Le destin à la fois étrange et tragique de Diane Varsi est un des destins les plus surprenants de tous ceux qui jalonnent l’histoire du cinéma américain. Il est pourtant riche en péripéties existentielles de tous genres. Et ce qui rend ce destin encore plus incroyable est cette différence abyssale entre l’image sage et policée qu’elle a pu donner à l’écran et la personne qu’elle fut réellement.
Diane Marie Antonia Varsi naît le 23 Février 1938 à San Mateo en Californie. Sa mère est une Française née à Los Angeles qui s’est toquée pour un court laps de temps d’un jeune et bel Italien désargenté qui pour vivre vend des fleurs dans les boîtes de nuit. Inutile de dire que ce couple fut plus qu’éphémère. La jeune Diane, rebelle avant l’âge ne voudra jamais parler, lorsque la gloire sera venue, de ses années d’enfance. On saura seulement qu’elle se montra toujours réfractaire à tout et principalement à l’enseignement et à la discipline des écoles. Plus d’une fois on enverra cette petite fille batailleuse et revêche se calmer un peu dans des couvents, derrière la secrète sévérité de grands murs hermétiques. Peu importe comment on s’y prend pour faire taire et obéir les enfants! Ce qui ne servira d’ailleurs pas à grand chose. Non seulement la jeune Diane ne se calmera jamais, mais de plus en plus instable elle deviendra fugueuse.
A quinze ans elle se marie avec un homme de dix-huit avant d’être rattrapée une fois encore. Elle donne le jour à un petit garçon qui naîtra bien après que le mariage de ses parents ait été annulé. Dès la fugue suivante, son bébé sous le bras, elle se fait héberger selon ses dires par « une femme écrivain célèbre » qui lui aurait donné le goût de la lecture mais pour qui elle nourrissait une haine féroce tout en refusant de jamais divulguer son nom. Ramenée au bercail, elle se sauve encore et se remarie avec un certain James T. Dickson, elle a dix-sept ans. De guerre lasse, sa mère lui laissa vivre sa vie à San Francisco avec son mari. Mais cette situation là ne dura guère plus que les autres. Elle s’enfuit un jour vers Los Angeles en auto-stop accompagnée d’une amie. Diane Varsi veut vivre sa vie, devenir chanteuse avec les chansons qu’elle compose, écrit et interprète elle-même. Mais à Los Angeles, personne ne voulut l’entendre, fut-ce dans le plus infâme des cabarets pouilleux.
Lorsqu’elle sera devenue une star nommée aux Oscars et que sa photo s’affichera partout, deux godelureaux fils à papa de Los Angeles seront bien surpris de reconnaître en elle cette fille hagarde, à la limite de la clochardisation, qu’ils avaient un jour « ramassée » sur Sunset Boulevard. Diane Varsi, vêtue d’une chemise d’homme, d’un jeans et d’espadrilles traînait, l’air d’avoir atteint la limite de ses forces, sur les trottoirs. Elle était sale, s’était coupé elle-même les cheveux aux ciseaux et il lui manquait une dent. Ses preux chevaliers d’un soir lui offrirent un café, une saucisse chaude et 50$ avant de la ramener chez elle. Pour les remercier elle leur chanta ses compositions en frappant des mains sur le capot de leur Cadillac pour s’accompagner. Le lendemain, elle était toujours aussi sale, avait toujours aussi faim mais s’était acheté un bongo avec les 50$.
A force de traîner sa dégaine d’audition en audition, elle obtint un rôle minuscule dans une adaptation de « Gigi » au théâtre et grâce au directeur de la salle, probablement plus par pitié que par conviction. Elle obtint également les services un agent. Un agent qui ne tarda pas à se débarrasser d’elle sur un très élégant « Qu’est-ce que vous voulez que j’en fasse? ». Mais un agent qui l’avait inscrite sur le casting de « Peyton Place » où l’on cherchait une jeune inconnue pour devenir Allyson Mackenzie, fille de Constance Mackenzie, mieux connue sous le nom de Lana Turner.
Lorsque Mark Robson la vit débarquer avec l’espadrille avachie et le cheveu hirsute, souriant vaguement sur sa dent manquante, il faillit la renvoyer. Mais parce que le troupeau de néo Debbie Reynolds et autres Sandra Dee, aspirantes au rôle, s’étaient déjà esclaffées dans leurs jupons amidonnés en la voyant, il lui laissa lire son texte. Des dix lignes du script prévues, Il lui laissa lire six pages. Lorsqu’elle eut terminé, Mark Robson se leva, envoya les Debbie et les Sandra au bureau de chômage. Le casting était clôturé, le rôle d’Allyson Mackenzie était distribué. Et avec lui un contrat mirifique à la Century Fox et une fausse dent!
Diane Varsi aurait dû être folle de bonheur, elle ne l’était pas , et sans doute était-elle folle tout court!
Elle lut le roman « Peyton Place » des dizaines de fois en boucle. Elle travailla sans relâche et lorsque le tournage commença, Diane Varsi n’était plus. Seule Allyson Mackenzie, réincarnée, toute de chair et de sang se trouvait sur le plateau, face à une Lana Turner complètement décontenancée et qui en avait pourtant vu bien d’autres. Hollywood fut stupéfié, le public fut stupéfié, Diane Varsi devint en un film une star inouïe et dans la foulée fut nommée aux Oscars en meilleur second rôle ainsi qu’Hope Lange pour le même film. Lana quant à elle pavoisa avec une nomination dans la catégorie « meilleure actrice ». Tout le monde rentra bredouille. Lana fut évincée par Joanne Woodward, Hope et Diane par la jeune première nipponne de « Sayonara »: Miyoshi Humeki.
La Fox, bien entendu avait jeté sa nouvelle recrue dans une frénésie de tournages avec une telle rapidité que le western qu’elle tourna après « Peyton Place » sortit avant. Elle enchaîna face à Gary Cooper himself dans « 10 rue Frederik » et déjà les choses se gâtèrent inexorablement. Son personnage dans le film subissait un avortement imposé par une famille stricte. Quel ne fut pas l’embarras du pauvre Gary lorsque la journée de tournage terminée, sa partenaire se jetait dans ses bras en sanglotant « Ils m’ont pris mon bébé, ils m’ont pris mon bébé ». Dans ce film encore, Diane Varsi fut sensationnelle. Dans le privé les choses se gâtaient à vive allure. Elle réendossa sa vieille chemise, remit ses vieilles espadrilles et passa ses journées à dire pis que pendre de tout, de tout le monde et bien entendu d’Hollywood en particulier. Bientôt elle se fit haïr de tous et le leur rendait bien. Un peu comme si être détestée d’Hollywood était la seule compensation qu’elle y trouvât.
Lorsqu’il fut question de donner une suite à « Peyton Place » c’en fut trop et elle détala littéralement sans demander son reste ni donner d’adresse. Et se fichant bien du contrat Century Fox qui la liait pourtant jusqu’en 1965. Nous étions en 1958!
On crut bien entendu à une manœuvre publicitaire pour faire mousser « Retour à Peyton Place ». Il n’en était rien. On parla alors de folie, de couvent, de grand amour secret, de maladie incurable, bref on spécula tant et plus. On la sut remariée en 1961 et maman d’une petite fille, Willo.
Diane Varsi avait bel et bien fui pour de bon. Un journaliste eut un jour la surprise de la retrouver, frôlant une nouvelle fois la clochardisation, vivant dans une seule pièce avec son fils . Elle se déclara heureuse, refusa les photos, chanta ses nouvelles compositions, fut souriante, tint un discour assez psychédélique et décousu mais c’était la mode. Le lendemain, elle avait de nouveau disparu.
Diane Varsi avait fui Hollywood en 1959, on la revit au cinéma en 1967 après que le contrat FOX ait expiré. Elle n’était bien entendu plus une star, elle se montra dans des films de petite envergure qui n’apportèrent plus rien à son prestige mais dont elle se déclara très fière. En 1966, la presse avait parlé de son retour, à peine deux lignes en bas de page « Diane Varsi qui avait tourné le dos revient et annonce comme si de rien n’était son intention de reprendre sa carrière. Il est vrai que son troisième mariage s’est terminé encore plus lamentablement. Elle chercherait un rôle et en aurait déniché un sur un film qui s’appellera « Le cadavre » Espérons que le titre ne soit pas trop prémonitoire. Cette pauvre fille n’est déjà plus qu’un fantôme. »
Elle fera une chute très violente sur un des tournages et sera grièvement blessée à la tête.
Son état nécessitera de nombreuses interventions chirurgicales et lui occasionnera des douleurs cérébrales jusqu’à la fin de sa vie. Elle avait ensuite négligé de se soigner lorsqu’elle développa la maladie de Lyme après avoir été mordue par une tique. Maladie qui comme on le sait reste bénigne lorsqu’elle est soignée mais peut se révéler mortelle lorsqu’elle est négligée. La maladie , en outre, atteint le système nerveux et plonge le malade en dépression. Ce dont Diane Varsi n’avait pas besoin. Ses douleurs à la tête étaient si violentes et si constantes depuis si longtemps qu’on ne lui diagnostiqua pas une méningite provoquée par la maladie de Lyme.
C’est une femme épuisée, vaincue par la maladie mais surtout par ses propres démons qui s’éteignit à bout de forces le 19 Novembre 1992, elle n’avait que 54 ans.
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1957: Peyton Place: Avec Lana Turner, Russ Tamblyn et Hope Lange
1957: La Fureur des Hommes: Avec Don Murray
1958: 10, Rue Frederik: Avec Gary Cooper
1959: Compulsion: Avec Orson Welles et Dean Stockwell.
1967: Sweet Love, Bitter: Avec Jeri Archer, Don Murray et Florette Carter
1968: Wild in the Streets: Avec Millie Perkins, Shelley Winters, Christopher Jones et Richard Pryor.
1977: I Never Promise You a Roses Garden: Avec Bibi Anderson et Kathleen Quinlan, Signe Hasso et Sylvia Sydney