J’avoue avoir bien tardé pour rédiger un article à propos de l’excellente Claire Bloom. Laquelle, bien que son gâteau d’anniversaire à 80 bougies ne soit plus qu’un très lointain souvenir restes une actrice très active, ce qui est souvent le cas lorsque l’actrice en question est toujours très belle. Claire est en effet restée si délicieuse qu’elle vous donnerait presque envie d’avoir son âge! Mais j’avoue avoir toujours eu et avoir encore un peu de mal à cerner la créature de cinéma comme la femme en question.
Beauté incontestable, élégance évidente, talent très affûté, culture de haut vol et bonne camarade, telle est Claire Bloom. Mais derrière ce physique qui s’inscrit dans la lignée des Audrey Hepburn, des Millie Perkins, des Pier Angeli, des Susan Kohner ou des Susan Strasberg, il y a chez Claire Bloom une froide détermination dans le regard. Une main d’acier dans un gant de dentelle. Bref il y a chez la diaphane beauté qui faisait l’admiration de Chaplin quelque chose que l’on s’attendrait plus à trouver chez Jo Prestia ou Tcheky Karyo!
La future Claire Bloom naît à Londres le 15 Février 1931 sous le patronyme de Patricia Claire Blume. Très jeune, la petite demoiselle s’ennuie sur les bancs de son école de Bristol. Car même si elle est une élève particulièrement brillante, elle sent confusément en elle brûler le feu d’une vocation artistique. Mais laquelle? Tout est là! Chanter? Danser? Jouer la comédie?
La guerre viendra pour un temps la distraire de ses préoccupations! Londres flambe sous les bombes. La maison de la famille Blume ayant échappé par miracle à la destruction lors d’un raid, les enfants, Claire et son petit frère John de 4 ans son cadet sont évacués dans la famille à la campagne. Mais rien n’est plus sûr dans ce monde d’apocalypse. Sa mère entend parler de la possibilité d’évacuer les enfants anglais vers l’Amérique par bateau à condition qu’ils aient un parent pour les accueillir sur le territoire. Or, les Blume ont un oncle en Floride. Elizabeth, leur maman, réussit à faire embarquer Claire et John. Les océans ne sont plus un endroit très sûr non plus mais les enfants arriveront saints et sauf et leur maman pourra les rejoindre un an plus tard. Nous sommes en 1941, Claire a dix ans, John six.
La petite réfugiée, consciente de la chance qui lui est offerte d’échapper au massacre aveugle des populations propose ses services au théâtre aux armées. Elle jouera les petites filles prodiges en chantant pour les soldats en permission; Elle les distraira en Floride au même titre que Bette Davis ou Linda Darnell dans leur Canteen hollywoodienne!
Lorsqu’Elizabeth arrivera à son tour en Amérique, ses enfants la rejoindront à New-York où ils attendront en famille que la paix revienne sur le monde ou tout du moins sur l’Angleterre. Éloignée du danger, sa maman retrouvée, Claire put enfin se triturer à nouveau l’esprit à loisirs pour savoir quelle serait sa vocation future. Son cadeau d’anniversaire pour ses 12 ans va lui donner une réponse on ne peut plus éclatante! Sa maman l’a emmenée à Broadway à une représentation des « Trois Sœurs » de Tchekhov. C’est plus qu’une révélation, c’est une illumination. Actrice elle sera, le théâtre elle servira.
La famille rentrée en Angleterre, Claire aura l’autorisation de suivre les cours d’art dramatique, refuse-on à une petite fille qui a connu la guerre et l’exode de suivre sa voie? Après de discrets débuts à la radio , histoire de se faire la voix, Claire Bloom débutera sur scène à Londres. Elle a 15 ans et n’entend bien jouer que les grands auteurs! Après tout elle doit sa vocation à Tchekhov, pas à Tom et Jerry!
Nous sommes en 1946 et dès l’année suivante elle connaît son premier grand triomphe face à Paul Scofield qui joue Hamlet, elle joue Ophélie. Et la jeune Ophélie, acclamée chaque soir par un public debout n’entend que les battements de son cœur qui bat la chamade pour son bel Hamlet! Claire est amoureuse de son partenaire, ca restera sa marotte! Mais Scofield est marié et jeune papa. Il résistera aux charmes de la jeune Ophélie et son Hamlet suivant sera homosexuel ce qui n’empêche pas le cœur de la jeune noyée de s’affoler tout autant.
Et puis il y aura un troisième acteur dans le rôle, lui aussi marié: Richard Burton! Claire Bloom en est instantanément folle! Mais cette fois sa passion sera réciproque. Le mariage de Sybil et Richard Burton sera fortement ébranlé mais résistera à la secousse. C’est le tsunami Elizabeth Taylor qui en aura raison quelques années plus tard!
Evidemment, le cinéma ne pouvait guère rester insensible à l’existence de cette redoutable Ophélie! Déjà la presse vantait sa beauté et parlait de son jeu comme d’une « maîtrise redoutable absolument stupéfiante chez une actrice aussi jeune et aussi inexpérimentée« . La RANK qui en ces années d’après guerre entend bien concurrencer la MGM elle-même et a sa propre « école de talents » doublée d’une « école de charme » prendra Claire sous contrat. Comme Jean Simmons et Diana Dors. La RANK la fera débuter à l’écran dès 1948.
Mais comme on peut s’en douter la jeune comédienne trouve plus gratifiant de servir Shakespeare que d’apprendre à descendre une échelle en bikini une plie de livres en équilibre sur la tête! Elle tournera le dos à la RANK sans une once de regret!
Mais le cinéma n’avait pas dit son dernier mot. Chaplin préparait son prochain film « Limelight » dont il cherchait la vedette. Ou plus exactement dont il avait trouvé la vedette en la personne de Dawn Addams dont son épouse et lui s’étaient entichés. Hélas pour Chaplin, un tas de raisons font qu’il ne pourra pas obtenir Dawn Addams pour son film. Au grand dam de cette dernière d’ailleurs. Mais fort heureusement pour Claire. Chaplin va la choisir et se déclarer immédiatement très convaincu avant de clamer sa joie et son admiration sans bornes pour son interprète. Ce qui ne l’empêchera pas de retourner dès son film suivant vers Dawn pour lui offrir le rôle féminin d’un « Roi à New-York ».
Avec « Limelight », Claire Bloom fait son entrée dans le monde du cinéma par la toute grande porte au bras de Charles Chaplin. On s’empressera d’ailleurs de feindre d’ignorer ses vrais débuts dans « The Blind Goddess » en 1948 pour clamer au miracle de la cette première apparition à l’écran!
Comme il arrive parfois, Claire Bloom est sacrée « vedette de cinéma » en un film. Bientôt elle donne la réplique à James Mason avant de la donner à Laurence Olivier avec qui elle aura une liaison qui cette fois ébranla quelque peu les nerfs de Vivien Leigh qui voyait son « Larry » lui échapper chaque jour un peu plus entre deux pugilats conjugaux.En 1958 elle aura une nouvelle liaison avec un autre de ses partenaires, Yul Brynner puis épousera encore un autre de ses partenaires en 1959, l’acteur anglais Rod Steiger.
Après les débuts fulgurants de Claire Bloom dans le film de Chaplin le cinéma ne va pas tenir ses promesses ou plutôt va les tenir mal. « Alexandre le Grand » avec Burton est un échec mérité, « Richard III » avec Laurence Olivier aussi. Et si on s’intéressa d’un peu plus près aux « Frères Karamazov » c’est à cause de la publicité que fit Marilyn Monroe au film en bataillant pour le rôle de Grushenka Karamazov qui sera confié à Maria Schell…Inconnue à Hollywood! Encore un échec, encore un film raté.
La carrière de Claire Bloom va alors se diviser en trois parties distinctes: Des triomphes inouïs sur scène où elle sert les plus grands auteurs de l’histoire. De beaux succès à la télévision où elle trouvera une foule de beaux rôles dans des réalisations de prestige et de qualité et une carrière au cinéma dont plus rien ne sera à retenir après Limelight.
Plus de 60 ans de carrière suivront le film de Chaplin et plus jamais l’alliage du génie et du succès ne sera au rendez-vous. Après avoir « servi le texte » à l’écran, Claire Bloom tentera du film d’action, du film catastrophe, de la comédie ou du film d’horreur. Rien, jamais, ne vaudra la peine que l’on s’y attarde si ce n’est, peut-être, sa courte collaboration avec Woody Allen. Mais qui n’a pas collaboré avec Woody Allen? Cela étant dit, elle sera à l’affiche de plusieurs jolis succès comme « Maudite Aphrodite » ou « Le Discours d’un Roi » mais ce ne sont pas là des films de Claire Bloom! Et cela étant posé on peut quand même se demander ce qu’elle fichait dans « Daylight » avec Sylvester Stallone!
Claire Bloom restera mariée dix ans avec Rod Steiger, de 1959 à 1969 et l’acteur sera le père de sa fille unique Anna Steiger qui fera une belle carrière à l’opéra.
L’année même de son divorce, Claire Bloom se remariait avec l’acteur Hillard Helkins mais ce deuxième mariage ne durerait que trois courtes années. Le 29 Avril 1990 elle épousait en troisièmes noces l’écrivain Philip Roth avec qui elle menait déjà une relation fort longue. Étrangement, le mariage ne consolidera pas leurs liens et ils divorceront cinq ans plus tard en assez mauvais termes. Roth n’appréciant pas du tout le portrait peu flatteur brossé de lui dans les mémoires de Claire qu’il se vengera par l’entremise d’un de ses romans « J’ai épousé un Communiste » où le personnage le plus détestable serait un portrait à peine voilé de Claire Bloom.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1948: The Blind Goddess: Avec Anne Crawford et Eric Portman
1952: Limelight: Avec Charles Chaplin
1953: The Man Between: Avec James Mason et Hildegarde Kneff
1953: Innocents in Paris: Avec Alastair Sim et Claude Dauphin
1955: Richard III: Avec Laurence Olivier
1956: Alexander the Great: Avec Richard Burton, Fredric March et Danielle Darrieux
1958: The Buccaneer: Avec Yul Brynner et Charles Boyer
1958: The Brothers Karamazov: Avec Maria Schell et Yul Brynner
1959: Look back in Anger:Avec Richard Burton et Mary Ure
1960: Schachnovelle: Avec Curd Jürgens
1962: The Chapman Report: Avec Jane Fonda, Shelley Winters et Glynis Johns
1963: 80.000 Suspects: Avec Richard Johnson
1963: The Haunting: Avec Julie Harris et Richard Johnson
1964: Alta Infedeltà: Avec Charles Aznavour
1968: Charly: Avec Cliff Robertson
1973: A Doll’s House: Avec Anthony Hopkins
1977: Island in the Storm: Avec George G.Scott
1981: Clash of Titans: Avec Laurence Olivier, Ursula Andress et Harry Hamlin
1985: Déjà Vu: Avec Jaclyn Smith et Shelley Winters
1987: Sammy and Rosie Get Laid: Avec Frances Barber et Shashi Kapoor
1989: Crimes and Misdemeanors: Avec Woody Allen Mia Farrow et Anjelica Huston
1995: Mad Dogs and Englishmen: Avec Joss Ackland
1995: Mighty Aphrodite: Avec Mira Sorvino et Woody Allen
1996: Daylight: Avec Sylvester Stallone
2002: The Book of Eve: Avec Daniel Lavoie et Susannah York
2010: The King’s Speech: Avec Helena Bonham Carter et Colin Firth
2013: Max Rose: Avec Kerry Bishé Jerry Lewis