Retracer le parcours de Florelle, ce si charmant mais si lointain souvenir n’est pas une mince affaire! Ce gai rossignol ne tenait guère en place et s’éparpillait en de multiples activités parfois inattendues. Et surtout,, elle avait une sauce bien à elle pour accommoder les tristes réalités de la vie à son bon plaisir, réécrivant au jour le jour un parcours mieux fait pour éblouir les foules ou attendrir le public!
Cet oiseau rare naît en Vendée, le 9 Août 1898, aux Sables d’Olonne. Elle est pour l’état civil la petite Odette, Elisa, Joséphine, Marguerite Rousseau. Elle ne manquera pas au début de sa gloire de dépeindre les tristes années de misère enfantine qui affligèrent la famille avant que l’on ne se décide, le ventre creux, à gagner Paris. Sans doute venait-elle de lire « Les Deux Orphelines » avant de recevoir les journalistes émus d’une aussi noire destinée. Or il n’y eut pas plus d’années misérables que de petite soeur aveugle! Monsieur Rousseau père est l’adjoint du maire et on est plutôt bourgeois dans la famille. Il reste vrai que les Rousseau quittèrent la Vendée pour gagner Paris, histoire de voir depuis la capitale ce beau siècle tout neuf! Madame Rousseau mère, n’y tenant plus au milieu de toute cette agitation décida de travailler! En Vendée c’eût été impensable, mais à Paris c’était d’un commun! Elle devint donc caissière à « La Cigale ». Un music hall en vogue, non loin de la place Pigalle et de son célèbre moulin rouge, lesquels d’ailleurs existe toujours l’un et l’autre.
Et c’est là qu’en 1909 débutera la petite Odette Rousseau. Par un concours de circonstance bienvenu! La petite fille n’a que 12 ans mais passe le plus de temps possible à « La Cigale », pour « aider » sa maman. En fait elle ne loupe pas une miette de tout ce qui se passe sur scène, dans les coulisses ou même dans les rues de ce passionnant quartier. Et ne voilà-il pas qu’un soir il manque un gamin, l’air gavroche, pour donner une courte réplique à un artiste dans un sketch. Certains soirs, Florelle, attendrie sur ses jeunes années se souviendra qu’il s’agissait de Raimu. Ce qui n’est pas tout à fait vrai même s’ils seront bientôt partenaires. Comme le petit galopin d’acteur faisait faux bond, l’alerte caissière songea à sa petite Odette qui traînait là sans rien faire mais qui connaissait le spectacle par coeur! On l’affubla en titi de Paris et on la jeta sur scène!
Le plus dur fut ensuite de lui faire quitter la scène en question! Elle serait restée pour se faire applaudir jusqu’au jugement dernier! Le spectacle terminé, Odette mit au point un tour de chant « d’enfant » comme c’était la mode! Elle partira en tournée se produire en Allemagne, eu Autriche, en Hongrie, en Roumanie, jusqu’en Turquie! Une chose est sûre, Odette savait ce qu’elle allait faire de sa vie! « je suis tombée amoureuse du spectacle et des applaudissements à 9 ans » Avec un aplomb et un culot monstre elle courut les auditions. Elle était jolie comme un coeur, blonde, potelée, avec de grands yeux bleu myosotis qui lui dévoraient la figure. Qui de plus est, elle avait un joli timbre de soprano du plus bel effet dans les opérettes à la mode! Elle alla donc de cabaret en music hall. Les salles gagnaient en prestige et les rôles en importance. Elle fut bientôt une habituée du « Bataclan », de » la Scala » ou « L’Européen » qui deviendra bientôt son fief.
En 1912 elle tâte pour la première fois du cinéma. Elle est encore « Mademoiselle Rousseau » mais n’est guère convaincue par l’expérience et après un deuxième film en 1913 elle jette l’éponge et préfère se lancer dans une grande tournée mondiale avec la troupe de « L’Européen ». C’est au cours de cette tournée qu’elle aura l’idée de son pseudonyme « Florelle » pour faire joli sur les affiches car son ténor de partenaire s’appelle Jean Flor, ce qui fait « Flor et Florelle » . La tournée de « L’Européen » fait un triomphe mais est brutalement interrompue alors même que l’on joue à guichets fermés à Vienne. C’est la guerre!
Florelle, dépitée retrouve son cher Paris alors que tonne au loin la menaçante grosse Bertha. Elle devient avec Mistinguett une des premières « Pin-up » à poilus (Même si le terme « Pin-up » n’a pas encore été inventé par Hollywood). Détail amusant, entre deux séances photo elle prend des cours d’infirmière comptant bien faire « son devoir ». Mais la guerre finira avant qu’elle ne soit « bonne pour le service »
Florelle aura même son petit moment de bravoure et de gloire patriotique en jouant les Mata Hari bien involontaires. Elle trouve dans un des rares taxis qui sillonnent encore la Capitale un porte documents (on n’a pas non plus inventé l’attaché case) rempli de documents estampillés « top secret » qu’elle s’en va immédiatement confier au ministère de la guerre (Qu’en aurait-elle fait d’autre?) La presse dûment informée fit d’elle une une héroïne de l’ombre, à peine si elle n’avait pas bouté l’ennemi hors de France à elle toute seule d’une œillade assassine, un hasard et une course en taxi!
La paix retrouvée, Florelle est sur scène! La Cigale, bien sûr, l’Abri, le bataclan où elle a sa propre revue « Un Drôle de Numéro ». Sur scène là où elle estime être sa place. D’aucuns voient en elle la nouvelle Mistinguett, ce qui ne plut guère à la principale concernée. Sans doute pour faire bisquer la Miss, Maurice Chevalier, alors sa propriété privée va ramener Florelle vers les plateaux de cinéma en 1923 pour lui donner une muette réplique dans « L’Affaire de la Rue de Lourcine ». Le message est clair. Florelle brigue la relève! Mais le cinéma muet l’exaspère au plus haut point et après trois films en 1923, elle jure une nouvelle fois de ne plus jamais y revenir! Par contre, elle accepte de reprendre les revues de Mistinguett en tournée et part à nouveau à la conquête du monde sous des tonnes de plume et de strass, chantant à son tour et en cinq langues s’il vous plaît »On m’suit », « Il m’a vue nue » et bien entendu « Ca c’est Paris! » L’Amérique du Sud, la Grèce, l’Italie, la Belgique, l’Egypte, la Turquie encore où elle est déifiée. C »est à Cuba qu’elle tombera amoureuse d’un beau ténébreux qu’elle épousera dans la foulée mais qu’elle ne jugera pas opportun de ramener dans ses bagages.
L’année 1927 est la grande année pour Florelle. Elle rentre seule à Paris, enregistre ses premiers disques, tombe follement amoureuse d’une des plus fabuleuses futures icônes du cinéma: Henri Garat. Le Rudolph Valentino européen. Se fichant comme d’une guigne du mari cubain, Florelle mène grand train et affiche ses amours tapageuses. Le cinéma, dit-on va se mettre à parler et…Mistinguett se fâche et quitte avec fracas le « Moulin Rouge ». Florelle a enfin sa revanche sur la Miss, elle peut triompher à Paris! Au Moulin! La presse dit d’elle a l’époque « Florelle est surtout connue pour avoir les plus beaux bijoux de Paris, les robes les plus à la mode ce qui à notre époque veut dire les plus déshabillées! » et puis encore « Elle règne sur Paris. Le Paris du jour et le Paris de la nuit. Elle est la reine du seul Paris qui compte, celui qui va de Maxim’s au Moulin Rouge »! La principale intéressée confirme en 1936: « Ce que l’on dit de moi est vrai, je possède pour des millions de bijoux, j’ai cinq domestiques, une limousine avec deux chauffeurs. Un pour le jour et l’autre pour la nuit! Pourquoi devrais-je en rougir? j’en suis fière au contraire! J’ai tout gagné on ne m’a rien donné! » En 1930, le cinéma parla, en effet. Henri Garat était devenu une star inouïe en Allemagne. A Paris Florelle a l’impression de piétiner un peu, elle décide de le rejoindre et d’elle aussi tenter sa chance devant les caméras teutonnes.
Pourquoi le public allemand ne fut-il pas aussi sensible au charme et au talent de Florelle que le reste du monde, je l’ignore. Mais elle ne trouva que peu de choses dignes d’elle à se mettre sous la dent. Elle se contente souvent des versions françaises des films d’autres actrices mieux cotées ou de seconds rôles sans envergure ni attrait dans des oeuvres mineures. Elle devra attendre d’être présentée à Pabst pour enfin briller. On sait bien sûr qu’elle sera en 1931 l’inoubliable et fabuleuse héroïne de « L’Opéra de Quat Sous » de Pabst face à Albert Préjean. Mais Pabst ne voulait à aucun prix entendre parler d’elle! « Vous n’êtes ni assez jeune ni assez jolie » Il voulait absolument Madeleine Renaud! Florelle dut enregistrer à ses frais les chansons de l’opérette pour fléchir la décision de Pabst. Et puis il y a dans la distribution du film une autre actrice, une débutante dans un rôle minuscule, un rôle trop court pour être crédité au générique mais une débutante qui fera son chemin: Arletty.
Florelle avait souffert de la présence de son aînée Mistinguett, bientôt elle devra souffrir de la présence de sa cadette Arletty. Arletty qui est aussi brune qu’elle n’est blonde, aussi maigre qu’elle n’est potelée, aussi grande qu’elle n’est petite. Arletty qui est aussi effrontée qu’elle n’est minaudière. Arletty, son antithèse et son exact contraire! Arletty qui va bousculer tous les principes de l’élégance, du chant et de l’art dramatique. Arletty qui va faire de Florelle une relique d’avant guerre.
En 1935, le destin jouera un tour à sa manière à la blonde actrice en l’opposant à sa brune rivale dans « Amants et Voleurs ». Florelle l’ignore mais ce sera le glas de sa carrière. Mais bien entendu, à Berlin, en 1931, ni l’une ni l’autre n’ont conscience de tout ceci. Florelle est toute à sa joie du rôle et du succès du film. Elle devient une star et les offres vont pleuvoir, à un moment de sa vie où il faut bien le dire, la situation devenait critique.
Florelle tournera de bons films, enregistrera des chansons magnifiques, mais elle alignera également une kyrielle de sottises qui finiront par lasser le public le plus assidu. A la fin des années 30, sa cote est en chute libre. On ne peut pas tourner que des chefs d’œuvres quand on tourne 40 films en 5 ans! Au passage elle avait trouvé le temps d’épouser le fils du propriétaire du Moulin Rouge, Marcel Fouqueret mais elle demandera le divorce en 1940 pour être tombée follement amoureuse d’un des fils Amar du cirque du même nom! Elle revient à ses premières amours, le music hall, mais le public ne se dérange plus. Elle ouvre alors un café à Montmartre, « Chez Florelle », où le soir venu elle régale ses clients de quelques-uns de ses grands airs. La guerre, c’est triste à dire, vint bien à propos pour la star déchue mais orgueilleuse.
Elle hurla sur les toits son mépris pour l’occupant (ce qui était vrai) et son refus catégorique de tourner pour la « Continental » (ce qui était faux dans la mesure où on ne lui avait rien demandé). Elle entrera en résistance, sera arrêtée trois fois par la gestapo. En 1944, alors qu’elle n’est pas à Paris, les Allemands saccagent son appartement et le dévalisent emportant jusqu’au téléphone et le lavabo! Elle sera médaillée à la libération mais ne recevra aucune offre de film ou de revue. Tout le monde ne crut pas ces lamentations à propos de la mise à sac de son appartement et le vol de ses biens les plus précieux. Tout le monde la savait déjà en situation précaire avant la guerre. Par contre elle décrivit si bien ses fabuleux trésors qu’elle écopa d’un redressement fiscal qui acheva de la mettre sur la paille!
Elle s’exila au Maroc après Bruxelles où elle ouvrit un autre « Chez Florelle » en attendant que ça se passe. Il y eut des « Chez Florelle » jusqu’en Côte d’Ivoire! « Des affaires où j’ai toujours investi et où j’ai toujours été exploitée et escroquée« Elle tentera alors de renouer avec sa carrière envolée. Mais le temps avait passé et elle était maintenant une dame prématurément vieillie. Elle s’était remariée avec un dompteur d’ours blancs mais ce mariage là n’avait pas fait plus long feu que d’autres. On lui propose des figurations, des gérances de bistrots populaires.
Pourtant il y aura une rémission dans l’enchaînement de ses misères. On la laisse se produire dans un cabaret pour le moins obscur « Le Saint Yves »! Le risque n’est pas grand, c’est l’époque où les artistes sont payés « au chapeau ». Mais le miracle se produit. Florelle est fascinante, ensorcelante comme l’ont été Fréhel, Damia ou Berthe Silva. Le cabaret se remplit, le tout Paris se déplace. Cocteau entre autres. l’actrice Simone Paris vient chaque fois qu’elle peut flanquée d’un journaliste ou d’un producteur. Plus tard Simone se souviendra: « Elle entrait en scène come une pauvre petite chose misérable et souffreteuse dans une robe de satin noir. traverser la petite scène pour aller s’accouder au piano semblait déjà un exploit. Mais dès le premier accord, de cette pauvre chose surgissait Florelle, la Florelle de « L’Opéra de quat ‘sous » dont elle chantait le grand air comme si elle avait 20 ans. »
La journée elle était gérante d’un bistrot minable « Le camélia Bar », 23 bis avenue Junot. Elle avait fiché derrière le bar une banderole blanche et rouge « Chez Florelle » espérant sans doute attirer quelque chaland de plus. Quand on la reconnaissait elle semblait plus triste encore et laissait tomber d’un ton amer « La vie ca pourrait être tellement formidable si ca n’était pas si déguelasse« .
En 1956, Florelle se retire. Non sans avoir aligné deux rôles dans des films de prestige où elle fut tout simplement fantastique. l’obstination de son admiratrice avait payé! Elle fut maman Coupeau dans « Gervaise » puis la belle mère de Gabin dans « Le Sang à la Tête ». On découvrait là une actrice d’une force et d’une justesse inouïe mais c’était un peu tard.
Florelle en avait soupé. Le film terminé elle quitta à jamais ce Paris dont elle avait été une des plus jolies fleurs pour n’y plus jamais revenir.
Elle regagna sa chère Vendée où elle possédait toujours malgré ses plaintes désespérées une très belle villa au bord de la mer. Les choses auraient pu s’arrêter là mais c’était mal connaître Florelle qui ouvrit aux Sables d’Olonne un énième « Chez Florelle ».
Grièvement blessée dans un accident de voiture elle ne récupéra jamais de toutes ses blessures et c’est une vieille dame diminuée qui s’éteignait dans la souffrance le 28 Septembre 1974. La douleur avait eu raison de son courage et de ses dernières forces. Florelle mourrait seule en hôpital psychiatrique.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1923: L’Affaire de la Rue de Lourcine: Avec Maurice Chevalier
1923: Gonzague: Avec Maurice Chevalier, Marguerite Moreno et Nina Myral
1930: Mon Coeur Incognito: Avec Mady Christians et Jean Angelo
1930: Le Procureur Hallers: Avec Colette Darfeuil et Jean-Max
1931: Le Poignard Malais: Avec Charlotte Barbier-Krauss et Gaby Basset
1931: Autour d’une Enquête: Avec Annabella et Colette Darfeuil
1931: L’Opéra de Quat’ Sous: Avec Albert Préjean
1931: Gagne ta Vie: Avec Dolly Davis et Victor Boucher
1932: Tumultes: Avec Charles Boyer
1932: La Dame de chez Maxim’s: Avec André Lefaur
1933: Mimosa Bar: Avec Jim Gerald
1933: La Femme Nue: Avec Raymond Rouleau
1935: Amants et Voleurs: Avec Arletty et Michel Simon
1935: Les Dieux s’amusent: Avec Jeanne Boitel et Henri Garat
1936: La Marmaille: Avec Pierre Larquey et Hélène Perdrière
1938: Clocloche: Avec Denise Bosc et Pierre Larquey
1940: Sixième Etage: Avec Janine Darcey et Pierre Brasseur
1945: Les Caves du Majestic: Avec Suzy Prim, Denise Grey et Albert Préjean
1955: Oasis: Avec Michèle Morgan et Pierre Brasseur
1956: Gervaise: Avec Maria Schell et François Périer
1956: Le Sang à la Tête: Avec Jean Gabin