Il serait juste que je me penche maintenant sur une de ces créatures faites de perfection distante, j’ai nommé Eleonora Rossi Drago.
Eleonora Rossi Drago fut incontestablement la plus pure des beautés parmi les actrices de sa génération doublée d’une artiste au talent très affûté et d’un statut de très grande star en Italie. Mais par un étrange fait du hasard, sa gloire ne dépassa jamais les frontières natales de l’actrice. Elle n’atteint jamais à une renommée internationale alors que triomphaient les Pierangeli, les Loren, les Lollobrigida, les Lisi, les Cardinale et même les Podesta.
La belle Eleonora fut pourtant dirigée par les plus grands noms du cinéma italien comme Luigi Comencini, Vittorio Gassman, Francesco Rosi, Michelangelo Antonioni ou Giuseppe de Santis dont les œuvres s’exportaient magnifiquement. Mais par cet étrange coup du sort, les films où ils dirigèrent Eleonora firent exception à la règle. Et ce, même si elle y donnait la réplique à Vittorio Gassman, Raf Vallone, Marcello Mastroianni ou Jean-Louis Trintignant . Plus encore, si parmi les grands noms qui la dirigèrent on trouve aussi John Huston, Julien Duvivier, Henri Decoin ou François Truffaut, on s’étonnera d’autant plus de cette gloire restée nationale.
La future Eleonora Rossi Drago naît le 23 Septembre 1925 au bord de la mer, à Gênes. Elle est pour l’état civil Palmina Omiccioli.
Si sa maman est une italienne pure souche, son père est Espagnol, officier de marine qui la rencontra un jour qu’il faisait escale à Gênes.
A 17 ans, la petite Palmina va donner du fil à retordre à ses parents. Elle veut se marier avec un bellâtre de passage. Devenue madame Rossi, elle met au monde sa petite fille Fiorella. Époux et père de famille, voilà deux responsabilités qui firent fuir monsieur Rossi jusqu’au fond de l’Argentine et ce d’une manière aussi instantanée que définitive!
Palmina se retrouve seule pour élever sa fille. Elle gagne Rome où elle travaillera dans un grand magasin avant d’en présenter les collections. Piquée de mode, elle se rêve styliste et espère bien faire carrière et fortune en dessinant des robes. Et comme sa beauté lui a ouvert les portes du mannequinat, elle tente sa chance à l’élection de miss Italie 1947. La concurrence fut rude! Si Lucia Bose rafla le titre, Gina Lollobrigida, Gianna Maria Canale et Silvana Mangano avaient pourtant bataillé ferme! Palmina fut quatrième derrière Gina Lollobrigida.
Mais la belle Génoise avait tapé dans l’œil d’un cinéaste, et pas n’importe lequel: Luigi Comencini.
L’élégance naturelle et racée de la jeune femme va lui permettre de lui confier des rôles de prostituée qu’elle saura préserver de la vulgarité et de la médiocrité en leur conférant une dignité qui n’aurait probablement pas été à la portée d’autres actrices. La mode étant hélas aux petits nez de pékinois, une presse acerbe discuta longuement du nez d’Eleonora comme on avait palbré sur celui de Juliette Gréco et de Cléopâtre avant elles. Silvana se résolut donc à un coup de bistouri pour équilibrer un visage qui devenu plus commercial en fut moins spirituel.
Après quelques petits rôles que l’on qualifiera de rôles d’apprentissage, en 1952, Luigi Comencini la propulse au firmament des stars avec « La Traite des Blanches ». Elle y éclipse Silvana Pampanini pourtant bien plus tapageuse et célèbre qu’elle. Pouvait-elle se douter alors que déjà le destin se tramait dans l’ombre? Dans l’ombre de la figuration où rôdait une certaine Sofia di Lazzarone qui n’allait plus tarder à devenir Sophia Loren!
Deux ans plus tard, en 1954, Eleonora Rossi Drago est considérée comme la « grande dame » du cinéma italien, soufflant le titre au nez pourtant spirituel de Silvana Mangano! Elle est présentée à la reine d’Angleterre à l’égale de Sophia Loren, Gina Lollobrigida et Gianna Maria Canale.
Dès 1955 sa carrière s’internationalise, elle tourne pour Duvivier et son prestige s’accroît encore puisque Luchino Visconti la dirige sur scène face à Marcello Mastroianni dans « Oncle Vania », ce qui oblige Michelangelo Antonioni à attendre son tour pour pouvoir la diriger au cinéma.
Eleonora Rossi Drago aborde les années 60 littéralement déifiée par le cinéma italien. Sophia Loren est en passe d’être oscarisée à Hollywood comme l’ont été Anna Magnani et Marisa Pavan. Anna Maria Pierangeli est elle aussi une star hollywoodienne de première grandeur, Gina Lollobrigida a mis le monde entier à ses genoux et le prestige de Silvana Mangano est immense. Étrangement, Eleonora qui n’est ni moins belle ni moins talentueuse reste en retrait. Elle ne devient pas une star internationale alors même que le monde entier ne jure que par les actrices italiennes!
La grande vedette ne semble pas s’en offusquer outre mesure. Mais après les années 50, ce sont les années 60 qui vont défiler sous les mêmes auspices et aux mêmes conditions. Eleonora en plus de sa beauté exceptionnelle a une magnifique chevelure d’un châtain profond avec des reflets naturels d’automne et aime à faire savoir qu’elle déteste les perruques. Ceci sans doute parce que certaines de ses plus illustres rivales ne sortent jamais de chez elles sans coiffer la nouvelle moumoute du jour. Mais en 1963, Eleonora qui aligne trois films a la suite se retrouve confrontée à un problème inattendu. Les tournages ont pris du retard et elle jongle littéralement entre les trois plateaux. Or si dans un film elle a sa couleur naturelle, elle est rousse dans le second et blonde dans le troisième! Elle changera de couleur de cheveux neuf fois en trois mois et son coiffeur personnel aussi exténué qu’exaspéré refusera de venir aux premières de ses films!
Eleonora Rossi Drago a 40 ans en 1965 et si elle reste somptueuse elle n’est plus l’affolante créature de 1947. Le temps passe pour elle aussi. A force d’attendre l’heure de la renommée internationale, l’actrice se rend compte qu’elle est passée et n’a sonné que pour d’autres.
Et en Italie aussi, le temps a passé et son statut, insensiblement, s’est mis à chanceler. La star des premiers rôles va maintenant servir la soupe à d’autres actrices et c’est pour elle que c’est le dur à avaler. Supportant mal la gloire qui décline au rythme de la beauté qui s’efface, Eleonora sombre dans la dépression.
En 1970 Eleonora renonce définitivement à sa carrière. Elle vient de tourner un ultime film d’horreur de série Z ou la production l’a jetée en pâture à des psychopathes sanguinaires flanquée d’une autre dégringolade: Anna Maria Pierangeli.
Le film terminé on ne les reverra plus jamais.
Anna Maria s’éteint, Eleonora épouse un richissime homme d’affaires Sarde, Dominico la Cavera ce qui fait d’elle une baronne.
Elle se retire à Palerme dès 1970 et c’est là qu’elle s’éteint 37 ans plus tard, fauchée par une hémorragie cérébrale le 2 Décembre 2007, peu de temps après avoir fêté ses 82 ans.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1951: L’Ultima Sentenza: Avec Charles Vanel, Antonella Lualdi et Jacques Sernas
1952:La tratta delle bianche: Avec Mark Lawrence , Vittorio Gassman et Silvana Pampanini
1952: La Fiammata: Avec Amedeo Nazzari
1953: L’Esclave: Avec Daniel Gélin et Barbara Laage
1954: Destinées: Avec Claudette Colbert
1954: L’Affaire Maurizius: Avec Daniel Gelin
1955: Donne Sole: Avec Ettore Mani et Gianna Maria Canale
1955: Le Amiche (Femmes entre elles): Avec Gabriele Ferzetti
1956: Kean: Avec Vittorio Gassman
1956: Meurtre à l’Italienne: Avec Claudia Cardinale et Pietro Germi
1957: Tous Peuvent me Tuer: Avec Anouk Aimée et François Perier
1958: La Tour, Prends Garde! Avec Jean Marais et Nadja Tiller
1959: Le Fric: Avec Jean-Claude Pascal, Raymond Rouleau et Roger Hanin
1959: Il prezzo della gloria: Avec Roberta Benedetti et Pierre Cressoy
1959: Estate violenta: Avec Jean-Louis Trintignant
1959: Vacanze d’inverno: Avec Michèle Morgan, George Marchal et Vittorio de Sica
1959: Un maledetto imbroglio: Avec Claudia Cardinale et Nino Castelnuovo
1960: Sotto dieci bandiere: Avec Mylène Demongeot et Van Heflin
1960: La Garçonnière (Flagrant Délit): Avec Raf Vallone
1960: Die Rote Main: Avec Hannes Messemer
1961: Caccia all’uomo: Avec Yvonne Furneaux et Umberto Orsini
1961: Tiro al piccione: Avec Jacques Charrier
1962: Âme Noire: Avec Nadja Tiller, Annette Stroyberg et Vittorio Gassman
1962: Tiro al piccione: Avec Franco Balducci et Jacques Charrier
1962: L’Amour à Vingt Ans: Avec Marie-France Pisier et Jean-Pierre Léaud
1962: Les Don Juans de la Côte d’Azur: Avec Annette Stroyberg Vadim, Coccinelle et Martine Carol
1964: Amore Facile: Avec Vittorio Caprioli et Philippe Leroy
1964:Il treno del sabato: Avec Claudio Gora
1964: Se permettete parliamo di donne : Avec Vittorio Gassman
1965: Io uccido, tu uccidi: Avec Thomas Milian
1966: Mano di velluto: Avec Dominique Boschero et Paolo Ferrari
1966: The Bible: In the Begining: Avec Gabriele Ferzetti
1969: Gli angeli del 2000: Avec Petra Angeli
1969: Camille 2000: Avec Danièle Gaubert et Nino Castelnuovo
1970: Dorian Gray: Avec Helmut Berger, Margaret Lee et Isa Miranda
1970: Nelle pieghe della carne: Avec AnnaMaria Pierangeki et Fernando Sancho