J’ai découvert la gracieuse et très élégante Claude Génia à la faveur d’un film: « La Vérité sur Bébé Donge » où une Danielle Darrieux très désabusée empoisonnait Jean Gabin pour se désennuyer de sa condition bourgeoise. Claude Génia jouait la sœur de D.D. et était pour sa part tout à fait ravie de leur condition et se montrait digne mais effarée par la conduite de Danielle! Aussitôt après « La Vérité dur Bébé Donge » elle s’était montrée en couleurs mais nettement moins affable dans « Le comte de Monte Cristo où aubergiste en faillite elle n’aurait pas chipoté pour liquider le bijoutier Louis Seigner pour le détrousser. Sa grande scène est d’ailleurs fort probablement la plus intéressante du film!
Claude Génia Aranovitch nait le 4 Mars 1913 dans le village russe de Vetlouga du nom de la rivière qui le traverse. En 1913 on le sait la révolution gronde, la famille Génia Aranovitch trouvera refuge en France. Étrangement l’histoire de France s’intéresse peu au sort des « Russes Blancs » en oppositions aux « rouges » qu’ils fuyaient.
Pourtant leur histoire ne manque guère d’intérêt. C’est toute la noblesse et l’aristocratie qui fuit les massacres, souvent à pieds par la Finlande abandonnant tout derrière elle. Palais, fortunes, terres, chasses domaines, perles , diamants et des siècles d’histoire. Les Russes blancs s’entasseront dans des logements sordides, les princesses et autres grandes duchesses serviront à table et feront l’argenterie dans des familles françaises dont la fortune vient parfois de la conserve ou de la charcuterie. Leurs maris, les archiducs, les princes et les riches banquiers conduisent les taxis qui emmènent les belles de Pigalle au tapin ou servent le champagne aux clients rigolards de quelques cabarets à la mode. Les très hautes vertus de l’âme russe ne jouent pas chez les immigrés qui ont pu sauver leur fortune ou même une partie de celle-ci. Ceux-là s’installeront à Biarritz ou à Monte Carlo. Ce n’est plus la même race, plus le même bleu des veines. Même si quelques mois plus tôt on valsait ensemble à l’ultime bal du dernier tsar!
C’est sur cet étrange humus qu’a poussé Claude Génia.
Devenue une très belle jeune fille avec la distinction de sa naissance et la beauté de traits de sa race, folle de théâtre, elle reste malgré tout maudite par la fureur des hommes. C’est dans un Paris occupé qu’elle débute. Un Paris déserté par quelques unes de ses plus illustres vedettes qui ont laissé la place à quelques nouvelles venues.
Claude débutera au cinéma en 1943 grâce à la protection de son professeur d ‘art dramatique Raymond Rouleau. C’est lui qui la recommande à Marcel l’Herbier. Claude débute dans l’ombre d’Edwige Feuillère et en deux petits rôles elle se fait suffisamment admirer pour être choisie comme vedette de ses prochains films! Elle sera une « grande vedette du cinéma français » jusqu’à la fin des années 40, tenant la vedette dans les bras d’Albert Préjean jusque là propriété quasi exclusive de Danielle Darrieux. Elle aurait pu rester au sommet de l’affiche pour encore au moins deux décennies mais deux raisons majeures vont lui faire perdre son statut, outre le fait qu’elle n’avait que peu d’intérêt pour la gloriole et les déclarations tapageuses à la presse.
Il y aura le retour de Michèle Morgan d’abord, la rentrée en grâce de Danielle Darrieux ensuite qui vont se réapproprier les emplois de blondes élégantes.
Sa folle passion pour le théâtre ensuite! Claude Génia est comme une Annie Ducaux, une Gaby Sylvia, une Madeleine Renaud, une Simone Valère ou une Edwige Feuillère: Le théâtre d’abord, le cinéma après, la télévision s’il lui reste du temps. D’ailleurs elle avait débuté sur la scène de l’Odéon dès ses 14 ans en 1932 et n’avait cessé de servir Molière et Victorien Sardou jusqu’à ses débuts au cinéma sous l’occupation…Dix ans plus tard! Elle servira encore Cocteau, Balzac, Camus, Giraudoux, Arthur Miller et Tennessee Williams entre deux films!
En 1958 elle prendra la direction du théâtre Edouard VII dont elle mènera la destinée jusqu’en 1966. Elle avait d’ailleurs succédé dans les fonctions à la demande et à la suite de son plus fidèle ami Raymond Rouleau. Sous la direction de Claude Genia, le théâtre Edouard VII prendra une autre direction résolument plus moderne et elle accordera sa confiance à de jeunes débutants encore inconnus des théâtres qui ont pour noms Sami Frey ou Jean-Louis Trintignant. Elle ouvrira également sa scène à des auteurs dont la réputation ne s’est pas faite en tant que tels comme Pierre Brasseur ou Françoise Sagan dont elle accueille les premières pièces.
Claude Génia qui privilégiera la télévision au théâtre pour la rapidité de ses tournages qui lui permet d’être en scène le soir et gérer son théâtre l’après-midi reste souvent plusieurs années sans paraître au grand écran sans que le public ne s’en rende réellement compte tant elle est présente ailleurs! Deux ou trois films par décennie sont sa moyenne et dès 1976 elle tire sa révérence avec une comédie hélas navrante « Dracula Père et Fils » où besogne Bernard Menez, une pièce d’Etienne Rebaudengo et…un épisode des « Brigades du Tigre ».
Il semble que Claude Génia ait pris sa retraite en Touraine où elle s’étiole rapidement.
Elle s’éteint trois ans plus tard à peine, le 18 Mai 1979; elle n’avait que 66 ans.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1943: L’Honorable Catherine: Avec Edwige Feuillère, Raymond Rouleau et André Luguet
1943: Monsieur des Lourdines: Avec Mila Parely et Raymond Rouleau
1944: La Vie de Plaisir: Avec Albert Préjean et Yolande Laffon
1944: L’Enfant de l’Amour: Avec Gaby Morlay et François Perier
1945: Le Père Goriot: Avec Pierre Renoir et Pierre Larquey
1945: La Fille aux Yeux Gris: Avec Nicolas Amato et Paul Bernard
1946: Le Capitan: Avec Pierre Renoir
1947: Les Beaux Jours du Roi Murat: Avec Alfred Adam et Junie Astor
1948: Carrefour du Crime: Avec Louis Salou et Françoise Christophe
1949: La Louve: Avec Jean Davy
1949: La Ferme des 7 Péchés: Avec Jacques Dumesnil
1952: La Vérité sur Bébé Donge: Avec Danielle Darrieux, Gabrielle Dorziat et Jean Gabin
1954: Le Comte de Monte Cristo: Avec Jean Marais et Daniel Ivernel
1957: Escapade: Avec Dany Carrel et Louis Jourdan
1967: J’ai Tué Raspoutine: Avec Géraldine Chaplin et Robert Hossein
1968: L’Astragale: Avec Marlène Jobert et Horst Bucholz
1968: Manon 70: Avec Catherine Deneuve, Jean-Claude Brialy et Sami Frey
1969: Ballade pour un Chien: Avec Charles Vanel
1972: Absences Répétées: Avec Danièle Delorme et Nathalie Delon
1976: Dracula Père et Fils: Avec Marie-Hélène Breillat, Christopher Lee et Bernard Menez