Que Doris Kenyon soit bel et bien oubliée aujourd’hui est très injuste car cette belle et bonne comédienne connut non seulement gloire et succès au générique de films prestigieux, mais son destin personnel valait bien une pièce de Shakespeare ou tout du moins un scénario pour succès hollywoodien faisant pleurer les romanesques Margot des chaumières!
La petite Doris vient au monde à Syracuse, précédent Tom Cruise sur les registres de l’état civil de cette ville voisine de New-York.
Nous sommes le 5 Septembre 1897. Les parents de Doris sont des presbytériens ultra pratiquants qui lui donneront une éducation soignée mais sévère. Les plus étourdissantes distractions de la famille étant de chanter dans la chorale de leur église. Qui aurait pu croire qu’aligné sur les bancs parmi les ouailles locales émues et recueillies se tenait un « talent scout » de Broadway qui en oublia qu’il était là pour entendre la sainte parole et n’entendit que la voix céleste de Doris, voix céleste sortant de gosier d’ange!
Ange ou démon, il était trop tôt pour se prononcer. Mais nul doute que James Kenyon, le père de Doris voua ce pauvre hère aux enfers lorsque sa fille pourtant universitaire accepta de paraître sur scène, cet antichambre de l’enfer dans une opérette, « La Princesse Paf »! Avec un titre pareil on ne pouvait même pas appeler le grand art à la rescousse pour trouver quelques excuses à la conduite de Doris devenue aux yeux paternels véritable succube de l’enfer!
En 1915 elle allait aggraver son cas, elle allait tourner un film!
On crut mourir chez les Kenyon, priant pour que cet aveuglement passager de Doris soit sans conséquences et que plus jamais elle ne se compromette devant cette machine dont on n’avait qu’à tourner une manivelle pour voler les âmes! Pas de chance, Doris allait tourner 60 films et achever tout le monde en se pâmant sous une perruque poudrée dans les bras de Valentino, lui aussi surgi des enfers pour devenir » Monsieur Beaucaire ». Doris devient donc une star de cinéma, une très grande star avec tout les accessoires habituels dont la limousine avec chauffeur longue comme un défilé d’autobus, une villa à Beverly Hills avec autant de chambres que l’hôtel George V, il fallait bien ça pour ranger ses robes!
Elle devint une des grandes premières dames du studio Paramount qui lui confiera d’ailleurs la vedette de son premier film parlant: » Interférence » en 1928. Mais lorsqu’enfin la belle Doris put faire profiter le public de ses qualités vocales, ses grandes heures de gloire touchaient déjà à leur fin et le destin lui avait déjà présenté la terrible addition pour tous ses bienfaits. Il y avait dans le Hollywood de l’âge d’or silencieux bien peu de stars ayant la parfaite éducation , la culture et les manières châtiées de Doris Kenyon. Elle avait pourtant trouvé le grand amour dans la Babylone du cinéma, un grand amour digne d’elle: l’acteur Milton Sills.
La gloire de Milton Sills s’est elle aussi perdue dans les méandres de plus en plus sombres de l’oubli collectif. Et pourtant!
Sills, fils d’un richissime propriétaire minier et d’une non moins richissime fille de banquiers était d’une beauté fabuleuse et virile qui éclaboussait les écrans. L’homme avait quitté un poste de chercheur à l’université de Chicago pour se consacrer au cinéma où il faisait littéralement fureur. Sa prestance virile et son profil grec plus célèbre que celui de John Barrymore faisaient se pâmer des armées de femmes en délire et pâmoison perpétuel. Il suffisait de prononcer le nom de Milton Sills pour que neuf femmes sur dix s’évanouissent instantanément! Même pas besoin d’aller le voir au cinéma!
Il avait donné la réplique à Doris dans un film et trouvé en elle l’épouse parfaite convenant en tout point à son tempérament mais aussi à sa gloire et à son éducation. Si le couple Mary Pickford-Douglas Fairbanks leur soufflait le titre de couple du cinéma américain numéro un, c’était de justesse et si le physique de Milton Sills valait bien celui de Douglas Fairbanks, Doris était bien plus belle que Mary!
Le couple s’unit en 1926, on acheta une limousine plus longue encore et on s’installa dans une villa avec bien plus de chambres à Santa Barbara! L’année suivante, leur fils Clarence vint couronner cette prestigieuse union.
Une seule ombre, mais bien pâle à cet idyllique tableau: Milton avait déjà été marié et était le papa d’une petite Dorothy. Mais à l’heure du mariage avec Doris, le divorce de Milton Sills et Gladys Edith Wynne était déjà prononcé depuis un an, on ne pouvait guère se gausser ni accuser Doris de briseuse de famille! Tout était donc parfait: on était beaux, on s’aimait, le petit Clarence était éblouissant de santé et riait tout le temps, on faisait des films magnifiques, on était payés en brouettes de dollars, le couple Sills se sentait invincible de gloire d’amour et de richesse. En 1930 Milton Sills vient de connaître son plus grand succès « L’Aigle des Mers » qu’il a tourné avec Doris et il est en passe de devenir le numéro un d’Hollywood, grâce à cette voix chaude et bien placée qui complète magnifiquement sa virilité et a doublé le nombre des ses fan évanouies de bonheur!
Mais par un beau soir d’été, Milton qui a passé l’après-midi à peaufiner son prochain livre « Valeurs », un ouvrage philosophique sur les besoins matériels et spirituel des hommes, rejoint sa femme sur leur court de tennis privé pour une petite partie. Après celà il ira dans ses serres surveiller ses expériences horticoles puis il jouera quelques sonates au piano pendant que Doris se changera pour le dîner. Mais soudain Doris voit son mari porter la main à son cœur, fléchir le genou et s’effondrer foudroyé par une crise cardiaque violente. Milton Sills n’avait que 48 ans.
Hollywood est sidéré par la disparition de l’acteur, Rudolph Valentino avait déjà tiré sa révérence de manière aussi brutale, on spécula beaucoup dans les gazettes sur cette étrange malédiction qui foudroyait ces acteurs vénérés et les fauchait en pleine gloire comme une rançon du destin. Doris haussa les épaules en lisant ces sornettes, quitta Santa Barbara aux souvenirs trop douloureux et publia le livre de son mari qui fit autorité sur son époque. Elle revint chez Paramount où elle était sous contrat, tourna les films qu’on lui demandait mais quelque chose manquait dorénavant. Bien plus belle encore qu’à ses débuts, Doris qui avait maintenant 33 ans avait perdu de sa spontanéité joyeuse, le studio craignait pour la cote de sa star.
On lui confia donc la vedette du premier parlant du studio, histoire de faire briller son étoile plus encore et de la flatter un peu au passage car elle parlait parfois de retraite dans ses moments d’abattement. Dès « Interférence » terminé, Doris refusa de reconduire son contrat et disparut des écrans deux ans durant. Elle ne tourna qu’un seul film en 1930, « Beau Bandit » avec Rod la Roque. Elle ne reprendra un rythme de tournage régulier qu’en 1931.
En 1933, Doris Kenyon se remaria avec un richissime homme d’affaires New-Yorkais, denrée devenue rare après le crash de 1929 mais moins d’un an plus tard elle souhaita divorcer pour incompatibilité d’humeur et espaça ses tournages, éprouvant sans doute une incompatibilité d’humeur avec la caméra aussi.
Le cinéma des années 30 n’est pas tendre avec les dilettantes. Le micro a brisé des carrières, il a fallu faire venir tout un peuple d’acteurs « beaux parleurs » puisque maintenant le public payait pour entendre et plus pour voir. Et ces acteurs là, il fallait les faire tourner puisqu’on les payait! Et ces acteurs là étaient rompus au théâtre et donc à sa discipline et à sa rigueur. On ne joue pas du caprice quand on vient de Broadway! Une Stanwyck tournait un film deux fois plus vite qu’une Mae Murray! Le rythme s’accélérait, l’oubli se faisait plus rapide, on résiliait maintenant un contrat pour la moindre faute professionnelle ou pour un insuccès quelconque. Une actrice qui frôlait la quarantaine et vivait à New-York ne risquait pas d’être dans les préoccupations d’un studio bien longtemps! Entre 1935 et 1940, Doris Kenyon ne tournera plus que trois films, les trois derniers dont « L’Homme au Masque de Fer »en 1939 où elle incarne la reine Anne de France.
La star prend alors sa retraite, n’acceptant plus que deux apparition télévisées dans les années 50 avant de s’éteindre dans sa villa de Beverly Hills le 1 Septembre 1979.
Doris Kenyon s’était encore remariée deux fois, deux mariages éphémères car elle avait repris sa liberté définitive dès 1939. Le destin qui l’avait si durement frappée n’en avait pas fini avec elle. Son fils souffrant lui aussi de la même faiblesse cardiaque non diagnostiquée que son père s’écroula sans vie, foudroyé à seulement 43 ans.
C’est également une crise cardiaque qui foudroie Doris Kenyon quatre jours seulement avant son 82 ème anniversaire.
Celine Colassin
QUE VOIR:
1915: The Rack: Avec Milton Sills et Alice Brady
1917: A Girl’s Folly: Avec Robert Warwick
1917: Jimmie Dale, Alias the Grey Seal: Avec Doris Mitchell et E.K. Lincoln
1918: The Inn of the Blue Moon: Avec Harry C. Browne
1922: The Ruling Passion: Avec George Arliss
1924: Monsieur Beaucaire: Avec Rudolph Valentino et Bebe Daniels
1926: Men of Steel: Avec Milton Sills
1928: Interference: Avec William Powell et Evelyn Brent
1928: The Hawk’s Nest: Avec Milton Sills
1930: Beau Bandit: Avec Rod la Roque
1932: Young America: Avec Spencer Tracy
1933: Voltaire: Avec George Arliss
1936: Along Came Love: Avec Irène Hervey
1938: Girl’s School: Avec Ann Shirley et Ralph Bellamy
1939: The Man in Iron Mask: Avec Joan Bennett et Louis Hayward