La gracieuse Charlotte Ander naît le 14 Août 1902 dans sa bonne ville de Berlin qu’elle chérira toute sa vie, même si ce ne fut pas toujours facile comme on va le voir. Cette gracieuse enfant naît dans une famille d’artistes déjà célèbres, surtout par sa mère qui n’est autre que la star idolâtrée des teutons Ida Perry. Son père Rudolph Andersch est également un acteur respecté. La petite fille est donc pour l’état civil Charlotte Andersch. Ida Perry, est une jeune maman de 25 ans. Beauté brune et altière qui fait les délices des scènes berlinoises. Mais lorsque le cinéma fera son apparition, elle va s’y engouffrer, littéralement fascinée par ce nouveau mode d’expression. Elle tourne dès 1912. Ce qui ne manque pas de fasciner dans la foulée une petite fille de dix ans aux yeux de qui soudain sa mère gagne l’aura d’une aventurière exploratrice!
Comme on le sait , deux ans plus tars, l’Allemagne va s’adonner à son passe temps favori, à savoir tenter de conquérir le monde, ce qui n’empêchera pas Ida de continuer à faire des films et elle sera même une « Salomé » qui marquera au fer rouge les imaginations de toute une génération de trouffions! Sa fille Charlotte qui raccourcira son patronyme pour affronter à son tour les « feux du music hall et l’oeil des caméras » attendra d’avoir dix-huit ans pour faire ses débuts au cinéma. La belle demoiselle hésitant d’ailleurs entre une carrière d’actrice et une carrière de chanteuse. Très vite, dès ses débuts filmés, Charlotte devient une star. Ou plus exactement une « jeune première » très en vue, elle va grimper les échelons à une vitesse foudroyante et donner la réplique aux plus grandes icônes du cinéma d’alors que sont en Allemagne Conrad Veidt, Hans Albers et Emil Jannings. Bientôt sa route croisera celle de Marlène Dietrich en personne!
Le cinéma se mettra soudain à parler. Ni la mère ni la fille n’auront à en pâtir. Que du contraire. Les propositions de films afflueront plus que jamais pour l’une comme pour l’autre. On songera à les réunir à l’écran pour la première fois en 1933. Mais 1933, c’est aussi l’heure fatidique où le troisième Reich commence à se faire entendre. Et si le jeune Hitler a une faiblesse pour les walkyries wagnériennes, les actrices de cinéma et les blondes ingénues en particulier, Charlotte Ander n’ a pas le bonheur de lui plaire.
Très vite, elle est sur « liste noire », ses origines sont « louches », pas de ça chez les nazis! La jeune fille tente alors l’exil anglais mais on ne lui proposera que deux films très inférieurs en qualité à ce qu’elle interprétait en Allemagne. Charlotte ne se sentit aucune affinité pour Londres et pour son cinéma encore moins. Elle prendra la décision de rentrer chez elle, inconsciente encore de l’amplitude de la menace qui se profile à l’horizon. Personne ne se risquera à l’engager sur un film ni même au théâtre. Il n’est plus question de déplaire aux nouveaux dirigeants de l’Allemagne. qui ne sont guère d’humeur taquine. Ida Perry subit bien entendu le même boycott. Et puis le monde basculera dans la tourmente absolue. La fureur des hommes balayera jusqu’au souvenir des deux actrices, jetées dans les flammes de l’enfer avec des millions d’autres anonymes.
Elles survivront, pourtant. Je ne sais ni où ni comment mais elles survivront.
Elles survivront et elles reviendront, honorer à nouveau les scènes et les écrans de leur pays qui essaye à présent de laver sa honte à grand renfort de comédies musicales suintant la guimauve et autres romances surannées. Là où le pire des péchés filmés est maintenant de fumer un cigare après dîner ou dire « flûte! ». Mais aussi bien pour la mère que pour la fille, le coeur n’y était plus vraiment. Elles avaient vécu les horreurs de deux guerres, craint pour leurs vies, perdu leurs proches et vu leur dignité bafouée. Ida ne fera qu’un bref baroud d’honneur en 1949. Charlotte qui se consacra au théâtre dès la fin des hostilités et ne reviendra au cinéma qu’en 1950 pour lui tourner définitivement le dos quatre ans plus tard. En 1955, aussi curieuse que sa chère maman, elle ira voir à quoi ressemble le travail à la télévision et apparaîtra dans une dramatique « Peter Schlemhil », ce sera sa dernière apparition publique.
Mère et fille s’éteindront dans l’anonymat, Ida Perry en 1966 à l’âge vénérable de 89 ans, sa fille Charlotte s’éteindra dans son cher Berlin trois ans plus tard à l’âge de 66 ans, le 5 Août 1969, soit 9 jours avant son soixante septième anniversaire. Il s’était passé tant et tant de choses depuis l’époque de leurs glorieux succès, que l’on s’aperçut à peine de leur disparition. Qui se souvenait encore de ce qu’avait été la folle vie du Berlin des années vingt?
Celine Colassin.
QUE VOIR?
1921: Der Streike der Diebe: Avec Alfred Abel
1921: Die Grosse und die Kleine Welt: Avec Hans Albers
1923: Tragédie d’Amour: Avec Marlène Dietrich.
1925: Eine Minute for Zwölf: Avec Luciano Albertini
1927: Liebesreigen: Avec Hans Mierendorff et…William Dieterle!
1928: Gaunerliebchen: Avec Hans Mierendorff et Rosa Valetti
1931: Weib Im Dschungel: Avec Ernst Stahl Nachbaur
1932: Wzei Himmelblaum Augen: Hermann Thimig
1932: Liebe Scherz und Ernst: Avec Georg Alexander
1936 : Fünf Personen Suchen Anschluss (court métrage): Avec Ernst Dernburg
1952: Mein Herz Darfst du Nich Fragen: Avec Heidemarie Hatheyer et Willy Birgel