Cécile Aubry qui s’éteint le 19 Juillet 2010 laisse le souvenir d’une femme de télévision. Feuilletoniste à succès avec « Belle et Sébastien », « Le Jeune Fabre » ou « Polly ». Elle fut pourtant, d’abord, une actrice et pour toujours la Manon éternelle et sulfureuse de Clouzot.
La petite Anne José Bénard naît à Paris le 3 Août 1928 dans une famille plutôt fortunée qui confiera l’éducation des premiers jours à des nurses anglaises. Le père de la future Cécile Aubry est diplômé de polytechnique, sa mère une égyptologue de grand renom. La jolie petite fille restée unique, grandira donc dans le luxe et grandira d’ailleurs peu, elle aura toutes les peines du monde à atteindre le mètre 50. Malgré ses origines confortables, la jeune demoiselle qui n’a pas encore 12 ans lorsque la guerre éclate restera très marquée par la peur, la violence et la furie des hommes. Il lui faudra tout son courage pour s’accrocher à sa vocation, et c’est agrippée à ses chaussons et tétanisée de peur qu’elle suit ses cours de danse classique, sa grande passion qui ne la quittera jamais. Elle se souviendra des années de guerre et du paradoxe de vivre dans un quartier chic, dans un appartement élégant aux meubles de style mais au garde-manger vide! Les parents de Cécile ne sont pas de ceux qui se fournissent au marché noir!
Lorsque la guerre prit fin, les parents de Cécile la virent s’engouffrer dans la liberté avec une soif de goûter tous les possibles qu’ils n’eurent pas le coeur de canaliser. Elle étudie la danse, elle étudie le dessin, elle étudie l’art dramatique chez René Simon et bien sûr il y a le bac qui approche.
J’ignore par quels tenants Henri Georges Clouzot fit la rencontre de la jeune future étoile. Dès qu’il la vit, il sut qu’il « tenait » sa Manon. Etait-ce sur les images du film « Une Nuit à Tabarin », où Cécile passait, fugace, dans l’ombre de Jacqueline Gauthier? Ou est-ce plus prosaïquement parce que ses assistants écumaient les cours d’art dramatique et qu’il avait vu 400 candidates.
Le film de Clouzot était très avancé dans la préparation. Sans oser le jurer, je crois qu’il avait signé avec une autre comédienne, Danielle Godet pour ne pas la nommer, sans être autrement convaincu. Quoi qu’il en soit, le metteur en scène estima que cette ravissante personne était la Manon idéale parce que perverse à souhait! Or, s’il y a quelqu’un sur cette planète qui fut à tout jamais étrangère à la perversité c’est bien Cécile Aubry. Sans doute le génial Clouzot en voyant ce joli visage de jeune fille aux grands yeux verts et à la moue boudeuse sur un corps encore enfantin eut-il le pressentiment d’un nouveau type féminin qui révolutionnerait bientôt l’imaginaire érotique d’une génération, celui de la « Lolita ». Quoi qu’il en soit, il voulait C2cile et les parents acceptèrent. Quels parents auraient refusé? Elle donnera sa première interview dans l’appartement familial du XVIème arrondissement de Paris, rue Spontini.
Devenue Cécile Aubry, comédienne sans expérience, Marie José fut engagée et devint Manon dans la souffrance. Clouzot n’avait pas la réputation d’être un tendre avec ses actrices et il aima beaucoup gifler sa découverte à toute volée pour la mettre dans l’ambiance! Mais ce n’est là qu’un détail. Cécile découvre que le cinéma est un travail harassant, qu’il faut recommencer et encore recommencer les mêmes choses tous les jours. Elle tourne du matin au soir et prépare son bac! Le tournage va durer six mois. Cécile se retrouve à jouer les allumeuses en talons hauts avec des robes, du maquillage. Elle qui ne connaissait que le peigne et le savon, les talons plats et les jupes de sport. Son père est hilare, il trouve qu’elle ressemble à un cacatoès. Le film terminé elle réussit son bac sans savoir comment et s’effondre nerveusement. Elle est bonne pour un mois d’hospitalisation.
Le succès du film fut à la hauteur des espérances de Clouzot. Cécile avait été sublime, elle fut une star, ce fut une révélation, presqu’une révolution. Plus tard elle dira « Ma jeunesse a été chamboulée par le cirque Clouzot à peu près comme par un bombardement ». Presse, public et cinéastes s’entichèrent comme des fous pour cette jeune fille à tout jamais étiquetée « perverse » et en un tour de main, elle se retrouva à Hollywood, donnant la réplique à Tyrone Power et Orson Welles.
Pour avoir un vague aperçu de la gloire instantanée de Cécile, il faut retourner au bal du 14 Juillet 1950. Cécile a été surprise dansant la valse chaloupée dans les bras d’un homme séduisant aux tempes grisonnantes, mais qui était-il? Qui était ce don juan à tête de milliardaire américain qui faisait ainsi virevolter Cécile au son de l’accordéon d’un bal populaire? La presse s’affole, Paris est en émoi, bientôt la France entière s’interroge. Cécile enverra un communiqué très laconique aux principaux journaux « C’est mon papa! » Sans doute la nouvelle star aurait-elle bien aimé se poser et réfléchir à ce qui lui arrivait dans ce tourbillon, mais elle n’en eut guère le temps.
Elle tourne « Barbe bleue » en deux versions. Française et Allemande. Alors elle doit apprendre l’allemand. Elle devra ensuite apprendre l’italien puis l’anglais. Elle faisait, comme elle le disait elle-même le tour du monde » à toutes pompes » lorsqu’elle posa ses valises au Maroc pour le tournage de son film « La Rose Noire ».
En 1952 elle fut d’ailleurs l’objet d’une très étrange affaire. l’année 1951 avait été semble-il désastreuse pour le cinéma français. Alors en janvier 1952, la presse spécialisée parlait à l’unisson de la « crise » que traversait le cinéma et bizarrement Cécile en fit les frais! Les salaires invraisemblables exigés et obtenus par les acteurs mettaient l’équilibre financier des producteurs en péril! Honte à Cécile qui avait « touché » 12 millions pour Barbe Bleue (a l’époque le gros lot de la loterie nationale est d’un million, pour donner une échelle) Cécile exceptionnellement véhémente ne se laissa pas faire! Qu’on en juge: « Aujourd’hui je suis à la mode, mon nom au générique d’un film fait qu’il est immédiatement vendu partout en Europe et même en Amérique et en Afrique du nord. C’est celà aussi que les producteurs achètent! Ensuite le film a été tourné en deux versions, donc je n’ai pas touché 12 millions pour un film mais pour deux! Ensuite encore j’ai renoncé à 40% du cachet négocié car la production était en difficultés. j’ai donc perçu 7 millions dont j’ai rendu la moitié aux impôts! j’ai donc touché effectivement 3.500.000 francs pour six mois de travail! Vous voyez on est très loin des fameux 12 millions de Cécile Aubry et si le cinéma français est en crise, il vous faudra en chercher la cause ailleurs que dans mon porte-monnaie! »
Cécile avait également tâté du théâtre en 1952 en jouant l’épouse de Pierre Mondy dans « Ô Mes Aïeux », une pièce en trois actes de José André Lacour. Si Pierre Mondy et Jean le Poulain connurent un véritable triomphe, la pièce fut éreintée et Cécile massacrée. Les critiques allant de « Cécile Aubry est incontestablement la moins bonne des acteurs et lorsque l’on sait que l’un d’eux est un perroquet empaillé on aura tout compris! » jusqu’à « Cécile Aubry a déçu, mais est-ce sa faute? Je ne le crois pas , l’erreur est d’avoir confié un rôle aussi complexe à une comédienne aussi peu expérimentée. Bien conseillée, nul doute qu’elle eut refusé le rôle ». (Pour l’anecdote, le perroquet était manipulé par des fils de nylon et Paul Demange lui prêtait sa voix depuis les coulisses)
Lorsqu’elle fut invitée à la Century Fox pour venir y signer son contrat e 7 ans, elle y vint flanquée de son père. Il trouvait sa fille trop jeune pour la laisser s’engager contractuellement, sans doute avec trop de confiance naïve, avec les requins hollywoodiens. Et puis encore, Cécile avait mûrement débattu avec lui du contrat qui lui conviendrait le mieux. Elle souhaitait garder le droit de tourner dans des films français entre deux films américains et rester domiciliée dans la maison familiale où elle aurait le droit de vivre entre deux tournages. En outre elle ne souhaitait pas tourner plus de deux films par an. Monsieur Bénard obtint gain de cause sur tout!
Elle fit la connaissance, comme dans un conte de fées du Pacha de Marrakech Brahim El Glaoui qu’elle épouse dans le plus grand secret. La presse n’en saura strictement rien! Une véritable prouesse, ces messieurs des gazettes apprenant sidérés le mariage de la « perverse Manon…Six ans plus tard lorsque le couple aura un fils: Mehdi né le 26 mai 1956.
le mariage ne dura plus longtemps après la naissance du petit garçon. Brahim avait posé une condition à leur mariage: Qu’elle cesse toute activité publique et professionnelle incompatible avec son futur rang. Ce à quoi Cécile avait répondu « Alors ça! Sans aucun regret! » Mais peu à peu la soif de liberté et d’indépendance avait été la plus forte. Cécile reprit sa liberté, déclarant « c’est à moi seule que l’on doit l’échec de notre mariage puisque j’ai rompu le pacte qui nous unissait ». Elle revint en France avec son fils, renoua avec le cinéma qui avait entretemps fait ses délices d’autres « découvertes », d’autres « révélations ».
Elle s’acheta alors un joli moulin au bord de l’eau à Dourdan qu’elle entreprit de restaurer et où elle vécut avec son fils et sa maman au contact de la nature et des animaux qu’elle adorait. Elevant seule son fils, elle reçut encore quelques visites de journalistes, lesquels furent stupéfiés de découvrir en lieu et place de la fatale Manon aux longs cheveux blonds une douce et brune maman aux cheveux courts, écrivant de jolies histoires pour Mehdi lorsqu’il serait grand. Elle installait le berceau à l’ombre de ses grands arbres et écrivait ses histoires près de l’enfant endormi.
Elle était fière de ses livres pour enfants, bien plus que de ses films. « Pitch et Nicolas », son cinquième livre connut un succès énorme. De là découlera une première offre télévisée: « Les histoires de Cécile ». Une émission enfantine de dix minutes qui ne lui prend que trois jours de travail.
Plus tard, elle fera de ses histoires des feuilletons pour la télévision et le public touché au coeur suivait de semaine en semaine les aventures du petit Sébastien joué par Mehdi et de son chien Belle. Laquelle Belle, étrangement d’ailleurs, avait pris le petit Mehdi en aversion, il fallait barbouiller la figure du petit garçon de miel pour qu’elle accepte de venir le lécher! Les feuilletons se succèderont, Mehdi grandira devant les caméras mais sa mère le protègera toujours de la tourment médiatique qui fut son lot un court moment.
La belle Cécile, entre deux pages, continua assidûment ses cours de danse pour son seul plaisir, restaura son moulin, cultiva son jardin, soigna ses animaux, ses arbres et ses fleurs. Elle ne sortit que rarement de sa réserve. lorsqu’un quelconque journaliste en mal de copie la citait parmi les actrices que le cinéma avait abandonnées. elle rectifiait alors d’un véhément « Le cinéma ne m’ a pas abandonnée, c’est moi qui ai abandonné le cinéma« .
Cécile n’avait qu’un seul défaut visible de l’extérieur: la cigarette. C’est ce qui causera sa perte. Un cancer du poumon l’emporte, elle allait fêter ses 82 ans moins d’un mois plus tard.
Celine Colassin
QUE VOIR?
1947: Une Nuit à Tabarin: Avec Jacqueline Gauthier et Robert Dhéry.
1949: Manon: de Clouzot Avec Michel Auclair.
1950: La Rose Noire: Avec Tyrone Power et Orson Welles
1951: Barbe Bleue: Avec Pierre Brasseur