Si je devais choisir une actrice pour incarner la parisienne des années 50, belle, racée, élégante, bourgeoise mais avec désinvolture, classieuse mais sans ostentation, j’hésiterais entre Simone Renant et Danielle Godet. Et parce que Simone Renant est déjà la parisienne type des années 40, je lui préfère in fine Danielle malgré ce patronyme bien peu adapté à une carrière d’étoile faisant vibrer l’imagination des foules.
Danielle Godet! Est-ce bien un nom de bataille pour une femme aussi belle? Reconnaissons que ça sent plus le zinc de bistrot aux Batignolles que l’effluve de Schiaparelli sur l’étole d’hermine! Cela étant dit, Danielle fut depuis son plus jeune âge une artiste dans l’âme. Sa maman s’extasiant sur la perfection de ses pointes de ballerine quand la future danseuse étoile n’avait encore que quatre ans. La petite était prodige. Bientôt, elle serait prodigieuse. Mais l’émerveillement maternel n’est pas un passeport pour la sécurité. La phrase fatale tomba comme un couperet de guillotine: « Passe ton bac d’abord » Aussi sage que belle, Danielle s’exécuta et se plongea dans de sérieuses études. Le temps de relever ses yeux vert jade de ses cahiers, elle préparait une licence en lettres à la Sorbonne. Également passionnée de piano, la jeune Danielle n’a pas vraiment eu le temps de s’astreindre à l’entraînement intensif que réclame la danse classique. Mais sa volonté de s’exprimer artistiquement est toujours bien tenace et finit par prendre forme presque par hasard: une amie de classe qui prend des cours d’art dramatique chez Marie Ventura l’invite un jour à l’accompagner et le déclic est immédiat.
Danielle a 15 ans et sera actrice, c’est décidé.
Irrévocablement décidé.
Le choc est un peu rude dans la famille Godet. Nous sommes chez les gens bien et on va fort peu au cinéma. Ce mode d’expression un peu vulgaire avec ses vedettes tapageuses et décolletées! Même ces dames de la comédie française ont, dit-on, des réputations pour le moins douteuses! Danielle ne cédera pas! Et comme toutes les aspirantes à la gloire filmée, elle court les auditions entre deux cours de diction. Dans le Paris libéré des années 45-50, les auditions du vendredi au cours René Simon sont célèbres et les metteurs en scène en mal de vedettes viennent là comme on vient au marché.
Hélas pour eux et pour elle, Danielle a la tête tellement farcie d’histoires d’alcôves et de coucheries professionnelles pour des rôles de prostituées dans des films de gangsters qu’elle est à peu près aussi aimable qu’un élevage de cobras. La phrase cultissime « mademoiselle voulez-vous faire du cinéma » est prometteuse de belles paires de claques!
René Clair sera plus courageux que les autres et abordera une très belle Danielle de 22 ans en 1946 (Elle est née en 1924, donc) pour « Le Silence est d’Or ». La prestigieuse réputation du metteur en scène lui évita les claques. Et pour être honnête, ce brave homme hésitait entre Danielle et Dany Robin… Pour finalement jeter son dévolu sur Marcelle Derrien (Autre patronyme judicieusement choisi). Il fit malgré tout apparaître les « vaincues » dans son film mais dans de petits rôles sans envergure. Si Dany Robin a de jolies scènes et fait son entrée en dansant le cancan sur un char de carnaval, Danielle est moins chanceuse. Elle assiste à un spectacle et lorsque ce vieux grigou de Maurice Chevalier s’approche comme un vieux loup, un monsieur entoure Danielle de son bras possessif et protecteur
Danielle Godet ne se rend alors pas encore compte que pour elle les dés sont jetés.
Elle a tout, absolument tout pour devenir une étoile de premier plan, tout sauf une chose pourtant essentielle: la chance.
L’essai de René Clair est tombé sous les yeux de Clouzot en chasse lui aussi de fraîche beauté pour incarner sa « Manon », il jette son dévolu sur Danielle Godet qui lui semble toute indiquée et fait volte face à la dernière minute pour engager Cécile Aubry. »Trop classique » décrète Clouzot.
Un troisième metteur en scène plonge sur la recalée et cette fois sera la bonne, Danielle tourne enfin.
Elle tourne « L’Idole », un film que personne n’a vu pour Alexandre Esway, un metteur en scène que personne ne connaît.
Son partenaire est Yves Montand, mais Montand n’est encore, comme elle, qu’un obscur débutant.
Danielle Godet, des années plus tard fera elle-même le triste bilan de ses années de « vedette »
« J’ai toujours eu une sorte de handicap professionnel qui a toujours nui à ma réussite et qui ne dépend pas de moi. Chaque fois que j’ai été engagée dans un film intéressant, ça n’a jamais été que pour servir la soupe à l’acteur principal »
Hélas pour Danielle, le prestige de ces messieurs va lui aussi s’essouffler au fur et à mesure des tournages.
Pour avoir commencé avec Yves Montand, Danielle va passer à François Périer puis Jean Richard puis Luis Mariano pour finir chez Eddie Constantine avant…Raymond Souplex! Elle aura même eu l’insigne honneur d’être la première partenaire de Zappy Max à l’écran. Zappy Max était issu du music hall. Amuseur dans l’orchestre de Jacques Helian il avait été expédié en Allemagne par l’occupant pour cause de répertoire un peu trop bleu banc rouge! Il s’en alla donc œuvrer dans une fabrique de tanks à Cologne. L’usine Zap d’où son patronyme pied de nez. Son passage au cinéma restera un des plus obscurs qui soient. Zappy Max entrera dans la légende pour son émission de radio » Quitte ou Double ». Pour Danielle, c’est un peu comme si la Catherine Deneuve de « Belle de jour » n’avait trouvé à tourner qu’un Biopic sur Guy Lux. Pas l’ombre d’un Gérard Philipe ou d’un Jean Gabin dans la distribution de ses films.
La belle Danielle va vivre une très belle histoire d’amour avec Philippe Lemaire, mais même sur le plan privé, les « gazettes » préfèreront parler du beau Philippe lorsque Juliette Gréco et puis Jeanne Moreau auront succédé à Danielle dans la vie de l’acteur. Elle aura été longtemps « l’éternelle fiancée » de Maurice Ronet avant qu’il ne s’envole pour un tournage en Amérique latine avec la belle Nicole Maurey. Laquelle se fera à son tour souffler son Maurice par Anouk Aimée avec qui il s’affiche au festival de Cannes.
Autre réflexion de Danielle: « J’aime en art ce qui est beau, moi qui au cinéma ne défend que la médiocrité! »
L’actrice alors se retourne vers le théâtre, crée « La brune que voilà » de Robert Lamoureux. Le succès est au rendez-vous et Lamoureux confie le rôle à Michèle Mercier pour l’adaptation filmée.
Danielle Godet aborde les années 60 avec un nom honorablement connu des spectateurs et du public parisien. Elle s’offre un appartement qu’elle occupe avec sa maman et dont les fenêtres donnent sur la cour d’honneur de l’Elysée. De Gaulle devient son voisin. Installée dans ses murs avec son cher piano et sa mère, Danielle choisit alors de prendre les choses en main et de ne jouer que des rôles qui en valent vraiment la peine artistiquement.
Le jeune Jean-Pierre Mocky fait alors appel à ses services pour un rôle qui finalement se réduira comme peau de chagrin, finissant en simple apparition! Peu à peu, sa parfaite silhouette va déserter les écrans et l’indifférence à défaut de l’oubli sera le modus vivendi de la carrière de cette actrice tellement gâtée par la nature et si peu par ses pairs. Une de ses dernières grandes satisfactions professionnelles: Lorsque Christian Gérard s’atèle à la mise en scène au théâtre de la pièce d’Anita Loos »Les Hommes préfèrent les Blondes » et confie à Danielle le rôle de Lorelei Lee tenu à l’écran dix ans plus tôt par Marilyn Monroe.
On apprendra le décès de Danielle le 12 Novembre 2009 « des suites d’une longue maladie » selon la formule consacrée et ceux qui se souvenaient d’elle eurent quand même un pincement au cœur. Encore un joli symbole de temps plus heureux et insouciants qui s’envolait pour toujours. Danielle avait 82 ans, elle faillit même en avoir 83. Née un 30 janvier, elle s’éteignait un 12 novembre.
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1947: Le Silence est d’or: Avec Maurice Chevalier
1949: Une Femme par Jour: Avec Denise Grey et Jacques Pills
1950: La Souricière: Avec Bernard Blier, François Périer et Junie Astor.
1951: Identité Judiciaire: Avec Jean Debucourt et Dora Doll
1951: Les Mousquetaires du Roi: Avec Jacqueline Delubac et Marcelle Derrien
1952: Nous Irons à Monte Carlo: avec son cher Philippe Lemaire
1953: Les Trois Mousquetaires: Avec George Marchal, Yvonne Sanson et Bourvil
1953: Quitte ou Double: Avec Zappy Max
1954:L’Aventurier de Seville: Avec Luis Mariano
1954: Boum sur Paris: Avec Jacques Pills, Edith Piaf, Gary Cooper, Martine Carol, Line Renaud etc..
1956: Ces sacrées vacances: Avec Sophie Desmarets et Paulette Dubost
1957: C’est une fille de Paname: Avec Philippe Lemaire et Lise Bourdin
1958: Rapt au deuxième bureau: Avec Dalida et Frank Villard
1959: Monsieur Suzuki: Avec Ivan Desny
1959: Muerte Al Amanecer: Avec Antonio Almoros et Nadia Gray
1959: Ce Soir on Tue: Avec Barbara Laage, Dominique Wilms et Pierre Trabaud
1960: Amour, Autocar et Boîte de Nuit: Avec Robert Dalban et Geneviève Kervine
1960: Un Couple: Avec Juliette Mayniel, Jean Kosta et Nadine Basile
1960: le Capitaine Fracasse: Avec Jean Marais, Louis de Funès et Geneviève Grad
1962: Horace 62: Avec Giovanna Ralli et Charles Aznavour
1967: El Enigma del Ataúd: Avec Howard Vernon
1968: Ce Merveilleux Automne: Avec Gina Lollobrigida
1978: Sale Rêveur: Avec Léa Massari et Jacques Dutronc