La gracieuse Dorothy Jordan qui vint au monde le 9 Août 1906 à Clarksville dans le Tennessee fut une étoile filante à la fois très étoile et très filante! J’ignore par quel biais l’aspirante actrice débarqua un jour à Hollywood et s’y retrouva projetée sur le plateau de « La Mégère Apprivoisée ». Le rôle était fort étrangement tenu par Mary Pickford. Laquelle voulait sans doute à montrer au monde qu’elle savait faire autre chose à l’écran que de caresser des petits lapins blancs avant que des brigands noirauds et moustachus ne la kidnappent!
Dorothy jouait Bianca, à la fois bien plus gracieuse et bien plus crédible que Mary. Et si »La Mégère Apprivoisée » n’était pas son premier film, Dorothy était déjà apparue une fois ou deux à l’écran, il était le premier où elle se faisait vraiment remarquer. Sans doute même, devrais-je dire « admirer ». A l’heure où une kyrielle de stars se fracassaient dans l’échec cuisant de leurs essais parlants, nous étions en 1929, Hollywood se frotta les mains! Une actrice qui savait parler! Jouer Shakespeare! Et dont le plumage valait largement le babil. Il n’en fallait pas tant pour qu’Hollywood déroulât ses tapis d’or sous les pieds menus de la belle Dorothy Jordan. Mettons nous un peu à la place de ces pauvres dirigeants de studios qui voyaient leurs belles des belles condamnées au silence éternel de leur retraite silencieuse. Et en même temps voyaient débarquer de Broadway des actrices à la langue bien rôdée mais à la tête un peu désespérante! Barbara Stanwyck et Bette Davis vidaient les salles de cinéma au moins aussi bien que les croassements de grenouille que Norma Thalmadge ou Mae Murray avaient en guise de voix.
En bref, il y avait celle que l’on voulait bien entendre mais ne pas voir et leur opposé exact, celle que l’on voulait bien voir mais pas entendre! Le dilemme était de taille! Que choisir? Garbo elle-même, fleuron de la M.G.M gardait le silence. On craignait que sa voix de camionneur déclenche les hilarités! (ce qui ne fut pas le cas!)
Et dans tout ce charivari, cette naissance d’un nouveau monde et la destruction des anciens mythes, surgit, comme par enchantement, la belle Dorothy Jordan!
C’est bien simple, on lui donna presque tous les rôles « à texte! » Seules à la M.G.M subsistaient Norma Shearer, Joan Crawford et Jean Harlow parmi les « standing ladies ». Le sort de Garbo n’étant pas comme je l’ai dit, encore scellé. Dorothy Jordan parla donc, et à un rythme effréné! Les tournages s’enchaînèrent à vive allure et elle fut d’emblée parachutée non seulement au sommet des affiches, mais également dans les bras des plus beaux séducteurs causants des écrans!
Pour tous, le bonheur est à son comble, studio et public sont ravis, Dorothy Jordan est la première star hollywoodienne née du micro! Mais qui aurait pu croire que cette situation pourtant idyllique serait si brève?
En 1933 déjà Dorothy annonce sa ferme résolution d’abandonner le cinéma pour n’être plus que l’épouse de l’homme de sa vie, Merian C. Cooper, le cinéaste qui vient précisément de co-écrire, produire et réaliser « King Kong » La M.G.M s’affola, certes, mais pas outre mesure, on sait ce que donnent les « inébranlables » vies de familles entre gens du métier! D’autant que Merian était 13 ans plus vieux que sa star de jeune épousée et Polonais! Avec un peu de chance, leur vedette reviendrait, docile, repentante et divorcée dans six mois!
Mal leur en prit car ces deux là resteraient unis jusqu’à la mort de Merian le 21 Avril 1973, date fatidique où il perdit sa bataille contre le cancer. Le couple avait eu trois enfants, un fils d’abord et deux filles ensuite.
Dorothy resta intraitable ou presque sur sa décision. Elle faillit fléchir lorsqu’un référendum organisé par un magazine la désigna comme la « Mélanie Wilks » idéale pour « Autant en Emporte le Vent » que préparait Selznick. Le rôle lui plaisait et elle fut touchée d’être plébiscitée par le public qui ne l’avait toujours pas oubliée cinq ans après son dernier film et la gardait chère à son coeur.
Mais Selznick in fine préfèrera confier le rôle à une actrice qu’il avait sous contrat: Joan Fontaine. Laquelle d’ailleurs, briguant les crinolines de Scarlett, refusa net, vexée comme un pou et fourgua le rôle à sa soeur Olivia de Havilland. Loin de décevoir Dorothy, ces chamailleries autour d’un rôle, la confirmèrent dans sa volonté de s’éloigner du cinéma pour d’autres horizons bien plus valorisant à ces yeux: celui de sa famille.
On la reverra pourtant, mais non par ambition, ni par nostalgie et encore moins par volonté de se survivre dans les mémoires. Mais simplement notre couple de jeunes mariés idéaux était très proche du réalisateur John Ford. C’est par amitié pour lui qu’elle acceptera de réapparaître sous les sunlights hollywoodiens. Comme Dolorès del Rio, d’ailleurs qui faisait aussi cette faveur au roi du western. Son mari avait été relativement plus pétardier. Il avait soutenu avec beaucoup d’entrain le sénateur Joseph MacCarthy dans sa lugubre chasse au communisme puis s’était rangé en créant la Pan American Airways avec quelques vieux compagnons de route!
Dorothy était restée très éloignée des convictions et des affaires de son mari.
C’est une femme heureuse qui s’éteint le 7 Décembre 1988, emportée par une insuffisance cardiaque qui avait peu à peu miné sa santé. Dorothy Jordan avait 82 ans.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1929: Black Magic: Avec Joséphine Dunn
1929: La Mégère Apprivoisée: Avec Mary Pickford
1930: Love in the Rough: Avec Robert Montgomery
1930: In Gay Madrid: Avec Ramon Novarro
1931: Divers Hell: Avec Clark Gable, Wallace Beery, Conrad Nagel et Marjorie Rambeau
1932: The Wet Parade: Avec Robert Young
1932: The Cabin in the Cotton: Avec Bette Davis et Richard Barthelmess
1933: Striclt Personal: Avec Marjorie Rambeau et Louis Calhern
1956: The Searchers (La prisonnière du désert): Avec John Wayne, Natalie Wood, Vera Ellen et Jeffrey Hunter