Emmanuelle riva

Emmanuelle Riva est la grande inclassable du cinéma. On ne pense jamais à elle pour le florilège des grandes beautés du cinéma français alors que son visage d’une pure beauté académique vaut bien les ravissants minois des Viviane Romance, Martine Carol, Brigitte Bardot, Mireille Darc ou Catherine Deneuve. Elle n’est pas non plus catégorisée, étiquetée dans une catégorie d’actrices bien précise. Elle n’est pas une grande vedette populaire, elle n’est pas une actrice nouvelle vague. On la considère parfois comme une « actrice intellectuelle » ce qui ne veut rien dire et…Ce qu’elle n’est pas!

Emmanuelle Riva c’est une sobriété, un jeu retenu dans ses nuances et ses délicatesses. C’est une actrice qui fait du cinéma comme d’autres femmes vont faire la classe, vendre des chaussures ou des parfums. Elle est au « star système  » et au « show business » ce que le robinet de cuisine est à la piscine Hollywoodienne.

Emmanuelle Riva naît dans les Vosges, à Chéniménil le 24 février 1927.

Déjà presque tout est dit. Elle restera une gentille dame des Vosges. Même si dès sa plus tendre enfance elle éprouve une fascination presque violente pour les arts de la scène et le métier d’actrice en particulier, elle se considère pour ce qu’elle est. Une petite fille de famille d’immigrés italiens vivant paisiblement dans un joli village des Vosges. Elle est Paulette Germaine Riva, fille d’artisan. Son papa peint des enseignes pour les commerces et elle n’en est pas peu fière. Paulette, elle, sera couturière! C’est décidé!

Paulette serait vraiment heureuse si elle n’était pas passionnée de lecture, avide de beaux textes et tenaillée par une furieuse envie de les interpréter! Sans ses textes elle ignorerait qu’il existe un ailleurs, un « autre chose », que son village n’est pas tout.

Elle intègre une troupe de comédiens amateurs qui sévissent dans la région et se régale sur les tréteaux de province. Elle en est convaincue, maintenant qu’elle s’y est frottée, le théâtre est bel et bien sa vocation. Le temps passé à coudre ne sera dorénavant plus que du temps perdu.

Nous sommes en 1952, Paulette a 25 ans. Il est trop tard pour tenter le conservatoire, elle a passé la limite d’âge pour s’y inscrire. C’est décidé, elle monte à Paris pour « faire l’actrice ». Elle aurait dit à sa famille qu’un souteneur lui avait réservé un mètre de ruban à Pigalle l’effet n’aurait pas été plus désastreux! Elle devenait putain!

emmanuelle riva

Alors elle tente le tout pour le tout: Les cours de la rue Blanche où elle est reçue. Elle commence son apprentissage de comédienne. Elle ne vas pas tarder à débuter en scène dans une mise en scène de « Le héros et le soldat » par René Dupuy alors directeur du théâtre Gramont.

Paulette devenue Emmanuelle ce qui est quand même plus inspirant débute à la télévision et fait ses premières armes au cinéma en devenant la secrétaire de Jean Gabin dans « Les Grandes Familles » de Denys de la Patellière. Elle aurait pu tomber plus mal!

 Mais c’est l’année suivante, en 1959 que tout va se jouer pour Emmanuelle. Alain Resnais alors rigoureusement inconnu prépare son premier film. Un film qui ne manque pas d’ambition: « Hiroshima mon amour » sera tourné au Japon dans la ville martyre.

Un projet pour le moins ambitieux. Resnais qui n’a jamais tourné que des documentaires, certes très engagés, est d’une exigence absolue! Parce qu’elle n’est pas assez impliquée, Resnais répudie Françoise Sagan qu’il avait choisie pour écrire le scénario. Il se tourne alors vers Simone de Beauvoir puis, incompatibilité d’humeur faisant, il choisit Marguerite Duras.

Il repère Emmanuelle au théâtre, la rencontre, et subjugué par sa voix il lui propose le personnage. Le personnage sans nom de son film, le rôle de « Elle ». La comédienne s’enthousiasme. Le sujet la passionne. Elle profitera du tournage pour photographier tout ce qu’elle voit. Un comble puisque son partenaire n’arrête pas de lui dire dans le film « Tu n’as rien vu à Hiroshima ».

Le film fait l’effet d’une bombe! Mais d’une bombe culturelle, cette fois! Toutes les critiques crient au chef d’oeuvre absolu mais les choses ne sont pas si simples. André Malraux en personne doit batailler contre le ministère des affaires étrangères pour que le film soit sélectionné au festival de Cannes. Duras de son côté doit batailler contre une armada de détracteurs qui voient dans le film un pamphlet anti nationaliste! La nouvelle vague quant à elle clame à tout va qu’Alain Resnais est « un des leurs » Chabrol crie au génie: « C’est le plus beau film que j’ai vu depuis 500 ans ». Godard se lamente comme à son habitude « Je suis jaloux! Oui je suis jaloux d’Hiroshima mon amour »

Emmanuelle plane un peu au dessus de toute cette agitation. Elle sélectionne parmi les milliers de photos qu’elle a prises, celles qui méritent une publication. Mais le film a un impact sur elle comme sur le reste du monde. Tout d’abord elle s’est liée d’amitié avec Marguerite Duras. Et puis surtout, les propositions pleuvent sur sa gracieuse tête!

Elle tournera quatre films en 1960! L’expérience de « Adua et ses compagnes » fut sans doute la plus surprenante du lot.

Emmanuelle ne souhaite pas être « étiquetée » et non seulement elle s’exporte, vers l’Italie en l’occurrence, mais elle se prête volontiers à un cinéma moins engagé. « Adua et ses compagnes » ne risque pas de provoquer les polémiques du film de Resnais.

De nouvelles lois ayant provoqué la fermeture des maisons closes, madame et ses filles se recyclent et ouvrent un restaurant. Voilà toute l’intrigue et ce qui va se passer derrière les caméras n’aura aucun mal à être bien plus palpitant.

Pour être Adua, Simone Signoret débarque, blonde platinée et Oscar sous le bras, en droite ligne d’Hollywood! Hollywood où elle a laissé Yves Montand soumis aux mille sortilèges de Marilyn Monroe. Malgré la désinvolture que Simone Signoret affichera toujours à propos de la liaison Montand-Monroe, force est de constater qu’en 1960, ça ne fait pas ses affaires! La seule chose dont elle a envie, c’est de rentrer dare-dare à Hollywood veiller au grain! Et le dernier endroit de la terre où elle a envie de se trouver, c’est sur un plateau de cinéma en Italie à jouer les maquerelles déclassées touillant dans une marmite de pâtes!

Alors Simone Signoret ourdit des complots dans le but de purement et simplement faire capoter le film et rentrer libérée de son contrat en Amérique pour allonger une patate à sa rivale platinée! Elle crut judicieux de former avec Emmanuelle le « clan des intellectuelles » et dit pis que pendre de la production espérant faire naître la révolte et la sédition. Mal lui en pris car Emmanuelle s’était liée d’amitié avec les producteurs et n’avait qu’à se féliciter de leur travail. Elle envoya donc la mère Simone se faire voir avec son oscar en termes fort choisis n’hésitant pas à lui dire qu’elle l’avait vue arriver de loin avec ses gros sabots et ses basses manœuvres!

Simone quittera le plateau moins de cinq secondes après sa dernière scène sans un mot pour personne! Ce dont Emmanuelle se fichait souverainement! Elle n’avait que faire des machiavélismes à la petite semaine d’une Simone Signoret et se préparait à vivre l’enfer des camps de concentration dans son film suivant: Kapo. Un nouveau triomphe qui se fraiera un chemin jusqu’aux Oscars!

Si l’année suivante Emmanuelle Riva fut moins présente, on ne perdait rien pour attendre et elle ne risquait pas de se laisser oublier. C’est l’année du fantastique Léon Morin prêtre de Jean-Pierre Melville avec Jean-Paul Belmondo dans ce qui est sans doute sa plus magistrale interprétation.

Emmanuelle Riva tourne depuis trois ans et aligne déjà trois chef d’œuvres à son actif. Beaucoup de comédiennes ne peuvent pas en dire autant sur toute leur carrière et elle va surprendre encore avec « Thérèse Desqueyroux » sans doute sa plus magistrale interprétation.

C’est alors que la machine se grippe.

Les films merveilleux que tourne Emmanuelle Riva ne sont pas de joyeuses polissonneries ou de gaies gaudrioles en costume. On parlera de « caméra scalpel » pour plusieurs d’entre eux. Elle n’est pas une actrice populaire et le public en ce début des années 60 se lasse des « intellectuelles ». Monica Vitti n’est pas la seule à connaître « L’Eclipse », Jeanne Moreau et Emmanuelle Riva font partie de celles que l’on boude. Son incursion dans la comédie italienne en 1965 avec « Io uccido, tu uccidi » ne convainc pas grand monde ni elle-même. Elle y joue une intellectuelle effacée et plutôt godiche qui pour innocenter Jean-Louis Trintignant accusé de meurtre se fait elle-même assassiner par le même tueur!

Il faudra attendre 1967 pour la retrouver pleine de justesse et de sobriété en épouse de Jacques Brel, instituteur de province accusé de viol dans « Les Risques du Métier » de Cayatte.

Il ne faudrait pas faire d’Emmanuelle Riva une chômeuse pour autant. Les films qu’on lui proposent sont moins intéressants. Ceux qu’elle tourne déçoivent ses attentes et celles d’un public déjà boudeur et plus exigeant avec elle qu’avec n’importe qui d’autre. Reste la télévision et surtout son cher théâtre. Elle sert Gorki, Pirandello, Pinter, Shakespeare, Audiberti…

Elle sera la première à reconnaître que « sa grande période c’est le début des années 60″ Après ça…. Alors elle écrit, elle publiera trois recueils de poésie.

Elle s’achète un petit pavillon tout simple dans le village de son enfance. Un village traversé par la Vologne qu’elle aime tant et qui sera le théâtre de l’affaire criminelle la plus médiatisée de son temps.

Elle va vivre plus de 30 ans le plus simplement du monde dans son village des Vosges, s’occupant des fleurs de son jardin où cirer ses meubles de famille de bon chêne clair. Et puis elle joue, elle tourne. Maintenant que le nom d’Emmanuelle Riva ne délie plus le cordon des bourses de producteurs elle serre d’un cran le niveau de ses exigences.

Elle devient un élégant rouage du septième art sans briguer de rutilants lauriers de superstar. Elle n’a aucune amertume, aucun regret si ce n’est la mort de son cher Georges Franju qui décède avant de tourner un « Fantômas » qui devait les réunir et dont elle adorait le scénario.

Et puis, soudain, le miracle le plus inattendu qui soit. En 2012 le film « Amour » de Michael Haneke  fait un triomphe mondial et fait d’Emmanuelle Riva la star de l’année à 85 ans! Le film triomphe à Cannes. Emmanuelle emporte le césar de la meilleure actrice et s’envole dans la foulée vers Hollywood où elle est nommée aux Oscars.

Le film récoltera à travers le monde 78 Awards!

Le monde soudain la redécouvre, elle fascine, envoûte, bouleverse. Emmanuelle retrouve son statut d’interprète mythique un demi-siècle après « Hiroshima mon amour ».

Si Jean-Louis Trintignant son partenaire fabuleux avoue sa fatigue avant de révéler la maladie dont il souffre, Emmanuelle semble galvanisée, remise sur orbite et enchaîne les tournages dont elle se régale même si, elle aussi, est guettée par la maladie.

Le vendredi 27 janvier 2017, Emmanuelle Riva s’éteint emportée par le cancer contre lequel elle luttait en toute discrétion depuis quatre ans. Elle aurait fêté ses 90 ans un mois plus tard.

Elle aura tourné jusqu’à la toute fin de sa vie, ses deux derniers films sortiront de manière posthume. Son dernier film, « Alma » étant un film…Islandais! la curiosité, l’avidité de la découverte l’exploration d’autres horizons, d’autres cinémas ne l’avaient pas quittée!

Elle repose comme elle a vécu, dans le petit cimetière sans prétention de Charonne, à proximité de la médiathèque Marguerite Duras qui semble ainsi veiller symboliquement à la fois sur son patrimoine et son sommeil

Celine Colassin

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QUE VOIR?

1958: Les Grandes Familles: Avec Jean Gabin

1959: Hiroshima mon Amour: Avec Eiji Okada

1960: Recours en grâce: Avec Raf Vallone et Annie Girardot

1960: Adua et ses Compagnes: Avec Simone Signoret, Sandra Milo et Marcello Mastroianni

1960: Kapò: Avec Susan Strasberg et Laurent Terzieff

1961: Léon Morin, prêtre: Avec Jean-Paul Belmondo

1962: Thérèse Desqueyroux: Avec Philippe Noiret

1962: Climats: Avec Marina Vlady, Alexandra Stewart et Jean-Pierre Marielle

1963: Le ore dell’amore: Avec Ugo Tognazzi et Barbara Steele

1964: Le gros coup: Avec Hardy Krüger

1965: Io uccido, tu uccidi: Avec Dominique Boschero

1965: Thomas l’imposteur: Avec Fabrice Rouleau et Jean Servais

1965: Le coup de grâce: Avec Danielle Darrieux et Michel Piccoli

1967: Les Risques du Métier: Avec Jacques Brel

1971: L’homme de désir: Avec François Timmerman

1980: Le règlement intérieur: Avec Patrick Chesnais

1981: Les jeux de la Comtesse Dolingen de Gratz: Avec Carol Kane et Michael Lonsdale

1982: Y a-t-il un Français dans la salle? : Avec Jacqueline Maillan, Jacques Dutronc et Victor Lanoux

1983: Un homme à ma taille: Avec Anémone et Thierry Lhermitte

1987: Funny Boy: Avec Valérie Mairesse et Anaïs Jeanneret

1990: La passion de Bernadette: Avec Sydney Penny

1991: Pour Sacha: Avec Sophie Marceau et Richard Berry

1993: Trois couleurs: Bleu: Avec Juliette Binoche

1995: Dieu, l’amant de ma mère et le fils du charcutier: Avec Lio et Francis Huster

1995: XXL: Avec Gerard Depardieu et Gina Lollobrigida

1999: Vénus beauté: Avec Natalie Baye et Bulle Ogier

2008: Un homme et son chien: Avec Jean-Paul Belmondo

2008: Le grand alibi: Avec Miou-Miou et Lambert Wilson

2009: Je ne dis pas non: Avec Sylvie Testud

2011: Le Skylab: Avec Bernadette Lafont

2012: Amour: Avec Jean-Louis Trintignant

2016: Paris pieds nus: Avec Pierre Richard

2017: Alma: Avec Snæfríður Ingvarsdóttir

 

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