Au festival de Cannes 1973, on remarqua surtout Diana Ross dans « Lady Sings the Blues » et Ingrid Bergman, dans une robe de soir immaculée bredouiller inexplicablement le palmarès dans un sabir auquel celui de Sophie Marceau n’aura rien à envier! Mais il y avait aussi parmi les personnalités errant sur la croisette en ébullition une ravissante blonde que certains prirent pour Mylène Demongeot. D’autres, mieux avertis leur répondirent: « Mais non! C’est Florence Marly! Elle est devenue chanteuse maintenant! » comme s’ ils parlaient d’une paire d’espadrilles en solde. Et pourtant, il n’y avait pas si longtemps, Florence Marly avait été une des plus éblouissantes stars de ce même festival. Et ne disait-on pas alors qu’elle était la plus belle actrice du cinéma français, éclipsant complètement la beauté de Michèle Morgan à qui elle ressemblait en la surclassant encore.
Quant à son destin il compte parmi les plus épiques et les plus invraisemblables au pays des stars de celluloïd
La future Florence Marly naît en Tchécoslovaquie le 2 Juin 1919 dans la bonne ville de Brünn. Elle est pour l’état civil Hana Smekalova. La demoiselle aura un frère et une soeur. On ne sait que peu de choses sur les jeunes années de cette future reine du cinéma mondial, si ce n’est cette anecdote qu’elle racontait volontiers: Enfant, elle s’était entichée d’opéra et beuglait à qui mieux mieux que telle était sa vocation. Elle passa une audition et en sortit mortifiée à jamais, devant une assemblée morte de rire qui avait cru d’abord que l’on étripait un chat en coulisses! Plus tard elle plaisantera: « Je chante faux en quatre langues! »
A dix-huit ans, la jeune fille obtient l’autorisation de gagner Paris où elle est inscrite à la Sorbonne. Mais dès le premier jour de cours, elle fait la rencontre fortuite du réalisateur Pierre Chenal. La semaine suivante, elle débutait dans son film en cours, « L’Alibi » dont la vedette était Jany Holt mais où elle croiserait Louis Jouvet, Albert Préjean et Erich von Stroheim.
Aucun doute, ces deux-là étaient tombés amoureux. Chenal avait 15 ans de plus que la belle Florence, la famille Tchécoslovaque n’apprécia pas la blague et le couple dut attendre la majorité légale de la jeune fille en 1940 pour pouvoir enfin « convoler en justes noces ». Entretemps, Florence était devenue pour le cinéma français « la plus belle de toutes ». Rien de moins!
Le jour même où l’armée allemande entra dans un Paris tétanisé, Marie Bell s’était précipitée chez Florence, la suppliant de quitter Paris. Les Allemands, on le savait, n’étaient pas friands de Tchécoslovaques! Florence prit ses bijoux, ses fourrures, monta dans sa fabuleuse Packard, la même qu’Arletty, et prit la route de l’exode, un rien exaspérée par ces teutons indélicats qui bouleversaient ses projets de grande vedette! Marie Bell, devant la taille invraisemblable de la Packard, fourgua d’autorité deux de ses amies lesbiennes sur la banquette arrière. Les teutons, disait-on, ne raffolaient pas d’homosexualité non plus! Florence, ses copines et la Packard traversèrent sans encombres toute la France, la voiture ne fut pas confisquée, elle consommait autant d’essence qu’une division de tanks, elle n’était pas dans les moyens du gouvernement ni de l’occupant!
Finalement, Florence passera le temps des hostilités en Argentine, désespérant de nouvelles de sa famille et tournant, tant qu’elle y était, deux films en vedette.
Elle rentre à Cannes en 1946, comme Michèle Morgan qui y triomphe avec son immortelle « Symphonie Pastorale ». L’année suivante, c’est son film à elle, »Les Maudits » de René Clément qui emporte le grand prix au festival. Florence s’amuse du fait qu’ayant dû fuir la France pour échapper aux Allemands, elle joue une sympathisante nazie dans son film de rentrée! Florence Marly est avec Michèle Morgan la première exilée à retrouver les honneurs de la gloire au cinéma et, détail amusant, elle a dans « Les Maudits », un jeune et beau partenaire musculeux: Henri Vidal, le futur mari de Michèle.
Les retombées du film lui valent un contrat à Hollywood. Mais avant de partir, Florence accepte le tournage d’un film en Tchécoslovaquie, occasion inespérée pour elle de prendre des nouvelles des siens. Tétanisée par ce qu’elle trouvera dans ce pays mutilé, elle a la joie de retrouver son frère et sa soeur à qui elle abandonne la totalité de son cachet, 100.000$ de l’époque, avant de gagner Hollywood.
Elle y arrive en Octobre 1947 mais elle devra encore attendre deux ans pour retrouver son mari Pierre Chenal et pouvoir faire un voyage d’amoureux avec lui à travers toute l’Amérique. Si le couple Chenal resta marié longtemps, reconnaissons que les époux se virent moins que peu.
Si à Hollywood Florence ne devint pas une star de première grandeur, elle y fut néanmoins connue et respectée. En 1949 elle connaissait sa grande chance en tenant la vedette de « Tokyo Joe » face à Humphrey Bogart. Hélas dans un de ses films les plus méconnus. L’année précédente elle donnait la réplique à Ray Milland!
Au début des années 50, on parle divorce chez les Chenal. le couple n’arrive jamais à se retrouver au même endroit en même temps. Florence qui rentre du Japon où elle a tourné un film et de Corée où elle est allée (sans chanter!) distraire les troupes loupe son mari qui a filé de Buenos Aires à Paris mais sera de retour à Hollywood lorsque Florence sera…En Uruguay!
En 1952, la belle mécanique céleste du destin de Florence Marly se grippe et s’arrête. Elle est au Chili où elle vient de tourner un film et s’apprête à regagner Hollywood avec le reste de l’équipe lorsqu’elle est refoulée à l’aéroport. Son visa est annulé! Florence Marly est communiste, on ne veut plus d’elle en Amérique! Effarée , Florence ignorait qu’il existât des communistes avec des visons, des diamants, des piscines et des Packard! Mais le fait était! Elle était bel et bien « prisonnière » au Chili. Elle dut vendre les quelques bijoux qu’elle avait emportés pour le tournage, tous ses avoirs étaient bloqués en Amérique. Elle mettra dix-huit mois avant de réussir à gagner le Mexique, puis devra encore palabrer deux ans avec le consulat américain avant qu’un quelconque gratte papier s’aperçoive que Florence Marly l’actrice n’est pas Anna Marly, strip-taeseuse pour cabarets louches et en effet…communiste!
Durant son exil forcé, son divorce d’avec Pierre Chenal avait été prononcé. Florence Marly, réhabilitée après une campagne de presse diffamatoire du sénateur MacCarthy qui avait fait d’elle une veule Mata-Hari de l’est, Florence Marly rentra à Hollywood dans un style qui était bien le sien: flanquée d’un nouveau mari, autrichien et de 26 ans son aîné et qui avait fait d’elle la comtesse Degenhard-Wurmbrand. Accessoirement ce monsieur était, disait-on sous cape, l’homme le plus riche du monde! héritier des gisements de cuivre du désert d’Atacama au Chili, lesquels couvrent toujours à ce jour 20% des besoins mondiaux en cuivre! Le mariage autrichien sera court, mais Florence Marly aimera le reste de sa vie se présenter en qualité de Comtesse Wurmbrand.
Le retour au cinéma sera hélas de bien piteuse qualité. Alors la très belle Florence s’adonne beaucoup à la télévision, écrit des livres, compose quelques chansons et finit par glisser dans le film d’horreur.
La beauté fracassante de Florence Marly ne s’altère pas avec le temps car faite aussi de distinction. Si a 54 ans on la confond à Cannes avec Mylène Demongeot parce qu’elle sont les mêmes jean’s et la même coiffure, en 1967 elle livre un duel de beauté avec Ursula Andress avec qui elle tombe nez à nez un soir de gala Hollywoodien. La James Bond Girl de 16 ans sa cadette n’eut plus qu’à ramper sous les tables vers la sortie de secours! Florence Marly, et c’est ce qui la rend si touchante à mes yeux, ne renonça jamais à ses rêves d’enfant, quels que soient les aléas de son destin. Star internationale ou exilée politique involontaire, Florence Marly voulait toujours être chanteuse. De cours en leçons, elle finira par enfin placer sa voix, et un jour, après tant d’années d’efforts, elle entrera en scène pour son tour de chant. Ce jour là fut le plus beau de toute sa vie.
Florence Marly, peu rancunière resta à Hollywood malgré le désintérêt affiché de la capitale du film envers sa personne. Elle s’y éteint le 9 Novembre 1978, foudroyée par une crise cardiaque. Son frère et sa soeur qu’elle n’avait pas revus la pleurèrent en Tchécoslovaquie.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1937: L’Alibi: Avec Philippe Richard, Louis Jouvet, Albert Préjean et Erich von Stroheim
1938: Café de Paris: Avec Vera Korène, Jules Berry et Simone Berriau
1938: L’Affaire Lafarge: Avec Marcelle Chantal, Pierre Renoir et Erich von Stroheim
1938: La Maison du Maltais: Avec Viviane Romance, Louis Jouvet et Pierre Renoir
1939: La Brigade Sauvage: Avec Vera Korène et Charles Vanel
1944: El Fin de la Noche: Avec Lucia Barause et Alberto Bello
1947: Les Maudits: Avec Henri Vidal et Michel Auclair
1948: Sealed Verdict: Avec Ray Milland
1949: Tokyo Joe: Avec Humphrey Bogart
1952: Gobs and Gals: Avec Cathy Downs et George Bernard
1966: Queen of Blood: Avec Judi Meredith, John Saxon et Basil Rathbone