savait lire un script et juger des opportunités d’un rôle au moins aussi bien que Pascale et Dany. Et celui de Clémentine n’en offrait aucune hormis de faire toutes les couvertures des magazines de cinéma dès que l’on sut qu’elle avait décroché le rôle. Seule France savait que Clémentine ne serait pas ce qu’avait été Caroline Chérie 13 ans plus tôt pour Martine Carol. D’ailleurs, France y serait brune, ce qu’elle déteste et qui lui donnera un faux air de… Dany Carrel. Ensuite encore, foin d’Alain Delon, de Sami Frey ou de Gérard Blain pour l’entourer dans ce « grand rôle ». Mais les gracieux séducteurs qu’étaient Pierre Doris, Michel Galabru, Jacques Dufilho (en servante espagnole!) et Jean Richard en guise de jeunes premiers pour lui servir de partenaires.
Et que rêve la belle à Clouzot ou à Jules Dassin pendant que la dirige Pierre Chevalier!
Mais bon…les choses avançaient, et ce d’autant mieux qu’elle décrocha à la fois le rôle et le coeur de l’un des producteurs du film, Jacques-Paul Bertrand. Les lendemains de Clémentine, comme s’en doutait son élément de charme, déchantèrent. France connut le triste sort d’une Véronique Vendell, d’une Sophie Hardy ou d’une Patricia Viterbo: De minuscules rôles dans de bons films et des premiers rôles dans des niaiseries complètes. Et que la télévision ou l’Italie fasse maintenant appel à ses gracieux services n’y change rien. France Anglade est dans l’ornière du cinéma Français de papa des années 60 et elle ne sera jamais la tasse de thé de la « nouvelle vague »! A peine si Jacques Doniol Valcrose et Serge Bourguignon la firent passer dans leurs oeuvres. Dans un parfait bis repetita, le destin remettra France Anglade une seconde fois à la une des médias en 1968: Clémentine Chérie va succéder à Martine Carol dans un remake technicolor et panavision de la star récemment disparue: « Caroline Chérie ».
Encore un tintouin médiatique pour un éléphant qui accouchera d’une souris! France est choisie dès 1966 par le cinéaste Jean Aurel pour le rôle mais celui-ci n’arrive pas à trouver un terrain d’entente avec Cecil Saint Laurent auteur de l’œuvre. La pomme de discorde n’étant autre que France. Cecil fulmine. Elle n’est pas le personnage! Que l’on se souvienne de la charge érotique de Martine Carol dans le rôle. On ne tourne pas Caroline la godiche au couvent que diable.
Du coup tous les professionnels des gazettes se ruent chez Martine pour avoir son avis à propos de France Anglade dans sa succession. Mais en 1966, Martine ivre et défoncée vit claquemurée derrière les volets de sa ferme de Grasse et dans sa dépression. Elle se fiche complètement de France Anglade, de Caroline chérie et même du cinéma. Elle n’ouvrira à personne et tous les petits écrivaillons en seront pour leurs frais. Lorsque le film sortira enfin, Martine ne sera plus là pour donner son avis sur la chose.
Aurel abandonne le projet. On crut alors que le film ne se ferait jamais avant que Denys de la Patellière ne relève le gant. On crut alors que la première chose qui serait faite serait d’évincer France Anglade du rôle au profit d’une autre comédienne choisie par le nouveau réalisateur. Or il n’en sera rien, Denys de la Patellière trouvant France Anglade tout à fait parfaite pour le rôle.
Toute cette affaire dura des mois. Le tournage pouvait enfin débuter en Septembre 1967. Entretemps, la première Caroline Chérie, alias Martine Carol étant décédée, la télévision ne cessait de repasser le film tourné par Martine!
L’échec de ce film lamentable que ne pouvait sauver le court rôle de Bernard Blier fut un peu noyé dans les évènements de Mai 68 et sonna le glas de la carrière de sa vedette. France gagna alors New-York, y suivit de nombreux cours d’art dramatique et fit le passage obligé de l’actor’s studio, se jurant bien de ne plus jamais laisser s’articuler un film autour de son physique de pin-up Deux tristes fois lui suffisaient, il n’y en aurait pas de troisième. Elle tint parole, revint à Paris, continua de dessiner ses robes elle-même, devint rare aux écrans larges mais fit beaucoup de télévision, et toujours dans la qualité.
C’est là qu’on l’a vue pour la dernière fois, dans la série « Highlander » en 1994.
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1958: Guinguette: Avec Zizi Jeanmaire et Jean-Claude Pascal (figuration)
1961: Le Rendez-Vous de Minuit: Avec Lilli Palmer et Michel Auclair.
1962: Les Sept Péchés Capitaux (L’Envie): Avec Dany Saval et Claude Brasseur
1962: Les Parisiennes: Avec Catherine Deneuve, Paul Guers et Johnny Hallyday.
1962: Les Dimanches de Ville d’Avray: Avec Hardy Krüger, Nicole Courcel et Patricia Gozzi
1962: La Dénonciation: Avec Maurice Ronet, Nicole Berger et Valérie Lagrange.
1963: Les Bricoleurs: Avec Elke Sommers, Darry Cowl , Jacqueline Maillan, Valérie Lagrange et Francis Blanche
1963: Du Mouron pour les Petits Oiseaux: Avec Dany Saval et Suzy Delair.
1963: Les Veinards: Avec Jacqueline Maillan et Pierre Mondy
1963: Queste pazze pazze donne: Avec Mischa Auer et Ennio Giorlami
1964: Bulli, Pupe e Canzoni: Avec Franco Franchi et les soeurs Kessler
1964: Comment Trouvez-vous ma Soeur?: Avec Dany Saval, Jacqueline Maillan, Michel Serrault et Dany Robin
1964: Clémentine Chérie: Avec Pierre Doris et Michel Galabru.
1964: Le Repas des Fauves: Avec Antonella Lualdi et Francis Blanche
1965: Le Lit à Deux Places: Avec Dominique Boschero, Sylvia Koscina et Nino Castelnuovo
1965: Vingt Quatre Heures pour Tuer: Avec Lex Barker, Mickey Rooney et Helga Sommerfeld
1967: Le Plus Vieux Métier du Monde: Avec Nadia Gray et Francis Blanche
1968: Caroline Chérie: Avec Vittorio de Sica, Gert Forbes, Bernard Blier, Carmen Miranda, Françoise Christophe et Karin Dor
1981: Madame Claude 2: Avec Alexandra Stewart
1984: Aldo et Junior: Avec Aldo Maccione, Luis Rego, Charlotte Julian et André Ferréol
1988: Sortis de Route: Avec Bruno Pradal et Marie-Pierre Casey
1991: l’Argent: Avec Myriam d’Abo, Bruno Cremer, Christopher Plummer, Bernard Fresson, F. Murray Abraham et Eric Stoltz